Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Gaston Morvan est aux commandes ce vendredi pour l’avant-dernière chronique de ce Vendée Globe.
“Après le podium la semaine dernière, c’est donc Jérémie Beyou qui a coupé à son tour la ligne dans la nuit de jeudi à vendredi, suivi ce vendredi à 11h40 par Paul Meilhat. A son arrivée au ponton, Jérémie parlait de sa 4e place comme d’une victoire, on peut effectivement dire qu’il a fait une bonne course, même si, au regard de la dimension de son projet, son objectif était de gagner. La météo du Sud lui a été fatale avec un très gros break qui s’est fait entre les premiers et son groupe, c’est à ce moment qu’il a manqué le bon wagon.
Il a tout de même réussi à rester mobilisé pour finir premier du groupe des chasseurs, et on ne parle pas de n’importe qui, face à lui, il n’y avait que des marins hyper affûtés. Il aurait tout aussi bien pu faire neuvième, parce que ce paquet a longtemps été serré, bravo à lui d’avoir remporté ce match, mais il faudra revenir pour aller chercher la victoire !
Pour ce qui est de Paul, cette 5e place est un super résultat, je pense que faire un top 5 était dans ses objectifs, sachant que son projet, que ce soit au niveau de l’équipe ou des ressources, n’était pas dimensionné comme ceux de Charlie, Yoann, Jérémie ou Thomas Ruyant. Il a mis un peu de temps à rentrer dans le match et à prendre confiance avec ses nouveaux foils, puisqu’il a passé Bonne-Espérance en neuvième position, mais après, il a super bien maîtrisé les mers du Sud et la remontée de l’Atlantique.
Deux Vendée Globe opposés
Ce qui est assez marquant quand on entend leurs réactions à l’arrivée, c’est qu’ils parlent tous de l’intensité de la course, qu’ils n’avaient pas connue à un tel niveau jusqu’ici. Ça a été particulièrement le cas dans ce groupe de chasseurs. Jérémie, par exemple, a toujours été bord à bord avec un concurrent, longtemps avec Nico, ensuite, avec Thomas, Boris (Herrmann), Sam (Goodchild), Paul. Ils ont toujours été en speed test, n’ont jamais eu de répit, ça a dû être particulièrement dur à vivre pour les nerfs, même si, d’un autre côté, ça a dû atténuer un peu le côté solitude.
C’est aussi assez dingue de voir comment ce groupe a vécu un Vendée Globe différent par rapport aux premiers qui, comme ils l’ont dit, ont été plutôt épargnés par les dépressions. Et ça s’est vérifié jusqu’à la fin : le trio de tête est arrivé dans 5-10 nœuds de vent, mer plate, grand soleil, alors que derrière, ils arrivent dans le front. Ça fait un mois et demi qu’ils vivent des conditions opposées, ce qui explique aussi que les bateaux de derrière ont tous beaucoup souffert, on l’a encore vu cette semaine avec Sam qui a déchiré sa grand-voile. Dans du vent fort, quand le pilote décroche et provoque un empannage forcé, ça fait vite de gros dégâts.
On constate d’ailleurs que pour la direction de course, la gestion des arrivées est très compliquée, c’était déjà chaud dans la nuit de jeudi à vendredi pour Jérémie qui a eu 40 nœuds quasiment jusqu’au bout. Le passage de la ligne devient périlleux et c’est pour ça que pour Paul, la DC a mis en place la “ligne tempête”, plus au large et plus grande. Il faut comprendre que c’est vraiment chaud dans ces conditions de réussir à faire monter l’équipe technique à bord, d’affaler les voiles puis de rentrer dans le chenal. L’exercice va aussi être tendu pour les prochains, à commencer par Nico qui arrive dans la nuit de vendredi à samedi.
Pour ce qui est de la lutte pour les places d’honneur, rien n’est fait encore, selon moi, entre Thomas, Justine et Sam pour la 7e place, ils se tiennent en une cinquantaine de milles ce vendredi après-midi. Ils vont avoir du vent fort sur la fin, il va falloir bien maîtriser les trajectoires et faire des manœuvres propres, parce que tu as vite fait de perdre des milles si tu en rates une. Justine devrait en tout cas terminer première femme et surtout, si elle reste devant Sam, premier bateau de la génération précédente, ce qui serait une sacrée performance pour un premier Vendée Globe.
Ce qui m’a surtout bluffé, c’est sa constance, elle a toujours fait de bons pointages, de belles trajectoires. L’an dernier, elle avait montré avec son option nord sur la Jacques Vabre qu’elle était capable d’attaquer et n’avait pas peur d’affronter les éléments, elle a confirmé qu’elle était dimensionnée pour le Vendée Globe et qu’elle avait du cran.
“La bagarre pour la 10e place
va durer jusqu’au bout”
Derrière, le fait du jour est que Sam Davies a pris la décision de freiner. Ce matin, j’ai routé Clarisse (Crémer), Benjamin (Dutreux) et Sam (voir l’image ci-dessus), j’avais mis une limite supérieure de 40 nœuds de vent, aucune route ne passait pour que Sam arrive aux Sables d’Olonne sans avoir moins de 40 nœuds. Elle aurait peut-être tenté quelque chose si la victoire ou une place sur le podium avaient été en jeu, mais elle risquait vraiment d’aller au casse-pipe. Sa décision de faire un stand-by est juste, il n’y a pas de débat à avoir là-dessus. Maintenant, ça doit être très frustrant pour elle, car on ne parle pas de huit heures de différence à l’arrivée, elle doit laisser passer la dépression et trouver une autre fenêtre pour arriver en toute sécurité.
Pour Benjamin et Clarisse, c’est différent, d’abord, parce qu’il y a une 10e place à aller chercher, et faire un top 10 ou pas, ce n’est pas la même chose, ensuite parce que ça devrait passer. Maintenant, ils sont à la limite car ils arrivent dimanche dans des conditions où le vent ne va faire que forcir, jusqu’à 35-40 nœuds, ils ont intérêt à ne pas traîner. S’ils terminent dans l’après-midi, je pense qu’ils s’en sortent, après, j’ai peur que ce soit très compliqué, ils n’auront pas beaucoup de gras.
Je me demande d’ailleurs si ça va être possible pour eux de rentrer dans le chenal. Pour moi, ça va être porte fermée aux Sables, l’organisation ne va pas jouer avec la sécurité si ça déferle. Une des solutions pourrait être, une fois la ligne franchie, de les dérouter vers La Rochelle pour les mettre à l’abri de l’île de Ré. L’issue de leur duel ? Sur mes routages aujourd’hui, j’ai deux heures d’avance en faveur de Benjamin, mais là encore, il y a encore du jeu, des conditions pas faciles, un point d’empannage à caler au nord du cap Finisterre… Donc la bagarre va durer jusqu’au bout, ça va être intéressant à suivre !”
Photo : Mark Lloyd / Alea