A un mois du coup d’envoi des Jeux olympiques de Paris 2024, Jean-Baptiste Bernaz a frappé fort en s’imposant mercredi en ILCA 7 (ex Laser) sur la Semaine de Kiel. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec le Varois de 37 ans, qui s’apprête à disputer ses cinquièmes JO.
▶︎ Tu viens de remporter la Semaine de Kiel, peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
J’ai débuté par une première journée assez exceptionnelle (trois premières places), en réussissant notamment mes départs et en allant très vite, deux dossiers que j’avais beaucoup travaillés depuis deux mois. La deuxième a été plus compliquée, et le dernier jour, ça a été très serré, avec peu de rotations de vent, donc des régates où il fallait prendre des bons départs et où chaque mètre comptait, j’ai vraiment bien navigué, même si j’ai eu un petit rappel à l’ordre sur la Medal Race que je n’ai pas maîtrisée et qui a failli me coûter la première place. A l’arrivée, ça fait une victoire dans la douleur, mais le bilan est très positif, cette régate m’a permis de naviguer à haut niveau et devant – sachant qu’il y avait un beau plateau, avec pas mal de gars qualifiés pour les Jeux -, mais également de valider les points que j’avais bossés, de montrer aux autres que j’étais là et d’engranger de la confiance. En plus, Kiel est une des grandes classiques du circuit olympique, je ne l’avais jamais gagnée, ça fait vraiment plaisir de l’ajouter à mon palmarès.
▶︎ Tes dernières compétitions remontaient à avril avec la Semaine de Palma (3e) et la Semaine olympique française (7e), peux-tu nous raconter comment s’est poursuivie ta préparation en mai et juin ?
On a beaucoup travaillé à Marseille, puisqu’on a navigué 24 jours par mois. On a la chance d’être très entourés en équipe de France, ce qui nous a permis de nous appuyer sur nos experts datas qui, tous les matins, nous faisaient un briefing, et ensuite, on allait naviguer avec nos collègues étrangers. En juin, on a surtout utilisé le groupe français de jeunes, qui est en train de monter fort, pour travailler sur des petits détails, moins du foncier et plus de la qualité, notamment les départs. On a aussi beaucoup bossé physiquement, ce qui est important pour moi car je ne suis pas tout jeune et que le Laser est un support très exigeant.
▶︎ As-tu aussi beaucoup travaillé la météo du plan d’eau de Marseille ?
Sur les aspects météo, on a une cellule à la Fédé qui, là encore, nous fait des briefings tous les jours pour qu’on se sente encore plus chez soi et pour connaître chaque petit détail de la baie, qui est très compliquée. On commence à avoir une bonne idée des attitudes des phénomènes météo, ce n’est pas une garantie de gagner toutes les manches, mais c’en est une de ne pas être trop surpris. On a des points de vigilance qui font que chaque journée, on sait à peu près ce qu’on va regarder pour ne pas se faire piéger. Après, la voile est un sport tellement instable que je déteste me projeter en me disant que ça va être comme ça et pas autrement, pour moi, c’est le meilleur moyen de se rater.
“Je reviens avec les crocs”
▶︎ Tu t’apprêtes à disputer tes cinquièmes Jeux, t’estimes-tu mieux préparé que lors des quatre précédents ?
J’en parlais justement avec mon coach (Nicolas Le Berre) récemment, qui fait sa première PO avec moi. Je lui disais que j’étais bluffé d’avoir l’impression depuis six mois de gagner en niveau, d’être dans une démarche de développement. Ça ne veut pas forcément dire que je vais être meilleur, mais c’est plutôt bon signe. Physiquement, je n’ai pas mal et je me sens bien dans toutes les conditions, je dirais que j’ai tout ce qu’il faut dans la boîte à outils. Maintenant, il va falloir les utiliser à bon escient. Aujourd’hui, j’estime que le boulot est fait, je peux dire que je suis prêt, j’ai envie d’en découdre, je reviens à Marseille avec les crocs, l’objectif maintenant est de « faire de la fraîche » en vue des Jeux.
▶︎ Quel va être ton programme lors de ce dernier mois ?
Je pars la semaine prochaine en montagne avec mon préparateur physique et Louise Cervera, la sélectionnée olympique en Radial (ICLA 6), l’objectif est de joindre l’utile et l’agréable, en faisang de la prépa physique dans un cadre différent de Marseille. Ce n’est pas pour fuir, mais on essaie de faire en sorte d’être le plus frais mentalement possible avant d’aborder les dix derniers jours de la préparation, c’est important d’arriver sur l’événement avec une grosse envie de naviguer. Ce qui est forcément plus facile quand tu disputes les Jeux, qui plus est à domicile.
▶︎ Justement, comment appréhendes-tu cet aspect, qui peut être source de pression ?
Ça ne me procure pas du tout d’anxiété, je ne me sens pas en danger par rapport à ça, au contraire, c’est un peu ça qui m’excite. Le fait d’avoir les amis et la famille qui viennent te voir, les supporters qui t’encouragent, c’est forcément un peu d’énergie dépensée, mais c’est surtout beaucoup d’énergie en retour, c’est une chance de voir tout cet engouement autour de notre sport, qui est plutôt confidentiel en général. Là, à Marseille, je croise mes voisins qui me demandent quel jour je navigue pour venir me voir, tous les gens sont à fond dès qu’on est avec le drapeau bleu blanc rouge dans le dos, c’est génial. J’appelle ça aussi la « période des conseils », dans le sens où dès qu’on croise quelqu’un, on a le droit à un nouveau conseil ! Ça peut aller de “ne stresse pas “ à “t’inquiète pas, on est derrière toi”, en passant par “pense bien à mettre tes lunettes”, presque des conseils qu’une maman pourrait donner à son enfant. Lors de mes premières campagnes, ça m’agaçait un peu, mais en réalité, c’est hyper sympa !
“On a une équipe très forte”
▶︎ Tu fais partie des candidats pour être porte-drapeau de la délégation française, pourquoi avoir postulé ?
Beaucoup de personnes m’en ont parlé, en me disant qu’avec cinq JO, j’étais légitime à porter haut les valeurs de l’olympisme, la Fédération m’a également proposé, ça s’est fait assez naturellement. Maintenant, je ne sais pas si je suis choisi parce qu’il y a de grandes stars également candidates, mais je suis content d’avoir été retenu parmi les finalistes. Et quoi qu’il arrive, je vais participer à la cérémonie d’ouverture à Paris, j’en ai fait la demande, d’autant que je débute en deuxième semaine.
▶︎ A combien de médailles peut selon toi prétendre l’équipe de France de voile ?
C’est une question très piège ! Personnellement, je pense qu’on peut aller chercher une médaille quasiment dans toutes les séries. La voile est un sport où il y a toujours une petite part d’aléatoire et aujourd’hui, même les séries qu’on ne considère pas forcément comme médaillables sont pour moi compétitives, elles ne sont pas larguées du tout. Si tout se passe comme sur un nuage, on pourrait décrocher dix médailles, maintenant, je sais bien que dans la réalité, ça ne se déroulera probablement pas comme ça, mais on a vraiment une équipe très forte, je ne vois pas de trous dans la raquette.
▶︎ Tu n’as de ton côté jamais décroché de médaille, est-ce une obsession pour toi ?
C’est en tout cas ce qui me donne la volonté d’avancer et de me battre tous les quatre ans pour être encore plus fort. Ce n’est pas tant l’objet qui me fait rêver, mais plus ce qu’il représente, l’olympisme, le côté graal du sport avec toutes les nations du monde qui mettent tous les moyens possibles pour décrocher l’or. Quand tu es champion olympique, tu es le champion des champions, c’est plus ça qui m’excite. Maintenant, si je repars de ces Jeux sans médaille, ça ne me dérangera pas plus que ça, parce que j’ai quand même accompli de grandes choses sur mon support.
▶︎ En quoi tes quatre précédents Jeux peuvent-ils te servir sur ceux-là ?
Mon leitmotiv sera de jouer jusqu’au bout. A aucun moment, je ne veux serrer les fesses, arrêter de jouer et regarder derrière. A Tokyo typiquement, j’arrivais super bien préparé, j’ai gagné la première manche et derrière, j’ai essayé de gérer ma régate. Quand tu commences à faire ça, tu es en train de perdre. Et quand on se rend compte de ça, c’est trop tard parce qu’on a perdu le rythme, donc cette fois, je veux continuer à jouer.
Photo : Sascha Klahn