Période faste pour Jean-Baptiste Bernaz ! En dix jours, le Varois, qui fêtera en juillet ses 35 ans, est devenu champion du monde d’ILCA 7 (Laser), une première pour un Français, puis champion du monde militaire à Brest à la barre de l’équipage du J80 tricolore. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec celui qui s’est lancé dans une cinquième « PO » (préparation olympique) en vue des Jeux de Paris 2024.
► Qu’as-tu ressenti en devenant champion du monde d’ILCA 7 au Mexique ?
Beaucoup de fierté parce que c’est vraiment un titre qui me tenait à cœur. Pour moi, champion du monde de Laser, c’est le Graal de mon sport, avec la Coupe de l’America, ce sont les deux titres qui pèsent le plus lourd en termes de niveau. Donc c’était vraiment un accomplissement. Et un soulagement parce que ça fait maintenant cinq-six ans que je bataille contre moi-même sur les fins de championnat, que je ne suis pas loin, tant au niveau technique que physique. Là, ça a enfin tourné en ma faveur.
► Qu’est-ce qui fait que, cette fois-ci, c’est passé ?
On dit souvent que ça se joue sur des détails, s’il y a un détail qui a vraiment changé cette année, c’est le coach. J’ai commencé à travailler cette année avec un nouvel entraîneur, Nicolas (Le Berre, ancien spécialiste de 470), je pense que la somme de mes expériences plus son coaching m’ont amené plus de sérénité.
► Que t’apporte-t-il concrètement ?
C’est un garçon très franc et honnête qui ne fait aucune concession à la performance. Il savait en arrivant que j’avais un bon « background », mais on a été creuser tous les sujets, un par un : les départs, la vitesse, le rappel, la remise en forme, le physique, le mental… On a été très loin dans la démarche et on n’a pas fini. Ça faisait longtemps que je n’avais pas bossé comme ça, l’idée est de se dire que tout est perfectible et que si on n’avance pas, on recule. Et pendant le championnat, il a réussi à me garder focus toute la semaine. Souvent, quand tu te retrouves en tête, ce qui a été mon cas au bout de deux jours, tu te mets à faire des projections, tu as une petite voix interne qui commence à imaginer le scénario catastrophe. Là, j’ai réussi à perdre le moins d’énergie possible avec tout ça, c’était une vraie bataille contre moi-même, tout l’enjeu était de rester dans ce que je savais faire.
“J’ai une plaque avec
mon nom marqué dessus”
► Tu disais tout à l’heure que le titre mondial et la Coupe étaient les Graal de ton sport, plus qu’une médaille olympique ?
Disons que c’est différent. Moi, je cours depuis une médaille olympique depuis mes premiers Jeux, en 2008, mais c’est plus un Graal universel. Dans le sens, où c’est le sommet du monde, mais sportivement, sur les Jeux, tu n’as qu’un représentant par nation, alors que sur un championnat du monde, tu peux avoir 3-4 mecs très bons par pays, la concurrence est beaucoup plus relevée. Gagner le Mondial, c’est quelque chose d’incroyable. Maintenant, ma motivation, toute ma vie, a été de marquer l’histoire, et pour ça, il n’y a pas mieux qu’une médaille olympique, ça parle à tout le monde.
► Tu l’as quand même marquée, puisque tu es devenu le premier Français champion du monde de Laser, ça ajoute une part de fierté ?
Oui, bien sûr, surtout que je ne pourrai pas marquer l’histoire en nombre de titres gagnés, Robert Scheidt [Brésilien huit fois titré, NDLR] a mis la barre trop haut ! Mais oui, ça me tenait à cœur ; en France, on sait faire de la voile, il n’y avait pas de raison qu’on n’y arrive pas un jour, et avant moi des gars ne sont pas passés loin, comme Thomas Le Breton, Pascal Lacoste… Donc oui, c’est une grosse fierté, j’ai une plaque avec mon nom marqué dessus, c’est pour la vie, donc ça compte. Après, j’espère que je ne serai pas le dernier !
► Quelle est la suite du programme pour toi en ILCA 7 ?
Le Mondial est clairement un point de passage pour aller gagner une médaille olympique. Aujourd’hui, on est dans les clous, mais je vais continuer à bosser à mort. Beaucoup de régates vont s’enchaîner : je vais faire les Jeux Méditerranéens fin juin, c’est toujours une médaille à aller prendre dans une compétition qui, dans son format, ressemble aux Jeux olympiques. Ensuite, il y aura les championnats d’Europe en fin d’année, et début 2023, on va se re-préparer pour le Mondial 2023 qui aura lieu en août.
“La Fédé m’a donné
carte blanche”
► Tu t’es lancé dans ta cinquième « PO » après Tokyo, était-ce pour toi une évidence de repartir ?
Non, absolument pas. J’étais plutôt dans l’idée d’arrêter, même si je ne voulais me fermer aucune porte. Après Tokyo, j’ai pris cinq mois de « vacances olympiques », j’avais besoin de réfléchir. Ce qui était sûr, c’est que j’avais très envie, d’abord parce que les Jeux dans ton pays, ce n’est pas tous les jours, ensuite parce que la PO était plus courte, trois ans, enfin parce que je me sens en forme, je n’ai pas de pépin physique, et je ne suis pas lassé mentalement. Maintenant, il fallait savoir si les conditions étaient réunies, j’ai eu une grande discussion avec le nouveau chef de l’équipe de France, Philippe Mourniac, je lui ai expliqué ma vision et que j’avais besoin d’avoir Nicolas comme entraîneur. La Fédé a été réceptive, ils ont cru en mon projet et m’ont donné carte blanche, l’entraîneur que je voulais. J’avais aussi besoin de voir mes partenaires pour savoir s’ils me suivaient, eux aussi ont adhéré à 100%. Une fois que j’avais le soutien de tout le monde, il n’y avait plus qu’à travailler !
► Après le Mondial, tu as enchaîné par un titre mondial militaire à Brest, raconte-nous…
C’est Pierre-Alexis Ponsot, l’ancien équipier de Xavier Rohart en Star, qui a géré le projet. Comme je suis un des seuls dans l’Armée des Champions [il est sous contrat avec la Marine Nationale, NDLR] à avoir fait du match race, il m’a demandé d’être le barreur. C’était chaud car j’arrivais tout juste du Mexique, mais l’idée me plaisait beaucoup. On a aussi Marie Riou dans l’Armée des Champions, une star de la discipline, on s’est entourés de Vincent Guillarm, qui a été en équipe de France de 470 avec Sofian Bouvet, et Pierre Laouénan, qui connaissait bien le match race à l’embraque. J’ai découvert un équipage hyper compétitif, qui s’est entraîné avant, et c’est vrai que réussir un doublé en moins de deux semaines, ça n’arrive pas tous les jours !
► Tu cours beaucoup en match racing, c’est important pour toi ?
Oui, clairement, pour moi, une des clés de la performance est de se diversifier. Cette saison, je vais continuer avec mon équipage habituel, on va aller en Suède début juillet, puis quatre semaines aux Etats-Unis, c’est une première pour nous, on est tout excités ! Vu que mon rêve reste la Coupe de l’America, c’est important d’avoir un tel projet en équipage, à haute intensité, sur du match racing.
“J’ai proposé mes services
à K-Challenge”
► La Coupe de l’America, ce serait la suite logique de ton parcours ?
Je ne sais pas si elle est logique, mais c’est la suite que je veux donner. Quand on voit les autres teams qui performent sur la Coupe, il y a beaucoup de gars qui sont comme moi : Ben Ainslie a été champion du monde de Laser, Nathan Outteridge et Peter Burling ont été champions olympiques (en 49er), ces marins formés sur des petits bateaux arrivent très bien à barrer des gros, y compris volants. Tout est transférable, le support n’est qu’un objet, le plus important, c’est le jeu de la régate, la confrontation. Maintenant, quand je vois les AC75, je trouve ça hyper excitant. Ça peut paraître paradoxal car je fais du Laser, mais j’adore la vitesse ; dans mon temps libre, je fais du kitefoil, du wingfoil, du Moth.
► Es-tu en contact avec le projet K-Challenge Team France ?
Je leur ai proposé mes services, parce que je pense que j’ai les compétences pour les aider, ça serait dommage de se priver de quelqu’un qui fait de la régate à haut niveau toute l’année. Je connais bien Quentin (Delapierre), mais pour l’instant, non, je n’ai pas eu de coup de téléphone. Je pense que c’est compatible avec la PO, la preuve, tous les étrangers le font. En plus, la Coupe aura lieu après les Jeux. Maintenant, je ne veux pas forcer !
(*) Jean-Baptiste Bernaz estime le budget annuel de sa préparation olympique, “entre 150 000 et 200 000 euros”, assuré pour une grande partie par la FFVoile et l’Armée des champions, à hauteur de “30 000 et 50 000 euros” par ses autres partenaires (ville de Sainte-Maxime, Banque Populaire…)
Photo : John Pounder