Sur quel bateau se disputera la quatorzième édition de la Volvo Ocean Race ? Le 18 mai 2017, mettant fin à un suspense savamment entretenu, Mark Turner, alors CEO de la course autour du monde, annonçait que le successeur du VO65 serait un monocoque de 60 pieds à foils, doté de safrans à plans porteurs, dessiné par Guillaume Verdier et son équipe, “compatible” avec la jauge Imoca. Quatre mois plus tard, coup de théâtre, Mark Turner démissionnait sur fond de désaccord avec les actionnaires de la course qui, comme Tip & Shaft l’a révélé, souhaitaient temporiser avant de lancer la construction des huit monotypes Super 60 prévus au printemps 2019. Au même moment, l’Imoca faisait savoir qu’elle s’était prononcée contre la compatibilité des futurs Super 60 avec sa propre jauge, comme l’avait, là aussi, expliqué Tip & Shaft.
Depuis, peu d’informations fiables avaient filtré sur le sujet. Mais de nombreuses rumeurs sur l’intérêt de la nouvelle équipe de direction de la course pour l’Imoca circulaient à intervalles réguliers, indiquant que le sujet était bien sur la table, comme l’a écrit Ouest-France cette semaine. A tel point qu’Antoine Mermod, président de la classe Imoca, a été invité à rencontrer les dirigeants de la Volvo Ocean Race lors de l’escale hongkongaise de cette dernière, voilà deux semaines. Au menu : non plus l’éventuelle compatibilité Imoca du prochain monotype Volvo mais bel et bien la possibilité pour les bateaux répondant actuellement à la jauge Imoca de participer à la prochaine Volvo Ocean Race !
Contacté par Tip & Shaft, Antoine Mermod nous a confirmé ces discussions, tout en insistant sur le fait qu’à ce stade, ce n’était qu’une hypothèse parmi d’autres étudiées par les organisateurs de la Volvo Ocean Race. “Nous travaillons sur un potentiel projet pour que la Volvo se fasse en Imoca, avec les bateaux qui seraient les mêmes entre le Vendée Globe 2020 et la Volvo 2021. Quand les organisateurs de la Volvo Ocean Race ont étudié le Super 60, ils se sont rendus compte que les Imoca n’étaient finalement pas si éloignés de ce dont ils avaient besoin. Nous réfléchissons à la faisabilité du projet, mais ça reste très préliminaire pour l’instant”. Du côté de la Volvo Ocean Race, on juge prématuré tout commentaire sur le sujet, tout en reconnaissant “des conversations et une des options possibles”.
La réflexion menée de part et d’autre signifie en tout cas que du côté de la Volvo Ocean Race, on est prêt à siffler la fin de la monotypie. “Je pense qu’il y a une demande générale chez les coureurs de redonner de la place à du développement, assure Bruno Dubois, directeur de Dongfeng Race Team, qui précise s’exprimer en son nom propre. L’idée ne serait plus d’avoir juste un monotype, comme avait été proposé le plan Verdier, mais de permettre à un plan Verdier, un plan VPLP et à un plan Juan K. de courir la Volvo”.
De retour de Hongkong, Antoine Mermod a évoqué le sujet auprès des adhérents de l’Imoca afin de prendre leur pouls, il estime que “les retours sont plutôt très positifs”. Le président de l’Imoca est de son côté clairement enthousiaste : “Si ça doit voir le jour, on se retrouverait avec les deux plus grandes courses autour du monde dans la même classe, ce serait exceptionnel !” Tip & Shaft a interrogé plusieurs skippers et teams sur le sujet. Certains ont préféré attendre d’en savoir plus pour se prononcer. D’autres, à l’image de Fabrice Amedeo, sont franchement emballés : “C’est hyper positif, je n’y vois que des avantages. Il m’a souvent été reproché, lorsque je rencontrais des prospects, que notre classe était trop franco-française et que nos courses manquaient de résonance internationale. Une entreprise comme Newrest, si je lui dis qu’après le Vendée Globe, il y a un tour du monde dans neuf pays, je suis sûr que c’est un sujet qui devrait l’intéresser “.
Même accueil chez l’ancien président de la classe Imoca, Luc Talbourdet, patron de l’écurie Absolute Dreamer : “Je pense qu’un sponsor comme Virbac, très tourné vers l’international, aurait été intéressé par un tel projet. En plus, cela permet à une équipe Imoca qui a déjà rentabilisé son bateau d’aller faire la Volvo à un coût moindre que si tu pars de zéro. Ça rend la marche moins haute pour un sponsor français qui veut aller à l’international”. Bruno Dubois ajoute : “Des sponsors français qui n’étaient pas forcément intéressés par un programme très franco-français seront peut-être davantage convaincus d’embarquer dans la voile s’ils savent qu’ils peuvent enchaîner Vendée Globe et Volvo, c’est une ouverture potentiellement exceptionnelle“.
Le projet pourrait en outre accélérer l’internationalisation de l’Imoca, serpent de mer de la classe depuis des années : “Quelques équipes Imoca vont aller vers la Volvo et inversement, des équipes Volvo, comme elles ont acheté un bateau, vont aller courir des épreuves Imoca, analyse Luc Talbourdet. Cela permettrait d’avoir un calendrier complet qui ne s’entrechoquerait ni avec le Vendée Globe, ni avec la Barcelona World Race ni avec la Route du Rhum. Et ce serait formidable que les meilleurs marins du large naviguent les uns contre les autres“.
Seule voix légèrement dissonante parmi les témoins que nous avons interrogés, celle de Romain Attanasioqui, s’il trouve “l’idée géniale et évidente”, à même de “tirer la classe vers le haut“, s’interroge : “J’ai peur qu’on ouvre la boîte de Pandore et que débarquent en Imoca des équipes comme Mapfre avec des budgets de 25 millions d’euros qui risquent à terme de tuer les petits projets comme le mien“.
Reste que l’idée est encore loin d’aboutir à un projet ficelé et entériné, comme le rappelle Antoine Mermod : “Aujourd’hui, la Volvo Ocean Race et l’Imoca se sont donné un certain nombre de sujets de travail sur lesquels on réfléchit chacun de notre côté. D’ici quelques semaines, si on pense qu’il n’y a pas de grains de sable trop gênants, on pourrait aller plus loin, mais on n’en est pas encore là. Et si ça ne voit pas le jour, ça ne changera pas grand-chose à notre histoire qui est déjà très belle“.