En terminant 4e début avril du Trofeo Princesa Sofia à Palma, Tim Mourniac et Lou Berthomieu ont assuré leur sélection en Nacra 17 pour les Jeux olympiques de Paris 2024, parvenus à prendre le dessus sur leurs rivaux tricolores Billy Besson et Noa Ancian. Depuis, le jeune duo s’est concentré à Marseille sur la préparation finale des JO, avec des ambitions de podium. Tip & Shaft a échangé avec le barreur de 25 ans.
▶︎ Vous arrivez bientôt au terme de votre préparation olympique avec Lou, marquée notamment par une première phase, jusqu’en avril dernier, où il fallait gagner votre sélection, cette période a-t-elle été éprouvante pour vous ?
Oui, carrément ! Une sélection olympique, c’est toujours éprouvant, mais pour nous, ça a encore été plus dur avec la blessure de Lou [au genou, en juillet 2023, synonyme de six mois d’arrêt, NDLR]. On a vécu de vraies montagnes russes, mais à l’arrivée, je suis super fier de l’histoire qu’on a écrite.
▶︎ As-tu douté de vos chances d’être sélectionnés suite à cette blessure ?
Non, parce qu’à ce moment, on était plutôt en avance sur nos concurrents français. C’est clair que si on avait été un peu derrière Billy et Noa, la situation aurait sans doute été très différente à vivre. Et le fait d’avoir navigué avec Aloïse [Retornaz, qui a remplacé provisoirement Lou Berthomieu, NDLR] m’a permis de continuer à rester au contact du bateau et de la flotte internationale, et comme ça a marché [8e place aux Championnats d’Europe de Vilamoura, NDLR], ça a été un énorme bonus. En plus de faire preuve de capacités d’adaptation incroyables, « Alo » m’a apporté beaucoup en termes de partage d’expérience, on a pu discuter préparation olympique, comment appréhender les Jeux… Et techniquement, on a fait quelques petites mises à jour qu’on a présentées à Lou quand elle est revenue, ça a été une vraie opportunité pour elle de changer certaines postures qui ont été vachement bénéfiques pour la suite.
▶︎ Comment s’est passée la concurrence avec le duo Besson/Ancian ?
Au départ, on n’était pas avantagés, parce que Billy, avec son passé de quadruple champion du monde, était considéré comme le leader de la discipline aux yeux de la Fédération, avec pratiquement l’intégralité des moyens alloués. Ce n’était pas très facile à encaisser, et d’un point de vue humain, ça a été dur à vivre la première année. Donc on a décidé de partir de notre côté, déjà pour retrouver goût à ce qu’on faisait, ensuite pour éviter que ça aille au clash. Noa est mon ancienne équipière, j’ai beaucoup d’estime pour elle, et Billy est une de mes idoles d’enfance, je n’avais aucune envie d’aller au clash avec eux. Du coup, on a préféré éviter le contact et on a créé notre cellule perso, avec mon père [Jean-Christophe Mourniac, qui a suivi deux préparations olympiques en Tornado, mais sans aller aux Jeux, NDLR] comme coach, et un fonctionnement logistique à part. Ça a été énormément de sacrifices au niveau financier, particulièrement pour mes parents, parce que mon père a été complètement bénévole pendant deux ans, mais ça valait le coup.
“On est sur une pente
qui a l’air d’être ascendante”
▶︎ Finalement, vous gagnez votre sélection en terminant 4e à Palma, y avait-il une grosse pression ?
On savait qu’on était plutôt en avance, mais on était aussi bien conscients que sur cette régate, c’était la dernière impression que tu donnais, donc il ne fallait pas non plus se rater. A l’arrivée, on termine quatrièmes en remportant la medal race, les émotions à la fin de Palma étaient vraiment incroyables.
▶︎ Passe-t-on dans un autre mode une fois la sélection acquise ?
Il y a d’abord eu une phase de digestion, parce que tu t’es tellement battu pour décrocher cette place qu’il faut un petit temps de décompression pour réaliser et fêter ça avec ceux qui t’ont entouré. Après, tu sais aussi que ce n’est qu’une étape et qu’il faut vite basculer vers l’objectif suivant, se remettre au travail avec une feuille de route claire jusqu’à la première manche des Jeux.
▶︎ Quelle était cette feuille de route pour vous ?
Depuis le début de notre PO, du fait de cette tension liée à la sélection et de la blessure de Lou, on n’avait jamais pris le temps de tester du matériel, donc c’est le premier chantier post-sélection qu’on a ouvert. Après, on s’est concentrés sur le fait de bien prendre possession du plan d’eau et de ses spécificités pour entrevoir les solutions stratégiques au quotidien. Et la dernière phase, c’est la régate pure, les petites situations qui, le jour J sur l’eau, feront la différence. Aujourd’hui, je pense qu’on a coché les grandes cases, on est vraiment dans une phase d’affûtage : les derniers choix de matériel, la préparation du bateau aux petits oignons, recharger les batteries au maximum… Le sentiment qui prédomine en ce moment, c’est qu’on est sur une pente qui a l’air d’être ascendante, on va essayer de surfer là-dessus.
“L’olympisme, c’est
la voile à l’état pur“
▶︎ A quoi pouvez-vous prétendre sur ces Jeux au regard du plateau ?
Clairement les Italiens [Tita Ruggero et Caterina Banti, tenants du titre] sont les grands favoris, sans doute aussi les Anglais [John Gimson/Anna Burnet], ensuite, c’est très ouvert entre la troisième et la huitième place. Si on regarde dans le détail tous les résultats de cette PO, beaucoup d’équipages ont décroché cette troisième place au classement des pays, dont nous, deux fois à Palma, donc on est pas mal à y prétendre. Ce qui est sûr, c’est que je suis très content de notre position, on est des outsiders complets, on est plutôt cachés et on vit bien comme ça. On est bien conscients qu’on a encore des trous, qu’on va vivre des hauts et des bas, mais on sait aussi que les Jeux vont surtout se jouer sur les points forts, l’objectif est de les maximiser. On veut être libres dans notre tête, lucides et jouer pour « rester en vie » jusqu’à la medal race, c’est-à-dire à portée de points d’une médaille olympique.
▶︎ As-tu une idée de ce qui t’attend après les Jeux ? Quelles sont tes envies ?
L’idée d’une prochaine PO fait peu à peu son chemin, mais tout dépendra des opportunités. Ce qui est sûr, c’est que, depuis maintenant 2016, le vrai truc qui m’anime, c’est de naviguer sur des bateaux volants, donc j’adorerais aller sur la Coupe de l’America ou sur des multicoques de large.
▶︎ Tu as fait partie du défi Orient Express Racing Team (remplaçant en AC40 l’an dernier, sa sœur Lou est membre de l’équipage jeune), la Coupe, c’est le Graal pour toi ?
Depuis que j’ai 7 ans, j’ai toujours dit que mon rêve était de gagner la Coupe de l’America. J’ai vu mon oncle [Philippe, aujourd’hui directeur de l’équipe de France de voile olympique] naviguer à Valence, je suis ensuite devenu fan d’Emirates Team New Zealand… pour moi, l’olympisme était juste une carte de visite pour aller ensuite sur la Coupe. Après, quand tu mets le nez dans l’olympisme, la perception change, parce que c’est la voile à l’état pur et ça procure des émotions incroyables, si bien que le rêve de Coupe s’est transformé en rêve de médaille, mais oui, j’espère basculer un jour sur la Coupe. Est-ce que ce sera dans trois semaines ou dans quatre ans ? Je ne sais pas et je ne suis pas pressé, ce que je veux, c’est y aller quand je serai prêt.
Photo : Sailing Energy