Après avoir navigué en 2017 sur le Maxi Edmond de Rothschild, avec à la clé une deuxième place sur la Transat Jacques-Vabre, Thomas Rouxel a été appelé en renfort sur la Volvo Ocean Race par Team Brunel, une expérience conclue par une victoire sur la septième étape Auckland-Itajai. Avant de retourner à Lorient aider Sébastien Josse à préparer la Route du Rhum, il s’est confié à Tip & Shaft.
Comment t’es-tu retrouvé sur Team Brunel sur cette étape de la Volvo Ocean Race ?
Quand je me suis engagé l’année dernière avec Gitana, je savais que j’aurais l’opportunité après la Transat Jacques-Vabre d’aller faire une ou plusieurs étapes de la Volvo, j’avais vraiment envie. Du coup, j’avais été naviguer un peu avec Mapfre parce qu’ils cherchaient un remplaçant au cas où. Finalement, ils n’ont pas eu besoin et la connexion avec Brunel s’est faite par l’intermédiaire de Louis Balcaen, un Belge qui navigue avec eux et avec lequel j’avais sympathisé lors de la dernière édition de la Volvo.
Tu avais disputé la dernière Volvo avec Dongfeng qui t’a de nouveau sollicité pour courir la présente édition, pourquoi as-tu refusé et ce choix a-t-il difficile à faire ?
Oui, cela a été compliqué, parce qu’au moment où je devais décider, le Maxi Edmond de Rothschild était en construction, la mise à l’eau était prévue trois mois avant la Transat Jacques-Vabre, donc il y avait quand même un risque de retard, alors qu’en face, j’avais la possibilité de m’engager dans un projet potentiellement gagnant avec deux ans de travail et plutôt bien rémunéré. J’ai mis longtemps à me décider et, ce qui a fait pencher la balance, c’est clairement le bateau : j’étais très excité à l’idée d’aller naviguer sur un nouveau trimaran qui vole, alors qu’à l’inverse, le VO65 n’est quand même pas un super bateau.
Qu’as-tu retiré de cette première expérience de quelques mois sur le nouveau trimaran de Sébastien Josse ?
Le bateau est exceptionnel, il a un potentiel incroyable ! En vitesse moyenne de croisière, c’est juste impressionnant, surtout dans le médium. Et encore, on est très loin de l’exploitation maximale, je suis sûr qu’on va beaucoup progresser cette année et dans les années à venir. Et cette première expérience s’est très bien terminée, parce qu’on arrive à Bahia deuxièmes, ce qui est quand même une belle performance au regard du timing que nous avions.
Comment se démarque-t-il selon toi de Banque Populaire IX ou Macif ?
Je pense que Gitana est plus extrême, un peu plus typé vol que Banque Pop, il a vraiment été imaginé pour voler, pour ne pas toucher l’eau. Donc, nous avons des appendices très différents de ceux de Macif qui, pour le coup, n’était pas du tout fait pour voler. Ils sont aussi un peu différents de ceux de Banque Pop, les nôtres sont plus profonds pour voler plus haut. Après, il y a plein d’autres trucs, sur les formes des voiles, les angles de tir de points d’écoutes… Gitana est aussi plus gros que Macif, un peu plus que Banque Pop.
Revenons sur la Volvo, comment s’est passée ton intégration au sein de Team Brunel ?
Je ne connaissais personne en dehors de Louis Balcaen et de Yann Riou, le media man. Ce qui est assez marrant, c’est que quand je suis arrivé à Auckland et que j’ai croisé Bouwe Bekking, il ne m’a pas reconnu, il m’a dit bonjour et est reparti en se disant qu’il avait dit bonjour à un mec, ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’il a compris que c’était moi qu’il avait appelé pour faire la Volvo ! Après, pendant la période à Auckland, je n’ai pas beaucoup vu l’équipage qui avait vraiment pour objectif de se reposer au maximum. Et, en mer dans le Sud, avec le froid, les cagoules, la capuche et le ciré qui remonte juste au-dessus du nez, finalement, tu ne discutes pas beaucoup ! C’est plus sur la fin de l’étape que nous avons pu échanger.
Brunel avait fait une mauvaise première partie de Volvo, as-tu senti au départ de l’étape qu’il y avait un peu de pression ?
Oui, Bouwe Bekking avait annoncé clairement au départ que les sponsors n’étaient pas contents et qu’il fallait performer sur cette étape. Maintenant, je pense que l’équipe était déjà vraiment très forte, ils vont vite, ce sont tous de très bons marins, il y a plein de très bons barreurs à bord. L’étape d’avant, ils avaient vraiment manqué de réussite sur une option météo un peu risquée, du coup, ils avaient fini derniers alors qu’ils avaient été en tête pendant plusieurs jours. Donc je pense qu’ils étaient déçus de leurs performances, mais pas pas vraiment inquiets sur leur potentiel.
Où s’est faite la différence sur cette étape ?
Sur des petits détails : Capey [Le navigateur Andrew Cape, NDLR] a fait un très bon boulot sur quelques petites bascules de vent, après, je pense que nous avons bien poussé le bateau, nous n’avons pas eu d’ennuis majeurs, pas de gros départs au tas qui font tout de suite perdre 4 ou 5 milles, tous ces petits détails expliquent qu’à la fin, tu passes au Horn avec quelques milles d’avance. Après, on savait que potentiellement, il y aurait un nouveau départ après le cap Horn ; finalement, la situation s’est pas mal enchaînée, avec Mapfrequi s’est arrêté, Vestas qui a eu son problème de mât… Du coup, il n’y avait à la fin plus que Dongfeng qui était vraiment inquiétant. C’était assez stressant, parce qu’on s’était donné du mal pour y arriver et qu’on estimait que cette victoire était méritée. On aurait été très frustrés de se faire dépasser sur la fin, mais l’ambiance à bord est toujours restée hyper zen. Là-dessus, ils sont vraiment impressionnants, c’est assez différent de ce que j’avais connu chez Dongfeng : Bouwe Bekking a tout le temps le sourire, même quand on perd 5 milles.
Quel était le sentiment à l’arrivée ?
Tout le monde était hyper content, il y avait aussi beaucoup de soulagement. D’autant qu’au niveau comptable, le résultat est exceptionnel, avec les points qui comptent double et les deux points de bonus.
Tu arrives sur le bateau, Team Brunel gagne, t’ont-ils demandé du coup de rester avec eux ?
Oui, ils m’ont proposé de faire l’étape transatlantique, mais je ne pourrai pas la faire parce que j’ai des engagements avec Gitana, le contrat était clair dès le début. Après, je suis juste arrivé au bon endroit au bon moment, même sans moi, ils auraient gagné, c’est sûr.
Que penses-tu avoir appris sur cette étape ?
C’est intéressant de voir comment Bouwe Bekking manage l’équipe, de voir comment Pete (Peter Burling) navigue, de voir comment Capey fait la navigation. Pour la nav, c’est très différent de ce que j’avais connu avant, il est vraiment très bon en informatique, du coup, il a plein de systèmes, de fichiers qui permettent d’avoir toutes les infos dont tu as besoin, c’est très rigoureux. Par contre, il ne parle quasiment pas, il pourrait même se passer de parler au skipper ! En fait, il envoie un mail sur l’iPad du bord, destiné à tous les équipiers, dans lequel il y a toutes les informations liées à la navigation à venir, les comptes rendus des performances des barreurs sur les dernières heures… Après, il échange quand même de temps en temps avec le skipper et les chefs de quart.
Parlons de la disparition de John Fisher, à quel moment l’avez-vous appris et quelle a été la réaction à bord ?
On l’apprend par Capey, j’étais sur le pont en train de régler, il nous a annoncé quelques heures après le drame, on a juste eu un mail qui disait « man overboard » sur Scallywag et qu’ils n’avaient pas retrouvé le gars, on en a su plus en arrivant à Itajai. Sur le coup, ça jette un gros froid, pendant quelques quarts, tu es moins dans la course, tu attaques moins, tu ne penses qu’à ça.
Avez-vous eu du coup des consignes de Bouwe Bekking pour moins pousser ?
Non, pas du tout. Il n’y a pas eu de mots, mais dans leur comportement, on a senti à un moment que Capey, Bouwe et Pete nous faisaient comprendre que la course n’était pas finie et qu’il fallait continuer à attaquer, c’était une façon, je pense, de nous remotiver.
On parle depuis de la dangerosité des VO65, pas suffisamment protégés, quel est ton avis sur la question ?
C’est sûr que le bateau n’est pas protégé et que c’est dur pour les organismes, mais dans ce cas précis [John Fisher a été balayé par l’écoute de grand voile lors d’un empannage involontaire, NDLR], on a affaire à une fortune de mer qui peut arriver sur n’importe quel bateau. Ce n’est pas parce que le cockpit n’est pas protégé que John est tombé à l’eau, la problématique n’est pas là. Après, je n’ai jamais caché que je n’aime pas ce bateau, il n’est pas performant et j’espère que les prochains seront plus protégés.
On parle en ce moment de faire passer la Volvo en Imoca, que penses-tu de cette idée ?
Je suis très partagé là-dessus. Je pense qu’aujourd’hui, si on ne fait rien, la Volvo n’est pas sûre de repartir. Après, si on fait un Imoca pour faire du solo, il risque de ne pas être assez costaud pour faire de l’équipage, ou alors il faudra vraiment adapter la façon de naviguer ; et à l’inverse, si on fait un Imoca pour faire de l’équipage puis le Vendée, il ne sera pas suffisamment optimisé, donc pas gagnant pour faire le Vendée. Mais je pense qu’économiquement, ça peut être une bonne solution de faire des bateaux pour la Volvo et de les utiliser ensuite sur le Vendée pour faire des projets, même s’ils ne seront pas forcément gagnants.
Parlons de ton avenir pour finir : quels sont tes projets ?
C’est une très bonne question ! (Rires). Ce qui est sûr, c’est que cette année, je vais continuer à travailler chez Gitana pour préparer au mieux la Route du Rhum, tout faire pour que Seb la gagne – je serai aussi son remplaçant si jamais il lui arrive quelque chose. Je serai donc là sur toutes les navigations, lors des réunions techniques, je vais tout faire avec Seb comme si je partais. Pour la suite, je ne sais pas trop, je regarde d’un œil intéressé l’arrivée des nouveaux Figaro, j’aimerais bien refaire la Solitaire. Après, je suis quand même beaucoup plus excité par les multicoques que par les monocoques. Aujourd’hui, c’est soit de l’Ultime – mais ça paraît compliqué si tu n’as pas le bon contact – soit du Multi50, un super bateau : j’adorerais faire ça, mais ce n’est pas facile à vendre. Il y aussi le Tour de France, ça peut être sympa, ils ont l’air de s’éclater sur le Tour.
Ces dernières années, tu as beaucoup travaillé pour les autres, as-tu envie d’avoir un projet plus personnel ?
Ça pourrait me plaire si le projet sportif est intéressant, mais ce n’est pas non plus un désir profond, ça ne me manque pas. Aujourd’hui, je suis très content de faire ce que je fais, je m’éclate à naviguer sur des super projets.