Prévisionniste météo de Dongfeng Race Team, Marcel Van Triest a joué un rôle capital dans la victoire finale du team chinois sur la Volvo Ocean Race : c’est lui qui a fortement conseillé à Charles Caudrelier et Pascal Bidégorry de choisir l’option à terre dans la descente vers La Haye. Pour Tip & Shaft, celui qui routera Armel Le Cléac’h lors de la prochaine Route du Rhum-Destination Guadeloupe revient sur cette folle fin de course.
Marcel, peux-tu nous raconter comment s’est fait le fameux choix de la route est ?
Pour moi, cette option était déjà très valable quatre jours avant le départ de Göteborg, j’ai évoqué avec Charles et Pascal assez tôt cette possibilité qui s’est confirmée dans les jours suivants. Elle ne te donnait pas un jour d’avance à l’arrivée, mais je trouvais tout le temps que les risques étaient plus importants avec la route extérieure au DST.
Quels étaient les avantages et les inconvénients des deux routes ?
Il y avait deux risques à l’extérieur : le premier, c’est qu’il faisait beau en Angleterre avec des extensions possibles de l’anticyclone vers le sud de la Mer du Nord et vers le DST qu’il fallait contourner, avec le risque de se retrouver bloqué par le DST ; le second, c’était que pour revenir vers la côte, tu avais le vent « plein cul », cela signifiait tirer des bords au portant dans du vent faible. La route intérieure avait plus d’avantages : d’abord, une fois que tu divergeais au nord du Danemark, tu allais plus vite parce que tu étais plus abattu, après, quand tu rentrais dans le « chenal » entre le DST et la côte, c’était certes un angle plus serré et plus long que la route extérieure, mais dans plus de vent ; enfin, une fois que tu descendais plein sud le long de la côte hollandaise, tu avais la garantie d’avoir un angle rapide avec plus de vent que les bateaux au large. Au final, c’était une route plus longue de 9 milles, plus rapide au début, moins dans la deuxième portion, plus à la fin, avec surtout davantage de certitudes. La route extérieure, c’était d’abord un peu plus long dans le reaching, ensuite plus rapide parce que tout droit, mais avec plus d’incertitudes à la fin. Après, quand ils ont pris leur décision, mes conseils dataient de deux jours et demi, donc c’est un peu trop de dire que c’était décidé avant le départ, il fallait voir si le schéma allait évoluer. Et ça se joue à très peu, ils sont devant, mais de justesse. Je pense que celui qui a vraiment fait la plus grande erreur, c’est Mapfre.
Pourquoi ?
On voit bien sur leur trajectoire qu’ils ont hésité : ils étaient devant Dongfeng, à un moment, ils pointent vers la côte danoise mais d’un seul coup, ils lofent de 20 degrés et changent de voile pour revenir vers l’extérieur, ils ont perdu 4 milles dans l’affaire. S’ils avaient décidé de leur route à partir de la Norvège, je pense que même en prenant l’extérieur, ils auraient gagné, cette hésitation leur a coûté cher.
Penses-tu que cette hésitation a joué dans le choix de Dongfeng d’aller à l’intérieur ?
Je ne sais pas, je viens d’arriver à La Haye [interview faite vendredi matin, NDLR], je n’ai pas encore parlé avec Pascal et Charles, mais ils ont forcément vu que Mapfre était avec eux et qu’ils ont changé, je pense qu’à ce moment-là, ils ont dû douter. Heureusement, ils ont continué…
Et toi, as-tu douté ?
Oui, j’ai tout le temps eu des doutes ! D’abord quand ils ont fait l’extérieur en approchant de la Norvège, ils se sont retrouvés deux fois du mauvais côté de la bascule alors qu’ils étaient devant, ce qui a permis à Mapfre de passer en tête. Ensuite parce que, à l’extérieur, ce n’était pas si léger que je l’espérais avant d’arriver sur la Hollande. L’option 1 de mon plan ne marchait pas vraiment ; heureusement, l’option 2 a fonctionné, dans le sens où, à la fin, la direction du vent a fait la différence : Mapfre et les autres avaient besoin de tirer des bords bien carrés dans pas beaucoup de vent pour revenir vers La Haye, là où Dongfeng était à fond la caisse.
A l’arrivée, Charles a insisté sur le fait qu’ils avaient suivi tes préconisations, ce qui n’avait pas été le cas sur l’étape entre Newport et Cardiff, peux-tu nous en dire plus ?
Je leur avais en effet conseillé la route sud suivie par Brunel [vainqueur de l’étape, NDLR] et compagnie. Avant le départ de l’étape, je ne m’impose pas, j’évoque les différents scénarios possibles avec ce que je sais au moment où je leur expose. Ensuite c’est à eux, en mer, de faire les choix. Mais sur les deux dernières étapes, Pascal m’a demandé de m’imposer plus, de ne pas laisser trop de doutes. Donc à Göteborg, j’ai été plus insistant que je ne l’avais été sur l’étape transatlantique.
Penses-tu que sur ce tour du monde, Dongfeng a parfois été trop focalisé sur le marquage deMapfre au détriment des bonnes routes à suivre ?
Oui, certainement, mais c’est normal. Je pense notamment à la descente vers Hongkong. Ils ont fait beaucoup de match-race pendant le tour du monde, ça explique en partie pourquoi Brunel est revenu dans le jeu.
As-tu, sur la fin de la course, tenté de remobiliser Charles et Pascal qui avaient parfois tendance à douter, notamment du fait de ne pas gagner d’étape ?
Je ne vais pas dire que je leur remontais le moral, mais naturellement, je leur rappelais qu’ils étaient dans le coup. Par exemple à Göteborg, je leur ai fait un classement « bidon », ne tenant pas compte des points de bonus ou des points doubles, pour voir réellement la performance du bateau, et dans ce classement, ils étaient clairement en tête. Je leur ai dit que ça démontrait qu’ils étaient constants, rapides, et qu’il ne fallait pas qu’il se remettent en cause. Au contraire, ils devaient avoir confiance dans leurs acquis.