Après une première partie d’année 2019 consacrée au circuit Diam 24 avec le Team 100% féminin La Boulangère qui a terminé 12e du Tour Voile, Mathilde Géron a enchaîné début août sur une deuxième place au championnat du monde féminin de match-racing avec la Mermaid Sailing Team de Claire Leroy. Dans la foulée, elle a postulé et été retenue avec Pierre Leboucher pour représenter la France au premier championnat d’Europe de course au large organisé du 8 au 11 octobre entre Venise et Trieste. L’occasion d’échanger avec l’ex-spécialiste du 470 (4e aux Jeux de Londres) qui n’a encore jamais passé plus d’une nuit en mer.
Quel bilan as-tu dressé de ta deuxième participation au Tour Voile avec l’équipe La Boulangère ?
Il est assez mitigé, parce que nous avons vraiment bien commencé, presque trop bien, nous étions dans les cinq premiers après trois étapes, malheureusement, nous avons eu du mal à tenir le rythme. Nous avons connu trois journées de stadium à vide qui nous ont plombé le Tour, parce que sans ces trois journées manquées, nous aurions terminé autour de la septième place, ce qui correspondait plus à notre objectif, nous voulions vraiment rentrer dans le Top 10. C’est difficile d’expliquer pourquoi, il nous a manqué de la lucidité, de la réussite, sans doute de la fraîcheur aussi, parce que nous n’avons fait le Tour qu’à quatre et non à cinq, Sophie (de Turckheim) n’était pas là cette année, elle terminait ses études de kiné.
Quel bilan plus global fais-tu de la saison de Diam 24 ?
Nous sommes un peu reparties de zéro en changeant une bonne partie de l’équipage, Sophie était à l’école et Elo (Elodie-Jane Mettraux) était enceinte, nous les avons remplacées par Amélie (Riou) qui n’avait jamais fait autre chose que du Nacra et du Laser, et Louise (Acker), il a fallu les former, ce qui a forcément pris un peu de temps. Mais au fur et à mesure de la saison, nous sommes bien montées en puissance. Pour ce qui me concerne, j’ai l’impression que le fait de m’être focalisée sur les nouvelles ne m’a pas tirée vers le haut, je me suis un peu endormie sur mes lauriers, je faisais ce que je savais faire, mais sans avoir vraiment quelqu’un pour me donner des coups de pied au cul. Fred (Guilmin, entraîneur de l’équipe) était là, mais il s’est logiquement plus consacré aux nouvelles. Et ça a été plus difficile que l’année dernière de trouver des équipages avec qui s’entraîner, il y avait moins de monde en Bretagne.
Vous repartez sur une troisième saison, l’équipe et les objectifs vont-ils évoluer ?
Oui, Sophie devrait revenir, Elodie a aussi émis le souhait de revenir, on va sans doute essayer de recruter une nouvelle pour apporter un peu de sang-neuf, il faut que l’on propose un équipage à La Boulangère d’ici la fin de l’année. Pour ce qui est des objectifs, Claire Leroy, la manager du projet, a annoncé un Top 5 sur le Tour au sponsor, donc il va y avoir du boulot ! Même si nous avons montré que nous n’étions pas si loin, il faudra se montrer plus régulières, les meilleurs ne font pas de mauvaises journées, comme nous on en a fait.
La Boulangère s’est engagé sur trois ans sur ce projet de Diam, avez-vous déjà évoqué une éventuelle suite ?
Non, pas encore, nous ne connaissons pas leurs intentions, peut-être qu’ils attendent qu’on fasse nos preuves en Diam l’année prochaine, mais la priorité est de continuer avec eux, en Diam ou sur autre chose. On a la chance d’avoir un sponsor qui s’engage auprès d’un projet 100% féminin, on n’a pas envie de les décevoir.
Evoquons maintenant ce premier championnat d’Europe de course au large en double mixte, qu’est-ce qui t’a poussée à postuler auprès de la Fédération française de voile et comment t’es-tu rapprochée de Pierre Leboucher ?
Sur le Tour, Marc Bouët et les gens de la fédé ont commencé à me parler du fait qu’ils allaient lancer un appel à candidature et m’ont demandé si ça pouvait m’intéresser, je me suis dit pourquoi pas ? Je n’ai fait que du petit bateau dans ma vie et j’aimerais bien faire autre chose, donc c’était l’occasion. Après, pour mon co-skipper, quand tu viens de l’olympisme comme moi, tous ces gars qui font du large, tu ne les connais pas, donc à la fédé, ils m’ont conseillé de prendre les résultats de la Solitaire du Figaro et de les appeler les uns après les autres. Je ne me sentais pas trop de leur dire : « Salut, moi, c’est Mathilde, tu ne voudrais pas faire du bateau avec moi ? ». C’est là que j’ai pensé à Pierre, c’était le seul que je connaissais, puisqu’on a fait une olympiade ensemble, je savais à quoi m’en tenir avec lui. Je lui ai envoyé un texto pour prendre la température, il m’a dit qu’il avait reçu plusieurs propositions de filles, mais qu’elles ne lui convenaient pas forcément, donc que que si j’étais partante, on y allait. On a envoyé notre candidature, c’est passé, trop bien !
Vous avez appris votre sélection début septembre, le championnat d’Europe a lieu du 8 au 11 octobre, comment vous êtes-vous entraînés ?
Quasiment pas, d’abord parce que Pierre avait déjà son propre programme, il finissait le Tour de Bretagne (12e avec Benoît Hantzperg) et prépare la Transat Jacques Vabre (avec Aymeric Chappellier en Class40), ensuite, parce qu’il n’y a quasiment pas de bateaux. Il n’y en a pas en France, le seul moyen de l’essayer était d’aller à Gênes le week-end dernier, ce que nous avons fait pendant trois jours pour prendre un maximum d’infos.
Et il donne quoi ce bateau ?
Il est assez étroit, parce qu’il doit pouvoir être transporté facilement par la route, c’est plutôt un bateau de lac. Nous, on a navigué une fois dans 25 nœuds avec deux ris et le petit foc devant, je n’ai pas assez de recul et surtout d’expérience sur ces bateaux pour savoir comment il va se comporter en haute mer dans 35 nœuds de vent, mais je le vois plus comme un Day Boat que comme un Sun Fast 3200. Et au niveau de la fiabilité, il reste pas mal de petites choses à régler, on n’avait pas non plus de pilote quand on a navigué. Par contre, la bonne nouvelle, c’est que physiquement, il n’est pas hyper dur : à deux, sans pilote, on a réussi à faire toutes les manœuvres sur une petite régate avec quatre autres bateaux. Ça veut dire qu’au niveau des filles, il n’y a pas besoin d’avoir des golgoths.
De quel encadrement bénéficiez-vous de la part de la fédération ?
La fédération a vraiment à cœur que nous fassions un bon résultat, du coup, ils nous ont mis à disposition les moyens, via le Pôle de Port-la-Forêt, qui coordonne un peu le projet L30, nous travaillons ainsi avec Jeanne Grégoire, nous aurons aussi deux personnes qui vont nous aider sur la météo, David Lasnier et Jean-Yves Bernot, et Matthieu Richard, dépêché par la fédération, nous accompagnera à Venise.
Comment va se passer ce Championnat d’Europe ?
Nous aurons trois jours sur place pour nous entraîner sur des bateaux tirés au sort entre les sept équipages. Ensuite, ce qui est prévu, c’est une journée de parcours in-port dans Venise le 8 octobre, puis le 9, un départ de l’étape de large entre Venise et Trieste, échelonné en fonction des temps de la première journée, le but étant que le premier arrivé soit le vainqueur. Cette étape va durer environ deux jours et demi, dont deux nuits en mer. L’objectif est d’arriver le samedi après-midi pour la Barcolana, il est possible qu’il y ait un détour par la Croatie, tout dépendra des conditions météo.
Tu as déjà couru sur un format comme ça ? Tu n’as pas d’appréhension ?
J’ai déjà couru sur des gros bateaux mais pas sur du large comme ça, le plus long que j’ai fait jusqu’ici, ce sont des étapes de Tour de France à la voile avec une nuit. Je n’ai pas trop d’appréhension, ce que je maîtrise moins, c’est la gestion du sommeil et le fait de réussir à rester lucide jusqu’au bout. Mais bon, Pierre va m’aider.
Dans quel objectif abordez-vous cette épreuve ?
On y va vraiment avec un objectif de performance. La fédération a mis les moyens derrière, donc ça nous tient vraiment à cœur de faire un résultat, on aimerait aller chercher la victoire. Après, on ne connaît pas le niveau de la concurrence. En plus, on veut que la course au large monte en puissance au niveau olympique, que la France soit une nation forte, on n’a pas envie de décevoir la fédération.
Et pensez-vous déjà à la suite, notamment au championnat du monde en 2020 et même aux Jeux de 2024 ?
Aujourd’hui, on n’en est pas là, c’est vraiment un « one shot », on y va pour voir. C’est sûr que si on marche bien, dans un coin de la tête de la fédé, on sera là, mais il y aura sans doute des sélections avec d’autres duos, c’est trop tôt pour le dire. Quant aux Jeux, c’est sûr que c’est une belle carotte, mais franchement, c’est tellement loin que je ne me projette pas trop là-dessus.
Pour toi, est-ce la bonne opportunité pour te mettre au large ?
Oui, clairement, j’aime bien découvrir de nouvelles choses et je t’avoue que le large, ça m’intrigue. En plus, c’est un chouette compromis de commencer en faisant du double, je ne me vois pas trop faire du solitaire pour l’instant, genre Figaro. Tu me demandes de choisir aujourd’hui entre le Vendée Globe ou une Volvo, je choisis la Volvo. Après, c’est vraiment découverte, je préfère te donner rendez-vous à la fin de ce Championnat d’Europe. Si ça se trouve, je vais rentrer et dire que ce n’est pas pour moi. Ou à l’inverse, je vais te dire « Quand est-ce qu’on y retourne ? ».
Interrogé sur le choix du duo Mathilde Géron/Pierre Leboucher pour défendre les couleurs de la France sur le championnat d’Europe (sur huit dossiers reçus), le DTN de la FFVoile, Jacques Cathelineau, nous a répondu : “Le critère essentiel était de choisir la composition qui pouvait nous donner le plus de chances de ramener le titre de champions d’Europe, il n’y a pas d’arrière-pensée pour la suite. L’expérience de Pierre Leboucher en Figaro a forcément compté, on a aussi regardé ce que les candidats avaient gagné avant, y compris en voile légère, Pierre et Mathilde ont notamment été vice-champions du monde de 470.”
Photo : Morgan Bove/ASO