Après une saison 2021 passée aux côtés de Romain Attanasio, Sébastien Marsset a mis un coup d’accélérateur à son projet de Vendée Globe en faisant l’acquisition de Compagnie du Lit-Jiliti, l’Imoca jusque-là détenu par Erik Nigon. L’occasion pour Tip & Shaft de s’entretenir avec le Nantais.
Comment tu as décidé de te lancer concrètement dans ce projet de Vendée Globe 2024 ?
Mon envie de faire le Vendée Globe date maintenant depuis un bout de temps, mais c’est à l’issue de la Transat Jacques Vabre 2019, la première que j’ai faite en Imoca avec Romain, que je me suis dit que j’étais tout à fait à même de me lancer là-dedans, que j’étais légitime pour mener un tel bateau, ce qui est encore plus le cas deux ans plus tard. C’était trop court pour le Vendée Globe 2020, donc je me suis engagé auprès de Romain en tant que remplaçant et team manager en 2020. Ça m’a permis de vivre ça de plus près et de commencer à construire mon projet pour 2024. Je l’ai officialisé un peu après la fin du dernier Vendée Globe, en regardant, à partir de ce moment, dans quel bateau j’allais investir.
Pourquoi le choix de celui d’Erik Nigon et comment as-tu conclu cette opération dans un contexte tendu sur le marché de l’occasion ?
Erik Nigon est un ami qui m’a beaucoup aidé pour que la transmission se fasse. Les discussions étaient avancées depuis quelques mois, je suis allé voir le bateau plusieurs fois, je l’ai fait visiter à mes partenaires au départ de la Transat Jacques Vabre au Havre et nous nous sommes positionnés en fin d’année dernière en le sécurisant. J’en ai vu d’autres, celui-là a l’avantage d’avoir une quille récente, changée avant le dernier Vendée Globe et, comme c’est un plan Farr, d’être assez proche de l’ancien bateau de Romain, que je connais bien. Il se trouve je m’étais également occupé un hiver de sa gestion technique quand Erik l’avait racheté à Bureau Vallée. Après, un des critères principaux était d’acheter un bateau accessible avec les moyens dont je disposais.
Il était annoncé à 600 000 euros, est-ce le prix auquel tu l’as acheté ? Et qui en est le nouveau propriétaire ?
On va dire que c’est autour de cette valeur-là. C’est ma société qui l’achète en s’endettant auprès de deux personnes morales qui font partie de mon cercle amical et familial, ce sont des gens qui ont envie de voir le projet aboutir et ont suffisamment confiance en moi pour me prêter de l’argent.
“Je viens d’être admis
à Port-la-Forêt”
Quel est le programme à venir et où vas-tu installer ton projet ?
Le bateau est à terre à La Rochelle pendant deux semaines pour les expertises, on le remet ensuite à l’eau et on le rapatrie en Bretagne Sud pour attaquer les 500 milles de qualification en vue de la Bermudes 1000 Race. Pour ce qui est du lieu, je viens d’apprendre ce matin (l’entretien a eu lieu jeudi) que ma demande d’adhésion au sein du pôle Finistère de Port-la-Forêt a été acceptée, donc je vais m’installer là-bas. J’en suis très content, j’ai découvert l’accompagnement du pôle à travers le projet de Romain, ça a un vrai sens pour moi d’un point de vue sportif et logistique d’aller là-bas.
Prévois-tu des modifications sur le bateau à terme ?
Aujourd’hui, mon budget de fonctionnement n’est pas bouclé, donc je n’ai pas la capacité de financer des améliorations, mais évidemment, j’aimerais bien le faire évoluer. Je n’ai aucunement l’intention d’en faire un foiler, mais il y a moyen de l’améliorer au niveau des ballasts, des dérives, du matériel électronique et informatique. C’est plus compliqué pour le gréement, vu les délais pour avoir un mât aujourd’hui.
Quel est ton programme sportif cette année ?
Je vais essayer de faire toutes les courses préalables du circuit avant l’épreuve phare qu’est la Route du Rhum. Maintenant, les délais étant relativement courts, la Bermudes 1000 Race sera pour moi un bon galop d’essai en vue de la Vendée Arctique, je verrai à l’issue de cette première course si j’ai les moyens ou si je suis trop juste pour me lancer sur la Vendée Arctique, plus exigeante.
“Je ne suis pas carriériste”
Il y a pour l’instant plus de candidats (environ 45) que de places disponibles (40) pour le prochain Vendée Globe, te sens-tu concerné par la course aux milles ?
Aujourd’hui, personne n’est capable d’écrire le scénario des deux prochaines années, donc aujourd’hui, je ne suis pas particulièrement inquiet. 40 places, c’est déjà beaucoup, je n’ai pas compté le nombre de candidats, mais je ne pense pas être forcément mal placé, j’ai déjà couru la Transat Jacques Vabre, je vais m’aligner sur la Bermudes 1000 Race, je suis inscrit à la Route du Rhum…
Tu parlais de budget de fonctionnement, où en es-tu concrètement aujourd’hui ? Et de quel budget as-tu besoin ?
Pour assumer les charges fixes d’un bateau comme celui-là, c’est 200 000 euros hors taxes par an. Si tu veux avoir une équipe composée de deux-trois personnes, renouveler quelques voiles et prévoir les évolutions du bateau, tu es plutôt autour de 550 000 euros annuels. Aujourd’hui, j’ai environ 15% du budget de fonctionnement grâce à mon club de partenaires qui s’appelle Cap Agir Ensemble, donc c’est un gros sujet. Maintenant, on a l’avantage de présenter un projet multipartenariats avec des tickets d’entrée très abordables pour la classe Imoca, une dynamique est enclenchée avec ce club qui n’empêche pas l’arrivée d’un partenaire-titre et on va annoncer prochainement des mécanismes de financement un peu différents de ce qui se fait en termes de sponsoring pur.
Quand on a goûté aux grands foils, comme tu l’as fait l’an dernier avec Romain Attanasio, n’est-ce pas un peu dur de revenir en arrière sur des bateaux plus archimédiens ?
Franchement, je ne me dis pas que je reviens en arrière. Certes, le bateau va beaucoup moins vite, mais j’ai suffisamment envie de faire le Vendée Globe que je me dis que je n’aurai aucune frustration de partir sur ce bateau. Si j’attends d’en acheter un à 2,5 millions d’euros ou plus, je risque d’attendre longtemps avant de faire le Vendée Globe ! Ce qui m’intéresse aussi, c’est de mesurer ma progression dans l’usage que je vais en faire. Sportivement, je vais me retrouver là-dedans, mais aussi en me fixant des objectifs de temps, d’adversaires… Ce n’est pas parce que j’ai un bateau de génération 2007 que je vais renier mon aspect compétiteur.
Est-ce un projet que tu vois sur le long terme, au-delà de 2024 ?
Ça peut effectivement être un point de départ, pour, peut-être, continuer plus tard sur un projet plus ambitieux avec un autre bateau, mais je ne suis pas carriériste, je n’ai jamais fonctionné comme ça. Je fais de la voile en tant que pro depuis 2006, je suis passé par plein de supports différents, en équipage, en double, en solo, ce qui m’éclate, c’est aussi cette diversité qui permet de ne pas ressentir de lassitude, je ne veux pas faire les choses de manière automatique. Et surtout, un projet de Vendée Globe demande un tel engagement que je n’ai pas envie aujourd’hui de me rajouter du travail en me disant que je ferai 2028. Je prends les choses « step by step » !
Photo : Guillaume Grange