Dalin

“Si ça passe, c’est un joli coup pour Charlie et Seb” – L’analyse du Vendée Globe de Gaston Morvan et Loïs Berrehar

Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Loïs Berrehar est aux commandes ce vendredi.

“Depuis le passage du premier, Charlie Dalin, au cap de Bonne-Espérance il y a pile une semaine, la situation a considérablement évolué avec une flotte qui s’est vraiment étirée et éparpillée en plusieurs groupes plus ou moins importants, tous rentrés dans le vif du sujet du Grand Sud avec une première grosse dépression australe assez impressionnante. L’enjeu a été particulièrement important en tête de flotte, avec deux marins, Charlie Dalin et Seb Simon qui sont partis bille en tête sur une trajectoire sud très engagée.

Pour connaître un peu le tempérament des bonhommes – j’ai fait ma première Solitaire du Figaro sous les couleurs de Bretagne CMB Espoir l’année où Seb a gagné avec CMB Performance, et j’étais skipper remplaçant de Charlie cette année -, j’ai été moyennement étonné de les voir comme ça partir dans le dur. Maintenant, je ne dirais pas que j’étais inquiet pour eux, mais je me suis demandé si ça allait le faire car c’était un choix qui comportait une part de risque importante de se retrouver coincé entre la zone d’exclusion des glaces et des vents très forts qui les poussaient vers cette zone.

Ce qui signifiait que s’ils avaient le moindre problème ou des vents trop forts ne leur permettant pas d’avancer aussi vite qu’ils ne le voulaient, ils risquaient vraiment de franchir cette zone des glaces, car ils n’avaient pas vraiment d’autre échappatoire. Ça veut dire des conséquences lourdes sur leur course – la règle impose d’en ressortir par là où tu y rentres -, mais aussi sur l’intégrité du bateau si tu te rapproches trop des glaces, ça doit être nerveusement dur à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Par exemple, ce vendredi en début d’après-midi, Charlie était à moins de 30 milles de la zone d’exclusion qu’il visait encore en attendant que le vent adonne pour pouvoir enfin mettre du nord dans sa route (voir l’image satellite ci-dessous).

A l’inverse, passer au nord permettait a priori de doser davantage la force du vent, cette route elle était potentiellement moins risquée, mais finalement, je ne suis pas sûr que les conditions aient été beaucoup plus engagées au sud ; en tout cas, elles ne l’ont pas en tout cas pas plus été au niveau de l’état de la mer, ceux du nord n’ont pas été mieux lotis, car la dépression a levé de la mer assez forte, de plus de 6 mètres.

 

 

Charlie et Seb ne sont pas encore complètement tirés d’affaire de cette dépression, en revanche, maintenant que le front est passé, ils vont se retrouver avec du portant, plus parallèle à la zone des glaces, ce qui veut dire que ça sera plus facile de s’échapper, au vent arrière sous-toilé en mettant un peu d’angle, que face au vent. Dans les prochaines heures, ils vont avoir du vent plus fort qui va les rattraper, proche de 40-45 nœuds, mais ils seront plus sereins par rapport à cette problématique de la zone des glaces.

Et surtout, à l’arrivée, les deux ont fait beaucoup, beaucoup moins de route, donc s’ils arrivent à garder cette cadence élevée, ça va vraiment payer. C’est assez fou de voir le rythme effréné qu’a réussi à maintenir Charlie ces derniers jours sur un bateau qui, sur le papier, semblait moins adapté aux mers du Sud. Seb s’est fait un peu décrocher, il a été ralenti dans les petits airs du centre de la dépression, je crois qu’il a aussi eu des petits problèmes de pilote, ce qui fait qu’il est maintenant à plus de 200 milles, alors qu’ils étaient quasiment à égalité il y a trois jours.

Ce qui est sûr, c’est qu’ils vont croiser loin devant les gars du nord, d’autant que ces derniers vont se retrouver avec du vent arrière dans leur axe. Je vois ressortir Charlie sur la prochaine bosse de la zone des glaces avec une solide avance de plus de 500 milles sur Yoann (voir routage ci-dessous), donc au final, si tout se passe bien pour Charlie et Seb, on pourra dire que c’est un joli coup ! Ça doit être dur à vivre pour les retardataires, on l’a d’ailleurs vu ce matin sur les vidéos de Jérémie Beyou et Nico Lunven qui accusent le coup, 300 milles derrière Yoann et Thomas.

Leur route au nord leur a fait perdre pas mal de terrain, j’ai même pensé un moment qu’ils allaient se faire rattraper par le groupe composé de Sam Goodchild, Yannick Bestaven et Paul Meilhat, ce qui aurait été la double peine, mais comme ces derniers vont avoir du vent plus dans l’axe qu’eux, je ne suis pas sûr qu’ils leur reprennent tant de milles que ça.

 

 

Ensuite, même si les modèles ne sont pas tout à fait d’accord – j’ai d’ailleurs l’impression que les modèles ne sont pas hyper fiables dans ces contrées lointaines -, il y a un anticyclone en travers de la route après le cap Leeuwin qui pourrait faire office de nouveau passage à niveau avant l’arrivée d’une dépression qui se creuse sous la Tasmanie aux alentours du 10 ou 11 décembre. Si tu as 500 milles d’avance et que tu arrives à choper cette dépression, au contraire de tes poursuivants, tu peux vraiment faire le très grand écart. Mais c’est encore aléatoire, à suivre en début de semaine prochaine.

Ce qui est sûr, c’est que cette séquence dans l’Indien est difficile pour tous les marins, qui souffrent physiquement, on le voit sur les images, mais aussi nerveusement avec le risque permanent d’abîmer le bateau ; dans les conditions qu’ils rencontrent, un safran qui se relève, un départ à l’abattée, peut vite avoir des conséquences lourdes. On voit d’ailleurs que les avaries se multiplient, entre l’abandon de Louis Burton, des voiles déchirées pour Eric Bellion ou Kojiro Shiraishi, le matériel commence à souffrir après presque un mois de mer. J’ai aussi l’impression que depuis le début, ils sont partis – en tout cas les bateaux de tête – sur un mode pas très “Vendée Globe friendly”, ils sont plus sur un rythme Figaro, ils n’ont pas eu de vrais moments de répit. Même si la descente vers Bonne-Espérance était tout droit, ce n’était visiblement pas de tout repos, donc on voit bien que les traits sont tirés.

Derrière aussi, ils sont entrés dans le vif du sujet du Grand Sud, avec moins d’enjeu au niveau de la zone des glaces que ce que j’ai décrit, mais une bonne grosse dépression, avec jusqu’à 45-50 nœuds établis, 5 mètres de mer minimum, qui sera passée demain. Ils vont ensuite bénéficier de conditions plus clémentes, avant une nouvelle dépression d’ici cinq jours par rapport à laquelle ils vont avoir la possibilité de se positionner en restant au nord, ils ne devraient pas se retrouver dans l’espèce d’entonnoir que vivent Charlie et Seb.”

Photo : Ronan Gladu/Macif Santé Prévoyance

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