Chaque semaine pendant le Vendée Globe, le double vainqueur de la Solitaire du Figaro, lauréat de la Route du Rhum 2018 en Class40, livre son analyse tactique et stratégique de la course, en exclusivité pour Tip & Shaft.
Les dés sont désormais quasiment jetés sur cette fin de Vendée Globe, avec le contournement de l’anticyclone des Açores que les premiers sont en train de terminer ce vendredi.
Louis (Burton) a entrepris d’en faire le grand tour par l’ouest, une stratégie qui semble finalement accoucher d’un statu quo : avec Charlie (Dalin), ils se sont quittés en sortie de Pot-au-noir avec une dizaine de milles d’écart, ils se retrouvent aujourd’hui avec quasiment le même écart. C’est bien sûr facile de parler après-coup, mais je pense que si Louis avait suivi une stratégie similaire à celle d’Apivia, il aurait peut-être plus d’avance aujourd’hui, car c’est lui qui allait le plus vite. En passant par l’ouest, il a quand même fait beaucoup plus de milles que Charlie.
Ce dernier a opté pour une route plus lofée et plus proche du vent pour deux raisons, à mon avis : il avait du mal à accélérer avec son foil bâbord, d’abord, et il a choisi une position de marquage de la flotte, ensuite, en se plaçant au vent et du côté de l’arrivée. Un choix qui limitait les prises de risques et s’avère finalement payant aujourd’hui, puisqu’il n’a rien perdu par rapport à Louis.
Deux options contraintes
Ils vont donc tous sortir demain de l’influence de l’anticyclone des Açores pour rentrer dans le train de dépressions qui compose notre quotidien pluvieux de ces derniers jours, avec du vent d’ouest-sud-ouest la plupart du temps.
On devrait voir deux stratégies se profiler, essentiellement à cause d’une question de timing. Les trois premiers (en vert sur le croquis ci-dessous) – Louis, Charlie et Boris (Herrmann) – pourront jouer la courbure au nord de l’anticyclone et ainsi rester dans une position sud qui présente l’avantage de naviguer dans une zone avec moins de mer et moins de vent – 18 à 25 noeuds, rafales à 30.
Pour le second groupe – Yannick (Bestaven), Thomas (Ruyant), Giancarlo (Pedote) et Damien (Seguin), en rouge sur le croquis – cette option ne sera plus optimale, il leur faudra du coup monter au nord pour aller jouer avec les dépressions et se positionner devant les tempêtes. Là-haut, le vent sera plus fort – 25 à 30 nœuds moyen, des rafales pouvant atteindre 40 nœuds – avec une mer de 3 à 4 mètres.
Ce sont des choix un peu contraints, mais, finalement, quand je fais tourner mes routages pour les deux stratégies, il n’y a pas de conséquences majeures au niveau des écarts qui, a priori, devraient rester proches de ce qu’ils sont aujourd’hui.
Un mot sur Damien et sa trajectoire très à droite du paquet : il a pu bénéficier d’un décalage de l’anticyclone vers l’est, qui lui a permis de diminuer sa distance parcourue, grâce à un timing favorable. Cela lui permet de rester à l’attaque, proche de ses concurrents. De plus, sa transition dans l’anticyclone semble rapide et il pourrait rapidement rejoindre le flux de sud-ouest.
De la fusion nucléraire dans la tête !
Ce vendredi après-midi, à moins de 2 000 milles de l’arrivée, nous ne sommes sûrs que d’une chose : il faudra vraiment attendre les dernières minutes de ce Vendée Globe pour connaître le vainqueur et le podium. Et même plus, puisque vont entrer en jeu les bonifications dont bénéficient Boris, Yannick et Jean (Le Cam), dont je vous parle ci-dessous.
La victoire sur l’eau va essentiellement se jouer sur deux critères : le mental et la fiabilité. Pour avoir déjà eu une bande de fous furieux à mes trousses pendant des heures, voire des jours, je peux vous dire que la situation est hautement inconfortable : impossible de décrocher mentalement, dans la tête, c’est de la fusion nucléaire ! On vérifie les routages toutes les 10 minutes, les réglages toutes les 2 minutes, l’AIS toutes les 30 secondes.
La très grosse difficulté supplémentaire, c’est que les mecs ont 75 jours de mer dans les pattes, avec un niveau de fatigue très élevé et le stress qui va les empêcher de dormir. Sans compter la peur de la casse en permanence, notamment lors des changements de voiles ou des manœuvres dans la brise. C’est dans ces moments-là que l’on commet les erreurs ; alors ceux qui ont déjà vécu ça vont avoir un petit avantage.
Les neuf au crible
Je me suis amusé à faire un petit topo sur les neuf premiers qui devraient arriver aux Sables en un peu plus de 48 heures, en milieu de semaine prochaine :
Louis : rapide dans la brise, avec de belles trajectoires. La pression est en revanche une inconnue pour lui qui n’a pas l’habitude de cette position de chassé, il va falloir être fort pour tenir Charlie à distance pendant cinq jours.
Charlie : son potentiel est diminué, mais à quel point ? On sait que c’est un fin stratège, qui, lui, résiste bien à la pression pour avoir déjà vécu ce genre de scénarios, en Figaro notamment. La question, c’est de savoir s’il va se mettre dans la position du mec qui n’a rien à perdre et donnera tout pour revenir sur Louis, quitte à casser, ou s’il va se satisfaire d’une place sur le podium…
Boris : sur la retenue dans la brise tout au long du tour du monde, va-t-il être capable de lâcher les chevaux quand la brise rentrera ? Lui aussi, se contentera-t-il d’une place sur le podium, sachant qu’il a 6 heures de bonification qui peuvent tout changer et lui offrir la victoire ?
Yannick : attention à un ego blessé ! Il doit avoir la rage d’avoir perdu le leadership depuis la semaine dernière. Il a 10 heures et 15 minutes de bonification, ce qui est quand même conséquent ; il va vite dans la brise et a prouvé qu’il s’avait bourriner, il peut encore croire au moins au podium, si ce n’est à la victoire.
Thomas : on le sent un cran en-dessous en termes de performance à cause de son foil amputé, c’est celui qui a le plus à perdre, avec de nombreux bateaux à l’attaque derrière lui (Groupe Apicil, Prysmian Group, Yes we Cam !).
Giancarlo : comme Boris, il a plutôt été sur la retenue sur ce Vendée Globe, mais il a aussi montré un bon potentiel de vitesse dans cette remontée de l’Atlantique, son potentiel dans la brise n’a jamais été vraiment prouvé, c’est l’occasion ou jamais pour lui.
Damien : on a vu les capacités de ce duo bateau/skipper dans le sud ; il va vite dans la brise et le bateau passe bien dans la mer. Il aura à cœur de tenir Jean à distance pour terminer premier bateau à dérives, mais aussi d’essayer de se mettre un ou deux foilers dans la poche, il en a les moyens.
Jean : moins à la fête pendant cette remontée de l’Atlantique, c’est sûrement dû à la déchirure de son J2. Mais avec ces 16 heures 15 de bonification, il a la possibilité de doubler Damien, voire Giancarlo, et de faire aussi bien qu’il y a quatre ans en termes de classement (6e).
Benjamin : hélas pour notre jeune padawan, il sera impossible de participer à la régate finale pour le podium, mais quel Vendée Globe il nous a offert ! Il va sans aucun doute devenir le héros local !
And the winner is…
Bon, pour cette dernière chronique avant l’arrivée, je me mouille et je vous livre les ETA des premiers, avec calcul des bonifications pour voir ce que rendrait le classement final – à prendre, comme d’habitude, avec des pincettes !
- Bureau Vallée, arrivée le mercredi 27 à 05h00 locales
- Apivia le 27 à 06h00
- SeaExplorer Yacht-club de Monaco le 27 à 13h00
- Maître Coq le 27 à 19h00
- LinkedOut le 27 à 20h00
- Prysmian Group le 27 à 21h00
- Groupe Apicil le jeudi 28 à 04h00
- Yes we Cam ! le 28 à 18h00
- Omia Water Family le vendredi 29 à 12h00
Soit, en incluant les bonifications :
- Bureau Vallée le 27 05h00
- Apivia le 27 à 06h00
- SeaExplorer Yacht-club de Monaco le 27 à 07h00
- Maître CoQ le 27 à 09h00
- LinkedOut le 27 à 20h00
- Prysmian Group le 27 à 21h00
- Yes we Cam! le 28 à 03h00
- Groupe Apicil le 28 à 04h00
- Omia Water Family le 29 à 12h00
Les quatre premiers de ce Vendée Globe en 4 heures à 4 jours et demi de la ligne… autant dire que tout peut encore arriver !
Photo : Stéphane Maillard | Portrait : Alexis Courcoux