Pour sa dernière chronique du Vendée Globe, Yoann Richomme évoque la victoire de Yannick Bestaven, les moments stratégiques clés de la course, ses enseignements et ses coups de coeur.
Je vous parlais la semaine dernière d’un finish de folie, je ne croyais pas si bien dire ! Les dernières options, se sont jouées sur des questions de timing : pour tenter l’option espagnole de Charlie, il fallait arriver dans au bon moment. Elle aurait pu être plus payante pour Apivia à quelques degrés de rotation du vent près. Avec les armes qu’il avait, Yannick a pu terminer avec la toile du temps sur un bord de sanglier. S’il avait fallu terminer sous gennaker dans 10 nœuds de vent, il n’aurait pas pu se battre sans la possibilité d’utiliser ses voiles sur bout-dehors et le résultat aurait été différent. Globalement, je trouve qu’ils ont tous bien navigué dans cette dernière partie, les traces étaient propres et les choix réfléchis et assumés.
LE “BOURRINAGE QUI PASSE”
La victoire de Yannick est forcément une surprise au regard des pronostics d’avant-course et parce qu’on se concentre en général sur les podiums. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne l’aurait pas mis dans un top 5. Personnellement, j’avais une bonne sensation au départ : en parlant avec certains membres de son équipe, il y avait une maturité qui transparaissait, le bateau était propre, simple, bien préparé, il n’y avait pas d’énervement, de préparation au dernier moment ou de choses compliquées. Ça m’avait marqué, ça laissait présager de bons résultats.
Au niveau de sa stratégie, ses trajectoires ont été propres, il a été un peu diesel au début de la course, c’est plus dans le Sud qu’il s’est révélé. Yannick est quelqu’un qui apprécie le gros temps, J’appelle ça le “bourrinage qui passe”, ce qui n’est vraiment pas évident à réaliser, et qui, sur ce Vendée Globe, n’était possible que sur des bateaux déjà validés. Comme Louis (Burton), ils ont pu tirer dessus, on voit d’ailleurs que leurs bateaux rentrent clairement fracassés, mais c’est passé et je suis assez admiratif de leur prise de risques et de leur vitesse dans le gros temps : ils étaient les derniers foilers à avoir la poignée dans le coin quand il y avait 5 mètres de vagues.
UN SUSPENS PROCHE DE L’ARRIVÉE DE LA VOLVO OCEAN RACE EN 2018
D’un point de vue stratégique, les moments clés du Vendée Globe ont été la descente de l’Atlantique qui a quand même prouvé le potentiel de vitesse des foilers, même si on est loin de ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Sur les précédentes éditions, la stratégie “premier à Bonne-Espérance” était gagnante, pas cette fois : les leaders ne sont pas parvenus à partir avec la première dépression australe qui était souvent synonyme de position favorable pour gagner le Vendée Globe. Ensuite, l‘Indien sauvage a détruit les bateaux. Les marins racontent être passés en quelques jours de bateaux en bon état à une “orgie” sans fin d’avaries, c’est à ce moment qu’a eu lieu la seule série d’abandons avec Seb (Simon), Fabrice (Amedeo), Sam (Davies), et Kevin (Escoffier).
Le Pacifique n’a pas donné lieu à beaucoup de bouleversements avant le regroupement final et le nouveau départ au large du Brésil, à 13 jours de l’arrivée. Dans l’Atlantique nord, ils ont pu choisir des stratégies différentes en fonction de leur timing, de l’état de leur monture et de l’influence des bonifications sur leur classement. Tout cela nous a donné un suspense proche de l’arrivée de la Volvo Ocean Race en 2018 !
DES VITESSES PLUS FAIBLES DE QUE PRÉVU, MAIS PEU D’ABANDONS
Les enseignements que je tire, à titre personnel, de ce Vendée Globe, sont nombreux :
Où sont les vitesses annoncées des nouveaux foilers ?
De retour des entraînements l’année dernière, on entendait parler de vitesse stabilisée à 28/30 nœuds, mais force est de constater que les plus grosses moyennes restaient souvent autour de 21 nœuds. Quelques chiffres pour résumer :
- Meilleure moyenne sur 24 heures : 21,5 nœuds pour Thomas Ruyant le 21 novembre
- Meilleure vitesse sur 30 minutes : 26 nœuds pour Jérémie Beyou le 8 novembre
- Meilleure vitesse entre deux pointages : 23,9 nœuds pour Thomas Ruyant le 8 novembre
Principale explication à ce différentiel de performances : la météo qui a freiné en permanence la tête de flotte. Les bateaux de 2016 ont perdu 6 jours par rapport à l’édition précédente ; ceux de 2020 au moins 8 jours par rapport à ce que l’on prévoyait. Seuls les bateaux à dérives sont dans des timings à peu près similaires aux précédentes éditions.
La bonne fiabilité de la flotte.
Il y a quasiment deux fois moins d’abandons que d’habitude (à ce jour). Je trouve que, globalement, le niveau de préparation augmente, les équipes sont plus sérieuses, plus expérimentées aussi, il y a moins d’aventuriers et plus de régatiers. Les abandons ont surtout concerné les nouveaux bateaux : on se rend compte à l’arrivée que les designs 2020 les plus raisonnables ont plutôt bien tenu (Apivia, LinkedOut, L’Occitane), le choix de garder du volume de coque s’ils étaient privés de foil a été pertinent. C’était déjà un peu le cas il y a quatre ans, le bateau d’Armel (Le Cléac’h) n’avait pas le design le plus extrême et ça avait payé.
En revanche, il y a eu beaucoup de bricolage, dû en partie à la densité de la régate ; comme ils étaient tous proches les uns des autres, ils ont beaucoup tiré sur leur bateau, c’est sans doute ce qui explique, par exemple, la casse du bout-dehors de LinkedOut. Il y a aussi eu pas mal d’alpinisme océanique, je suis impressionné par le nombre de montées au mât, ils n’ont vraiment pas hésité à y aller et j’ai été bluffé par la qualité des réparations faites en haut.
IMPRESSIONNÉ PAR LES ÉMOTIONS QUE PROCURE CETTE COURSE
Pour ce qui est des skippers, je trouve que Thomas et Charlie ont encore prouvé qu’ils étaient de bons marins qui savent utiliser leur machine sans la détruire. Il faut être sérieusement bien câblé pour arriver à ramener ces libellules en un seul morceau Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir la compréhension de la résistance de ces machines, sachant que la casse n’est jamais très loin. J’ai l’impression aussi qu’ils ont été les plus présents dans la conception et la construction de leur bateau, je pense que la capacité du marin à être impliqué dans ces choix stratégiques est primordiale.
Giancarlo (Pedote) et Boris (Herrmann) ont adopté une stratégie intéressante et sage de préservation du bateau jusqu’au Horn, qui s’est avérée payante. C’est un compromis vitesse/casse qui équivaut presque à celui de bourrinage/réparation puisque, au final, ils sont quasiment dans les mêmes temps que Yannick et Louis. Ils ont tous les deux fait un super Vendée Globe, ce qui est le cas d’une grande partie de la flotte, j’ai déjà parlé dans ces chroniques de tout le bien que je pensais de Benjamin (Dutreux), Jean (Le Cam), Damien (Seguin) et les autres.
C’est plus difficile de juger la performance d’Armel Tripon sur L’Occitane, dont le potentiel, pour moi, est encore à prouver. C’est un très bon design, peut-être le meilleur, mais on n’a pas pu le voir dans des conditions de régate, on reste un peu sur notre faim. C’est aussi le cas des foils en C d’Arkéa-Paprec et d’Hugo Boss, qu’on n’a pas vus dans le Sud. Le concept est intéressant et je pense qu’il peut être une solution, alors qu’il y aura certainement des réflexions pour les autres grands foils.
En conclusion, j’ai l’impression de ne voir revenir que des vainqueurs ! Tous ceux qui sont arrivés et ceux et celles qui leur succéderont ont chacun des arguments pour être les gagnants de leur propre course, c’est une leçon à tirer de ce Vendée Globe. Je reste impressionné des émotions que procure cette course, des valeurs partagées, de l’engouement, des leçons de vie qu’elle nous donne, des étoiles dans les yeux de tout le monde, surtout des enfants.
C’est pour ça que j’espère bien être au départ dans quatre ans !
Photo : Bernard Le Bars / Alea | Portrait : Alexis Courcoux