Les organisateurs de la Transat AG2R La Mondiale ont annoncé la semaine dernière qu’ils offriraient les droits d’inscription aux duos mixtes, tout en créant un classement spécifique pour l’édition 2020. Cette décision est l’une des illustrations de l’appel d’air provoqué par l’annonce de l’introduction de la course au large double mixte aux Jeux olympiques de Paris 2024. Tip & Shaft vous raconte comment structures, classes, organisateurs et FFVoile se mettent en marche en vue de cette échéance.
Trois femmes sur 38 marins lors de la Transat AG2R La Mondiale 2018, 6 sur 123 lors de la dernière Route du Rhum, 5 sur 47 sur la Solitaire du Figaro qui vient de s’achever : les femmes ont encore bien du mal à faire leur place dans le monde très masculin de la course au large. Un constat qui a conduit les organisateurs de la Volvo Ocean Race à imposer une ou plusieurs femmes dans les équipages depuis deux éditions. Et si elles pourraient être six sur une trentaine d’inscrits sur le prochain Vendée Globe, ce serait après une édition entièrement masculine en 2016…
Mais ce qui pourrait insuffler une véritable dynamique en matière de féminisation de la voile dans les prochaines années, c’est la décision annoncée par World Sailing lors de sa Conférence annuelle de Sarasota, en octobre dernier, d’introduire une épreuve de course au large double mixte au programme olympique des Jeux de Paris 2024. Depuis, un certain nombre d’initiatives se font jour pour ouvrir davantage le large aux femmes. Dernier exemple en date : les organisateurs de la Transat AG2R La Mondiale ont annoncé la semaine dernière l’exonération des droits d’inscription (3000 euros hors taxe) pour les équipages mixtes, ainsi que la création d’un classement spécifique, doté financièrement.
« L’annonce de World Sailing a été l’élément déclenchant, reconnaît José Messer. La transat pourrait ainsi devenir une des passerelles vers les Jeux olympiques. » Le directeur du sponsoring d’AG2R La Mondiale table sur « cinq à sept » duos mixtes au départ de Concarneau le 22 avril prochain. L’épreuve pourrait-elle devenir à terme totalement paritaire ? « A ce jour, ce n’est pas notre ambition, d’autant que même si des filières se mettent en place, cela va prendre un peu de temps de former des skippeuses à ce genre de format », poursuit-il.
Aujourd’hui, même si les différentes structures d’entraînement (Finistère course au large, Lorient Grand Large, Team Vendée Formation, CEM…) accueillent des skippeuses – essentiellement en Mini et en Figaro – il n’existe pas de filière féminine spécifique. « Quand on vient de l’olympisme, on ne sait pas trop par quel bout prendre les choses pour rentrer dans le milieu de la course au large », explique ainsi Mathilde Géron, ex spécialiste de 470 aujourd’hui à la barre du Diam 24 La Boulangère, qui dispute à partir de ce vendredi le Tour Voile. C’est en partie pour remédier à cette carence, mais également en raison de l’appel d’air olympique, que la Région Bretagne et le Crédit Mutuel de Bretagne ont annoncé récemment le lancement d’une filière féminine de détection et d’accompagnement en solitaire sur Figaro 3 calquée sur le modèle du programme Espoir.
A ce jour, sept dossiers on été été reçus à Port-la-Forêt, la plus grande partie des candidates venant de la classe Mini 6.50, ce qui a d’ailleurs conduit le pôle à décaler les tests de sélection à décembre, au retour de la Mini-Transat. « L’appel à candidatures vise aussi à voir si le vivier existe, explique Christian Le Pape, patron du Pôle Finistère course au large, maître d’œuvre du programme. Autant on a pléthore de choix chez les garçons pour conduire une préparation olympique en course au large, autant chez les filles, il n’existe pas 15 000 profils. Aujourd’hui, l’objectif est de voir quel est le réservoir précis, sachant que celles qui ne seront pas prises sur le programme Bretagne CMB pourront toujours être accompagnées par la Fédération », poursuit Christian Le Pape, également impliqué sur le sujet au sein de la FFVoile aux côtés de Corinne Migraine, vice-présidente en charge du département compétition-performance. Si cette dernière se félicite de l’initiative bretonne, elle regrette juste qu’elle ne soit destinée qu’à une tranche d’âge, 18-30 ans : « A la fédération, il ne faut surtout pas se limiter. L’idée est de voir arriver des filles de profils et horizons très différents ».
Des réflexions similaires sont en cours : chez Macif, Jean-Bernard Le Boucher directeur de l’activité mer, confie à Tip & Shaft « plancher sur la meilleure façon de contribuer à ces Jeux olympiques 2024 », tandis qu’Estelle Graveleau, directrice du Team Vendée Formation, « réfléchit à la façon de former des marins dans cette perspective olympique, d’autant que nos partenaires sont intéressés ». De son côté, la Fédération s’apprête à lancer un appel à candidatures en vue des premières échéances sportives, en particulier le tout premier championnat du monde de course au large en L30, qui se déroulera en octobre 2020 à Malte. Une première sélection qui pourrait intervenir très rapidement puisqu’un championnat d’Europe, également en L30, est annoncé pour octobre à Trieste, en Italie. Une compétition qui serait organisée sous l’autorité de l’Eurosaf, la fédération européenne, avec la collaboration du constructeur et promoteur du L30, l’Ukrainien Rodion Luka, qui vient par ailleurs d’annoncer le lancement d’un circuit de double mixte calqué sur le format éventuel de l’épreuve olympique (plus ou moins trois jours/deux nuits).
« On attend avec impatience de voir l’avis de course de ce championnat d’Europe, mais nous sommes prêts à dégainer notre appel à candidatures, annonce Corinne Migraine. Je pense que ça va faire sortir les filles du bois, elles vont se dire que ça bouge, qu’elles vont être accompagnées comme on accompagne la filière féminine en voile légère. » La vice-présidente estime qu’il ne faut pas traîner : « Le L30, on est tous d’accord pour dire que ce n’est pas le bateau idéal, mais on a un programme de courses avec une flotte disponible sur des formats proches de celui des Jeux, pourquoi ne pas y aller ? Ça a le mérite de lancer une dynamique. Il faut proposer des choses aux filles qui ont envie, parce que j’ai aussi peur que certaines partent à l’étranger, comme Sophie Faguet en Belgique. »
Effectivement, cette dernière a répondu à l’appel de Jonas Gerckens, qui lui a proposé à la fois de naviguer avec elle en Class40 et de faire des tests en L30 en vue d’une éventuelle collaboration sous bannière belge. « L’hiver dernier, j’ai contacté Marc Guillemot et Loïck Peyron qui cherchaient des filles pour leur projet, mais leur choix se portait sur des moins de 30 ans, alors que je suis assez persuadée que l’expérience peut faire la différence en 2024. Quand Jonas m’a contactée, j’ai été enthousiaste, parce que, en plus de la perspective de participer aux Jeux, il me donne l’opportunité de continuer à faire de la course au large performante et de naviguer en parallèle en match-racing. »
La Normande est loin d’être la seule à se tourner vers l’épreuve de large olympique. Mathilde Géron a annoncé à Tip & Shaft avoir bien l’intention de regarder le sujet de près, Cassandre Blandin, qui débute cette année en Figaro 3 sous les couleurs de Klaxoon, se dit que si sa priorité est de faire son « apprentissage au large », elle pourrait « s’y pencher de plus près » par la suite. Tandis que Cécile Laguette affirme : « Ça me donne très très envie d’aller jouer une médaille aux Jeux en course au large, donc aujourd’hui, je regarde comment aller naviguer en L30 en vue du championnat du monde l’année prochaine, car il faut se lancer tôt. »
Si la fédération, les structures d’entraînement et les navigatrices se mettent en marche en vue de l’objectif olympique, c’est aussi le cas des organisateurs, comme le reconnaît Mathieu Sarrot, qui en a justement discuté mardi avec Corinne Migraine au siège de la FF Voile : « Il y a une belle énergie, beaucoup de gens réfléchissent à créer des épreuves de double mixte sur le format olympique, mais encore faut-il trouver la bonne économie. » Nouveau président de la classe Figaro, Yvon Breton se montre très volontariste : « Ce serait dommage que le circuit Figaro ne serve pas de référence pour aller vers cette discipline olympique. Je ne peux pas garantir qu’en 2020 on aura du concret, parce que le calendrier est déjà bien établi, mais pour 2021, nous serons plus démonstratifs ». Le prédécesseur de José Messer chez AG2R La Mondiale ajoute : « Je pense aussi que c’est une ouverture par rapport à d’éventuels sponsors : il y a probablement des entreprises que cette démarche interpellera et qui viendront avant tout pour la mixité. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux skippers à la fin de la Solitaire : “Vous avez un vrai intérêt à vous engouffrer dans cette voie, ça ne peut qu’élargir le champ de prospection de vos sponsors.” C’est du win-win. »
Et outre-Manche ? En Grande-Bretagne aussi, certains font de l’épreuve olympique de course au large un objectif : c’est le cas de Hannah Diamond, ex spécialiste de Nacra 17, et de Henry Bomby, passé par le circuit Figaro, qui se sont rencontrés sur la dernière Volvo Ocean Race et s’entraînent sur un prototype SunFast 3300 loué à Sea Ventures, le distributeur Jeanneau en Grande-Bretagne. Leur objectif est aussi de disputer le championnat du monde 2020 à Malte. “Notre but est de démarrer tôt pour prendre de l’avance, et de façon indépendante afin de garder cet avantage. Nous prévoyons de nous entraîner et de courir en Figaro 3 l’année prochaine en France, parce que c’est là que le niveau est le plus élevé sur cette taille de bateau”, explique Hannah Diamond à Tip & Shaft.
Photo : Alexis Courcoux/Transat AG2R La Mondiale