Yoann Richomme décrypte le Vendée Globe

Jean, Louis, Isa et les autres – L’analyse du Vendée Globe par Yoann Richomme

Chaque semaine pendant le Vendée Globe, le double vainqueur de la Solitaire du Figaro, lauréat de la Route du Rhum 2018 en Class40, livre son analyse tactique et stratégique de la course, en exclusivité pour Tip & Shaft.

 

Le sauvetage de Kevin Escoffier par Jean Le Cam

Cette semaine aura été marquée par le sauvetage de Kevin Escoffier par Jean Le Cam. Comme vous tous, j’ai été tenu en haleine toute la nuit, mais j’avais une grande confiance dans la direction de course et en Jacques Caraës. Avoir un directeur de course avec une telle expérience des mers du Sud, des bateaux rapides et des conditions de course, est une énorme chance. De plus, il est épaulé par une équipe professionnelle et expérimentée.

Je pense aussi qu’il était difficile de tomber sur une “meilleure” configuration naufragé/sauveteur : Kevin est costaud physiquement et mentalement avec ce brin de folie qui lui permet de n’avoir peur de rien ; Jean, en plus de nous faire une démonstration sur la course, est probablement le navigateur le plus expérimenté de la flotte, et il a aussi lui-même vécu des sauvetages…

Il faut d’ailleurs noter au passage que, malgré le temps perdu à récupérer Kevin, il est toujours en tête du groupe de poursuivants. Il mène un train d’enfer depuis qu’il est reparti, à l’inverse de certains qui semblent lever le pied ou avoir des problèmes techniques – je pense notamment à Boris Herrmann qui a été 2,5 noeuds moins vite que Jean sur les dernières 24 heures.

Pour ce qui est des bonifications dont vont bénéficier ceux qui se sont déroutés – cela ne concerne malheureusement plus Sébastien Simon qui vient d’abandonner -, je pense que Jean pourra obtenir 12 à 15 heures de crédit, et il va sans doute avoir une bonification supplémentaire pour la dépose de Kevin dans les prochains jours. Ce sauvetage ne lui a pas fait changer de système météo immédiatement ; par contre à moyen terme, ce retard pourrait le faire tomber dans un schéma météo différent. La bonification ne pourra de toute façon pas être parfaite.

 

Les nouveaux foilers à la peine

Si l’on regarde les abandons ou avaries sérieuses depuis le départ, elles ne concernent quasi exclusivement que les nouveaux foilers ou les anciens dotés de grands foils. Mathématiquement, les grands foilers ratissent deux fois plus d’eau, donc il sont forcément deux fois plus sujets aux collisions. Ils accélèrent aussi plus et la force d’impact étant au carré de la vitesse, les dégâts sont forcément plus importants. Il se confirme que la fiabilisation des bateaux devient de plus en plus longue. Une année ne suffit pas et même deux ans, c’est presque trop court.

Dans ces conditions, les bateaux à petits foils s’en sortent très bien, la preuve, ils sont deux dans les quatre premiers, Bureau Vallée et Maître CoQ. J’avoue que je suis assez impressionné par Louis Burton qui navigue bien et vite, ses trajectoires sont belles et il se sort rapidement des transitions. Ses 5 heures de pénalité plus sa réparation de cloison lui ont coûté cher lors de la première semaine, mais il est revenu de loin en transperçant le groupe de poursuivants : le 21 novembre, il avait 300 milles de retard sur Thomas (Ruyant) et Charlie (Dalin), aujourd’hui, il est deuxième devant Thomas et 140 milles derrière Charlie.

Il n’hésite pas à se confronter au gros temps, sa position sud a été osée et engagée, et surtout, je trouve qu’il va très vite et a l’air plus à l’aise dans le gros temps que les nouveaux foilers. Il a l’avantage d’avoir des foils totalement rétractables qui permettent de mieux doser la vitesse du bateau, les autres ont plus de mal à trouver le juste milieu entre aller suffisamment vite et ne pas se faire déborder par la machine. Il y a moyen que Louis leur fasse un peu plus peur, d’autant qu’il va y avoir pas mal de gros temps au programme des prochains jours. On a vu que les foilers n’avaient pas (ou peu) d’avantage dans ces conditions, on sait que s’ils attaquent trop, ils risquent de tout casser.

Je voudrais aussi signaler le beau retour d’Isa (Isabelle Joschke) : au Brésil, elle avait plus de 950 milles de retard sur la tête, aujourd’hui, il est descendu à 550, et, surtout, elle a complètement changé de paquet en intégrant celui des poursuivants derrière le trio de tête. Elle était avec Alan Roura, Clarisse Crémer et Romain Attanasio, ils sont désormais 550 milles derrière elle. On savait que MACSF avait un fort potentiel, on voit maintenant qu’elle mord dedans, elle a peut-être été vexée par son début de course que, de son propre aveu, elle n’avait pas trop aimé, chapeau !

 

Le trio de tête à Leeuwin le 11 décembre ?

 

 

Le vent va rester fort pendant toute la traversée de l’Océan Indien pour les trois leaders qui vont avoir le droit à une trajectoire très droite, tendue et rapide (voir le routage ci-dessus de Charlie Dalin). Ils vont avoir 30-35 nœuds dès samedi matin avec une mer forte de 5-6 mètres et, à partir de dimanche, ils seront propulsés par un front froid puissant qui, cette fois, peut être propice au record des 24 heures avec une mer à peu près rangée. J’en avais déjà parlé la semaine dernière, ils ne l’ont pas approché, vais-je avoir raison cette fois-ci ? A voir, mais peut-être que la crainte de la casse les laissera sur la retenue.

Le 6 décembre au matin, Charlie va empanner et là, ce sera a priori un beau tout droit vers le Cap Leeuwin qu’il pourrait atteindre le 11. La seule chose qui puisse perturber cette ligne droite serait, l’arrivée d’un front secondaire, le 8-9, avec des vents de l’ordre de 50 nœuds qui pourraient le conduire à faire un peu de nord pour éviter d’être trop secoué. Le modèle européen présente un schéma un peu différent à partir de mardi, cela aura peut-être une influence sur les temps de passage à Leeuwin.

 

 

Pour le groupe de poursuivants (voir second schéma, routage de Jean le Cam, ci-dessus)l’Indien s’annonce bien moins rapide : il ne va pas pouvoir se positionner pour le sprint devant le front qui va propulser les trois de devant, du coup, les sept bateaux vont se retrouver derrière la dépression, avec une mer plus grosse, un peu moins de vent et un angle moins favorable. Ils ne pourront pas faire la même route directe que Charlie et les deux autres et risquent fort d’essuyer de grosses pertes en distance sur les leaders. Je les vois à Leeuwin aux alentours du 14 décembre, mon routage sur Jean me donne un retard de 900 milles sur Charlie contre 400 aujourd’hui. Mais la météo n’est pas une science exacte !

Photo : Jean-Marie Liot | Portrait : Alexis Courcoux

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