Chaque semaine pendant le Vendée Globe, le double vainqueur de la Solitaire du Figaro, lauréat de la Route du Rhum 2018 en Class40, livre son analyse tactique et stratégique de la course, en exclusivité pour Tip & Shaft.
Je vous parlais lors de ma dernière chronique de la semaine de tous les dangers, avec la possibilité de voir de gros écarts en fonction des trajectoires des uns et des autres dans le Pacifique. Finalement, la situation que je vous décrivais a totalement changé : l’anticyclone qui devait séparer la tête de flotte en deux n’a pas eu l’influence prévue, ce qui fait qu’elle est toujours aussi compacte. Le constat que l’on peut faire, c’est que la fiabilité des fichiers météo – les différents modèles étaient pourtant tous d’accord – ne dépasse pas les trois jours dans ces zones. Et ce n’est pas juste une question de 5-10 noeuds de différence de vent, on n’est pas du tout dans le même système météo que celui qui était prévu ! Ce qui rend l’exercice d’autant plus difficile lorsqu’on est en mer après plus de 45 jours de course !
Yannick reste le patron
Malgré cette incertitude météo, le leader Yannick Bestaven reste le patron, on peut souligner sa belle gestion d’ensemble alors que ce n’était pas facile, il a dû pas mal manoeuvrer et s’en tire bien. Il a eu un petit déficit en vitesse un moment par rapport à Charlie (Dalin), qui lui a fait perdre une quarantaine de milles, mais c’est normal, il faut rappeler que son bateau va moins vite qu’Apivia. Et on voit que depuis ce matin, c’est lui qui va le plus vite, il est à plus de 21 nœuds de moyenne sur les huit dernières heures.
Charlie s’en est aussi très bien sorti, il ne s’est pas fait coincer par l’anticyclone comme on pouvait le craindre pour lui. Il a joué avec le feu, mais il a très bien joué en restant juste devant l’anticyclone, il a réussi à s’en sortir proprement et à montrer ce qu’était le potentiel d’un foiler 2020 dans le Grand Sud, en faisant une journée de quasiment 500 milles, à presque 21 noeuds de moyenne. Il est monté nord – environ 200 milles de décalage par rapport à Yannick qui est le long de la zone des glaces – pour bénéficier d’un angle plus favorable, mais a priori, il va devoir se recaler sur une route sud-est, ça dépendra des options choisies au Horn dont je vous parle ci-dessous. Thomas (Ruyant) a eu plus de mal et s’est fait rattraper par le groupe de poursuivants, dont il est très décalé, dans une position nord.
Damien Seguin, l’homme de la semaine
L’homme de la semaine est indéniablement Damien Seguin qui se retrouve troisième en ayant réussi à s’extraire de ce groupe des poursuivants. A la sortie de l’anticyclone, il a réussi à mieux se placer et à récupérer un meilleur angle, on voit qu’il a poussé plus fort que les autres, notamment lors d’un bord de reaching endiablé. Résultat : alors qu’il était au milieu du peloton il y a une semaine, il est aujourd’hui 130 milles devant, c’est vraiment impressionnant, chapeau !
L’autre grand bénéficiaire de la semaine est Armel Tripon qui poursuit sa remontada, je le vois passer le cap Horn 400 milles derrière ce groupe des poursuivants, il semble que les conditions vont être favorables à son 4×4.
Une dizaine de bateaux en 48 heures au cap Horn
D’ici le Horn, il reste une grosse tempête à gérer pour les deux leaders avec 45 nœuds de vent, rafales à 60, et 7 mètres de mer. Même si elle devrait majoritairement passer devant eux, ils devront sûrement ralentir un peu pour ne rien risquer.
Les routages donnent toujours un passage du cap Horn le 2 janvier dans l’après-midi pour Yannick, aux premières heures du 3 janvier pour Charlie, tandis que le groupe des poursuivants mené pour l’instant par Damien devrait l’enrouler dans la journée du 4, suivi de Maxime Sorel le 5 au matin, Armel Tripon dans la journée du 5, Clarisse Crémer entre le 5 et le 6, Romain Attanasio le 6 en journée. En gros, ça fait une dizaine de bateaux en 48 heures au cap Horn, 14 en 4 jours, c’est assez impressionnant !
Au niveau stratégique, deux options se dessinent après le cap Horn pour les deux leaders : soit couper proche du caillou et passer près des Malouines, ce qui est la route “traditionnelle” (la plus proche de l’orthodromie), soit continuer vers l’est en longeant la zone des glaces très sud (voir le croquis ci-dessus).
Anticiper les alizés
A mon avis, ils ont intérêt à passer très au large pour deux raisons : d’abord pour éviter des conditions trop musclées au Horn (45-60 nœuds de vent de travers dans 7-8 mètres de vagues) et ensuite pour créer un décalage vers l’est en vue de la suite, car l’objectif final dans l’Atlantique Sud est d’aller chercher les alizés d’est au nord de l’anticyclone de Sainte-Hélène (voir croquis ci-dessus). L’avantage de la route directe est que tu es plus vite protégé de la mer par la côte.
Pour moi, les deux leaders ont une vraie opportunité de mettre encore de la distance à leurs poursuivants en surfant sur l’arrière de cette tempête du Horn. Les autres devraient tous l’enrouler assez proche. Comment ne pas être tenté de venir le voir de près après avoir fait autant de route sans voir la terre, d’autant que pour nombre d’entre eux, c’est leur premier passage du Horn !
Pour ce qui est de la suite, je vois a priori Apivia dominer les débats, son potentiel est supérieur en tous points de vue à celui de Maître CoQ, reste à savoir si, avec ses problèmes de cale basse du foil bâbord, il va être handicapé ou non. Il ne faudra pas oublier de sortir du mode “mers du sud” pour embrayer sur un mode plus “régate”. Le besoin de préservation du bateau ne sera plus du tout le même que dans les mers du sud, certains vont donc peut-être davantage tirer sur la machine dans ce début de remontée.
Photo : Pierre Bouras / TR Racing / DPPI | Portrait : Alexis Courcoux