Team manager de Team AkzoNobel, Gilles Chiorri aura vécu un début de Volvo Ocean Race compliqué avec une crise qui a secoué le team néerlandais. Depuis, les choses semblent être rentrées dans l’ordre et l’équipage mené par Simeon Tienpont est sur une courbe ascendante, en témoigne sa victoire sur l’étape Hongkong-Melbourne. Avant le départ de la Leg 8 à destination d’Itajai (Brésil), l’ancien directeur de course de la Solitaire du Figaro et de la Route du Rhum se confie à Tip & Shaft.
Team AkzoNobel reste sur une belle victoire d’étape à Auckland, est-ce le signe d’une montée en puissance après une entame de Volvo compliquée ?
Nous sommes partis très bas avec des gros problèmes de cohésion, mais, petit à petit, le groupe trouve son équilibre et cette victoire est une belle récompense. Il y a aussi le fait que, dans un cadre de monotypie, des bateaux comme Mapfre et Dongfeng, qui ont plus navigué en amont, approchent des 100% de l’utilisation du bateau, alors que ceux qui, comme nous, sont partis plus tard, sont sur une courbe de progression ascendante. Nous avons été la première équipe inscrite à la Volvo, mais nous avons malheureusement reçu notre bateau quasiment les derniers. Du coup, on s’est peu entraînés avec les autres, on avait forcément des carences au départ. Là, nous commençons à trouver les bonnes clés, grâce notamment à une cellule performance qui travaille dans l’ombre et nous a apporté un certain nombre de réponses.
Lesquelles ?
Un affinement des polaires, des détails dans l’utilisation des voiles, dans les combinaisons de réglages quille-dérive-grand-voile. Ça passe aussi par l’observation des autres bateaux, on décortique toutes les vidéos qui passent sur Internet, c’est le jeu de la Volvo ! C’est d’ailleurs pour ça que les OBR [On-board reporter, NDLR]sont briefés pour bien s’assurer que n’apparaissent pas dans leurs images des infos susceptibles d’être vues par les concurrents, du style un gros plan sur les écrans où s’affichent les datas. Avec la monotypie, tu peux vite, à partir de certains plans pris à bord ou des drones, avoir quelques informations sur le plan de voilure, les performances… Ce n’est pas systématique, mais ça nous est arrivé de tirer un certain nombre de conclusions…
Tu parlais de gros problèmes de cohésion, est-ce lié aux conflits du début de Volvo avec l’annonce du départ de Simeon Tienpont, finalement réintégré ? Peux-tu nous dire ce qu’il s’est passé ?
Il y a eu une grosse crise à Alicante avant le départ, comme d’autres équipes pourront en avoir plus tard. Nous pensons avoir passé le plus difficile : jusqu’à récemment, on était dans la reconstruction, on est maintenant dans la consolidation. Sur la Volvo, ce sont de grosses équipes avec beaucoup d’enjeux et de gros egos, forcément, à un moment donné, il peut y avoir des clashs. Il y a eu ensuite une recomposition de l’équipage et le meilleur des ciments, c’est de se construire un vécu en mer et d’avoir des résultats. Là, on voit qu’il y a des sourires à bord.
Cela t’a-t-il amené à t’interroger sur ton avenir personnel au sein de l’équipe ?
C’est sûr que dans de tels moments tu es dans la souffrance, alors que, jusqu’à présent, la plupart de mes projets s’étaient plutôt déroulés de manière assez riche humainement. Tu te poses forcément des questions, mais quand tu regardes la globalité du projet, tu te dis que ce que tu vis est excessivement riche de décisions et de diversité. Mon rôle de team manager couvre un très grand nombre d’aspects, de la com au technique en passant par le marketing, le commercial, les hospitalités, le sportif… c’est génial.
Quel est l’objectif de Team AkzoNobel sur cette Volvo ?
A la naissance du projet, il y a plus d’un an et demi, l’objectif était clairement de gagner la course, c’était en tout cas celui qui était annoncé par le skipper. On a ensuite un peu corrigé le discours après tous les soubresauts qu’on a connus. Aujourd’hui, l’objectif de gagner reste mathématiquement atteignable et on y travaille, mais si on termine sur le podium, on sera contents.
Comment vois-tu la seconde partie de la course ?
L’étape qui vient est une étape de gros bras, sélective, qui s’annonce décisive. D’abord techniquement, parce qu’on y a souvent vu de la casse ; il n’y a pas de portes de glaces, mais une zone interdite qui va nous faire naviguer relativement nord, ce qui veut dire qu’on peut se retrouver à faire du près dans du mauvais temps. Ensuite, au niveau des résultats, puisqu’elle compte double avec un point de bonus au cap Horn. Cela veut dire que contre-performer ou casser peut avoir des conséquences majeures. Inversement, performer consolide ta place au classement, voire te permet de changer d’objectifs selon ce qui se passe chez les autres. Ensuite, après l’étape Itajai-Newport assez classique au niveau de la longueur, on est dans un vrai sprint avec des étapes qui s’enchaînent très vite, les trois dernières en un mois. C’est là qu’existe un risque d’essoufflement, et qui dit essoufflement dit fatigue, éventuelles blessures, tensions humaines, manque d’inspiration… La gestion de la durée est capitale sur la Volvo : il faut être capable d’accompagner un groupe de 35-45 personnes jusqu’au bout, de s’assurer que tout le monde trouve sa satisfaction et que personne n’empoisonne pas le groupe.
Beaucoup de marins pointent du doigt la dureté de la Volvo Ocean Race, va-t-on trop loin ?
Non, parce que par rapport à la dernière édition, rien n’a changé, en dehors du fait que, comme nous nous situons à un niveau plus élevé dans la courbe de connaissance des bateaux, chacun pousse un peu plus loin. Sinon, ce sont les mêmes bateaux, très exigeants, excessivement humides, avec beaucoup de charges. Contrairement à un Imoca où tu es plus dans la glisse, sur un Volvo, tu es sans cesse en train de régler, il faut « muler », tu es souvent dans l’effort au sens propre comme au sens figuré.
Parlons maintenant d’avenir : Team AkzoNobel sera-t-il encore là sur la prochaine Volvo ?
Pour l’instant, on ne se pose pas la question. Nous étions jusque-là la tête dans le guidon, on commence juste à relever la tête en prévision de la suite. Mais ça dépendra forcément de plusieurs paramètres, dont le résultat sportif. Pour l’instant, les sponsors sont contents du déroulé mais je ne suis pas à la place du board et je ne préjugerai pas de la suite, c’est trop tôt.
Quel est ton avis personnel sur le futur bateau ?
Je crois que la tendance est d’aller vers les Imoca, je pense que ce n’est pas idiot. Après, ça pose pas mal de questions : les bateaux qui arriveront au lendemain du Vendée auront-ils le temps d’être modifiés pour des équipages si la Volvo a lieu en 2021 ? Tels qu’ils sont construits aujourd’hui, seront-ils assez solides pour faire la Volvo en équipage ? Aujourd’hui, la première réflexion est de se dire qu’on prend les bateaux sur le marché, mais on peut aussi imaginer un scénario inverse avec des Imoca neufs typés d’abord Volvo et équipage, qui disputeraient ensuite leur premier Vendée en 2024. Parce que je ne suis pas sûr qu’une équipe Volvo serait disposée à ne récupérer son bateau qu’en mars 2021 et à ne se préparer qu’en quatre-cinq mois sur un nouveau support. S’il y a des grosses écuries comme celle d’Alex Thomson qui peuvent le Vendée et la Volvo,je pense qu’il n’y aura qu’une portion congrue de la flotte du Vendée 2020 qui ira ensuite avec les mêmes sponsors/skipper/bateau sur la Volvo. Parce qu’un budget Volvo, c’est beaucoup, beaucoup d’argent… Il est donc important de s’assurer qu’on a bien un plateau suffisant pour faire la Volvo en Imoca. Aujourd’hui, les parties discutent, mais il reste encore du chemin à faire.
Et de quoi sera fait ton avenir personnel ?
Après la Volvo, il y aura sans doute d’abord quelques semaines d’activation avec AkzoNobel. Ensuite, je vais me poser un peu jusqu’à la fin de l’année. La course au large est un monde d’opportunités, je peux très bien rebondir sur une nouvelle campagne comme celle-là ou me réorienter vers la direction de course. J’ai toujours cette casquette, et même si les courses françaises ne m’ont pas attendu, je suis en discussion avec quelques épreuves.
Pourquoi pas la direction de course de la Volvo, qui serait un compromis entre tes dernières expériences professionnelles ?
Compliqué ! C’est quand même un monde très anglo-saxon, je ne suis pas sûr que Volvo voie d’un très bon œil l’arrivée d’un Français. Mais, encore une fois, si jamais l’Imoca vient mettre le pied là-dedans et qu’il commence à y avoir un peu plus de Français, ça peut changer un peu le centre de gravité…