A 58 ans, Ken Read est l’un des navigateurs américains les plus expérimentés, qui, après avoir été récompensé à de multiples reprises sur des championnats monotypes, a participé à la Coupe de l’America puis à la Volvo Ocean Race (sur Ericsson puis Puma). Président de North Sails Group, il continue à beaucoup naviguer, comme récemment en J Class à Antigua, où Tip & Shaft l’a rencontré.
Ken, il y a actuellement un regain d’intérêt pour la J Class, mais celui pour les courses reste assez cyclique, comment l’expliques-tu ?
Je pense que c’est dans la nature de ces bateaux, certains propriétaires se contentent de naviguer dessus pour leur plaisir, d’autres font des régates, d’autres encore un peu des deux. Certains veulent aller en Méditerranée l’été, d’autres sur la côte est des États-Unis, d’autres encore dans l’ouest, c’est donc difficile de les réunir tous au même endroit, parce que ces propriétaires veulent utiliser leur bateau comme ils le souhaitent.
Quelle est l’importance de cette classe et des superyachts de haute performance pour North Sails Group ?
Elle est assez importante. Cela remonte en quelque sorte à 2007, lors de la dernière Coupe de l’America, où il y avait beaucoup de bateaux et beaucoup de voiles. Ensuite, la Coupe de l’America a tourné le dos aux voiles pour un moment [pour laisser la place aux ailes rigides, NDLR], nous avons donc eu besoin d’autre chose pour combler ce manque et heureusement, la Class J et les superyachts sont arrivés, ce qui a donc été très important pour notre entreprise.
En ce qui concerne ces superyachts, quelle est un peu la tendance du moment ?
Il y a deux aspects à prendre en compte sur ces bateaux, la performance et le plaisir. Nous devons continuer à mettre l’accent sur le côté amusant, parce que ces bateaux entrent dans l’univers du divertissement pour leurs propriétaires. Il ne faut pas perdre de vue que nous voulons juste qu’ils puissent utiliser leur bateau et naviguer, donc il ne faut pas mettre trop de pression sur l’aspect performance.
Quel est le domaine dans lequel les perspectives de croissance de votre chiffre d’affaires sont les plus importantes ?
Ça reste les gros bateaux comme ça. Une bonne année pour ces gros bateaux est une bonne année pour nous. Nous fabriquons 30 000 voiles par an, beaucoup pour des dériveurs, donc ça va des petits bateaux à Aquijo, qui est ici, un deux-mâts de 80 mètres. Je ne pense pas que nous donnions la priorité à certains par rapport à d’autres, nous essayons de ne pas le faire car chaque modèle fait partie du patrimoine de l’entreprise, après, c’est certain que les voiles qu’on fait ici (pour les superyachts) constituent un moteur de performance pour nous.
Êtes-vous proche des limites de la technologie avec ces superyachts ?
Non, je ne pense pas. Par exemple, quand ce bateau de 80 mètres a été construit, nous nous sommes forcément creusé les méninges, mais tout est question d’amélioration du logiciel. Nous pouvons construire n’importe quoi avec notre procédé 3Di. Mais nous dépendons du logiciel et celui-ci doit s’adapter à des bateaux plus grands, plus raides, plus rapides, à des charges plus importantes, à des moments de redressement plus élevés et à tout le reste. Tant que le logiciel s’adapte aux caprices et aux souhaits des clients, tout va bien.
On peut supposer que les développements en termes logiciels vous viennent du monde de la Coupe de l’America ?
Sans aucun doute, je pense notamment à quelqu’un comme Michael Richelsen qui est en charge des logiciels chez nous, et dont beaucoup de gens disent que c’est le plus fort dans ce domaine, discret et calme, il est aussi avec Prada pour toutes les bonnes raisons. Pour les campagnes de Coupe, nous donnons le meilleur de nous-mêmes et nous nous améliorons grâce à l’interaction avec ces équipes qui dépensent des sommes folles pour les détails les plus infimes, nous voulons faire partie de tout ça.
Le marché français de l’Imoca est-il aussi une source importante de développement pour North Sails ?
Il évolue très vite. Les Imoca ont toujours été – je ne dirais pas le parent pauvre – mais les budgets étaient très inférieurs par rapport à ceux de la Volvo. Aujourd’hui, certaines équipes sont assez bien financées et font des choses vraiment intéressantes. Les VPLP, Verdier et autres Juan K sont des gars tout simplement intelligents qui font en sorte que les bateaux aillent de plus en plus vite, mais aussi de les garder en un seul morceau. C’est ma seule crainte.
Et ce marché de l’Imoca est-il important pour vous ?
En France, oui. Notre plancher français va des Mini aux Ultimes en passant par les Figaro et les Imoca, beaucoup de jeunes marins français suivent cette progression qui est intéressante, donc notre atelier est vraiment bon pour ça et a toutes les bonnes raisons de se concentrer là-dessus.
Le monde a donc beaucoup à apprendre de la France ?
Autre que la façon de faire de la course au large ? (sourire) Aujourd’hui, il y a une tendance générale à naviguer en équipage réduit. J’ai d’ailleurs commencé à naviguer en double, je viens de faire la Fort Lauderdale to Key West Race sur un Jeanneau 3300 avec une fille qui s’appelle Suzie Leach et je peux vous dire que je n’ai pas pris autant de plaisir à naviguer depuis très, très longtemps !
Et cette tendance au double touche-t-elle aussi d’autres endroits aux Etats-Unis ?
Sans aucun doute, enfin, espérons-le. En tout cas, ça peut contribuer à faire sortir les gens et les bateaux des ports et les pousser à naviguer. Deux équipiers contre dix sur un bateau de même taille, des bateaux plus accessibles financièrement… Je pense que c’est une progression naturelle et je vais continuer à le faire parce en espérant que les gens, quand ils verront ça, se diront : « Ça a l’air plutôt amusant, laissez-moi essayer ».
Et les courses en solitaire, tu n’aimes pas ça ?
Je ne m’aime pas assez pour naviguer en solitaire… C’est clair pour moi. Après le double est assez proche, je suis parfois en solo quand Susie est au fond du bateau en train de chercher à manger ou que je suis seul sur le pont par une belle nuit, mais je pense que le double est vraiment amusant.
Donc tu es fan de la nouvelle épreuve de large olympique qui sera introduite aux Jeux de Paris ?
Sans aucun doute, c’est un super moteur, qui va contribuer à faire avancer les choses, il n’y a pas de doute dans ma tête que je vais continuer à pratiquer le double mixte.
As-tu milité pour l’introduire au programme olympique ?
Je parle tout le temps à Stan Honey (qui fait partie du « offshore committee » de World Sailing). Je n’ai jamais caché que j’étais un fervent supporter de ce format, j’adore et j’ai toujours adoré naviguer le long des côtes et au large.
La tranche d’âge sur cette épreuve pourrait être bien plus importante que dans toutes les autres classes ?
Oui, complètement, vous pourriez avoir des jeunes de 20 ans et des « jeunes » de 60, ça va vraiment être amusant. Plus l’intérêt va grandir, mieux ce sera pour la voile partout dans le monde.
Que penses-tu des nouveaux AC75 ? Es-tu fan ?
Oui, je le suis, je pense de toute façon que quand quelque chose de nouveau arrive, c’est bon pour la voile en général. Et là, en l’occurrence, quelque chose qui, sur le papier, paraît assez fou, quand on a tous vu les croquis, on s’est tous dit : « Quoi ? ». Et puis, tout d’un coup, tu vois tous ces mecs qui tournent en rond comme s’ils avaient tout sous contrôle. Comme dans toutes les Coupes, les marins finissent par trouver des solutions, là, ce sont les meilleurs marins du monde, je pense que nous allons assister à de belles régates.
Mais la fiabilité et la complexité de ces bateaux semblent poser de vrais problèmes en de moment, non ?
Encore une fois, ils vont finir par prendre la mesure de tout ça. Il ne faut pas y aller trop fort dès le début, il faut commencer doucement, casser, réparer, renforcer et repartir. Pour moi, ça ressemble à la progression naturelle de ce qu’est la Coupe de l’America.
Mais cette fois, les coûts sont vraiment prohibitifs, ne devrait-on pas faire un bateau plus accessible et promouvoir une Coupe avec huit ou dix équipes ?
Ce n’est pas à moi de le dire. A ce stade, je ne sais pas si nous pourrions revenir à des monocoques à quille, je pense que nos meilleurs jeunes marins dans le monde entier sont maintenant accros aux nouveaux bateaux à foils. Ce serait difficile de dire à la génération suivante de renoncer à ce sur quoi elle s’entraîne depuis le début. La Coupe ne sera jamais bon marché, jamais facile d’accès et jamais sans controverse.
Oui, mais il n’y a que trois challengers à l’arrivée…
Ma réponse est de demander si on a vraiment besoin d’être dix pour que la Coupe soit un succès, je ne sais pas. La première Coupe avec de nouveaux bateaux sera toujours difficile d’accès, après, seraient-ils [les défis de la précédente Coupe, NDLR] restés pour une autre Coupe sur les AC50 ? Peut-être. Mais c’est l’America’s Cup, une épreuve qui est dure, c’est comme ça qu’elle marche.
Photo : Claire Matches
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