Architecte au sein du cabinet VPLP, Quentin Lucet a notamment participé à la conception de trois des huit nouveaux foilers alignés sur le Vendée Globe, Charal, Hugo Boss et DMG Mori. Il dresse pour Tip & Shaft un premier bilan de cette neuvième édition particulière.
Quels sont les premiers enseignements que tu tires de ce Vendée Globe ?
Déjà, il faut faire preuve d’énormément d’humilité face à cette course. Le Vendée Globe, c’est d’abord un homme et son bateau face à des éléments, déchaînés souvent, qui sont difficilement prévisibles. Dans le sens où je pense que si on avait eu le même départ que sur le Vendée Globe 2016, on aurait eu une course complètement différente et je pense que les conclusions auraient été d’une autre sorte que celles qu’on a aujourd’hui, à savoir qu’on retrouve des bateaux à dérives au pied du podium, très proches des foilers de dernière génération. C’est d’ailleurs aussi ce qui fait la richesse du Vendée Globe, il faut se rendre compte que ce n’est pas le bateau qui a les plus grands foils qui remporte le Vendée Globe, c’est un peu plus subtil que ça. Après, en schématisant, il y a des phases dans l’Atlantique où les bateaux de dernière génération ont clairement tiré leur épingle du jeu car ils ont une plus grande capacité d’accélérer qui est très intéressante, en revanche dans l’Indien et les mers du sud, ça n’a pas fonctionné.
Pourquoi ?
Pour diverses raisons : les bateaux ont buté dans les vagues, soit ils allaient trop vite, soit pas assez, il y avait aussi un petit côté de traumatisme avec ce qui s’était passé sur Corum puis sur PRB, qui a forcément laissé des traces, mais c’est clair qu’avec les conditions de mer qu’ils ont rencontrées, le rythme n’a pas été trouvé, c’est indéniable. J’ai vraiment une frustration de ne pas avoir vu Hugo Boss lancé avec ses foils dans l’océan Indien, parce que je pense qu’il avait un concept un peu différent des autres et donc un potentiel autre sur ces allures. Quand on écoute tous les skippers à l’arrivée, ce qui est assez fort, c’est que tout le monde parle de vie insoutenable, de conditions dantesques, ils disent tous que c’était très très dur, est-ce que c’est devenu la norme ? Ou était-ce particulier cette année ? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut vraiment aborder la conception d’un nouveau bateau d’une façon un peu plus subtile que ce qu’on a pu faire jusqu’à maintenant, en mettant l’homme au milieu plus qu’avant et de regarder davantage tous les modes dégradés. Donc considérer dans le cadre d’un Vendée Globe comment le bateau va se comporter s’il a une avarie de foil, s’il perd une voile… Il y a vraiment beaucoup de voies exploratoires à avoir pour les nouveaux bateaux. On a été très loin, peut-être trop loin dans le cadre d’un Vendée Globe sur la taille des foils. Aujourd’hui, c’est une question qu’il ne faut pas avoir honte de se poser.
La solution serait donc de revenir à des foils moins grands ?
Je ne sais pas si c’est forcément moins grands, je dirais en tout cas plus rétractables. Avant cette édition, on se disait qu’ils mettraient les foils « en drapeau » pour les faire peu porter, mais en réalité, sur les trains de houle, sur les images qu’on a vues et les débriefs qu’on a eus avec les marins, ça ne fonctionnait pas. J’ai entendu des skippers dire que même quand ils essayaient de mettre leurs foils en position la plus neutre possible, en descendant sur un surf, ils arrivaient à des vitesses de 30 nœuds. C’est énorme, et du coup, on se retrouve à taper dans la vague de devant… Il y a vraiment une nouvelle façon d’aborder ça, des questions un peu différentes à se poser. Le premier enseignement de ce Vendée Globe, c’est vraiment de se dire que ce n’est pas que sur des statistiques de vents et de vagues qu’on va dessiner un bateau, il faut vraiment qu’il y ait des échanges beaucoup plus présents entre marins et architectes. Le temps où on avait un cahier des charges du skipper pour dessiner un bateau mais sans forcément être dans l’échange avec lui pendant tout le processus de conception est révolu.
Faut-il aussi des carènes plus polyvalentes pour pouvoir continuer à avoir un bateau performant en mode dégradé ?
C’était déjà, je pense, un peu la démarche en 2020, mais on est restés assez obnubilés par la performance. Aujourd’hui, c’est sûr que ce n’est pas la carène qui va être la plus rapide d’un point de vue de simulation numérique qui va être la plus adaptée pour faire un Vendée Globe, il faut en être conscient. C’est vraiment nécessaire de bien connaître ses outils et leurs limites et d’avoir un niveau d’échange riche avec les marins, parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas effectivement se permettre de choisir une carène parce qu’elle est juste la plus performante d’un point de vue hydro. Il faut penser à l’évolutivité, à la capacité à bien réagir si un foil est endommagé, ce qui peut arrivé, pour que le bateau puisse quand même avancer pendant un jour ou deux, voire plus, le temps qu’une réparation soit faite. Je pense que l’enjeu est peut-être d’être un peu moins extrême dans le concept architectural.
Si je te demandais à chaud de, fort des premiers enseignements de ce Vendée Globe, dessiner le bateau idéal pour le prochain, à quoi pourrait-il ressembler ?
Ce serait un bateau qui a la capacité de par ses formes de coque à ne pas mettre trop le nez dedans aux allures de portant. Le scow n’est pas forcément la meilleure réponse à ça, parce que je pense que ça peut générer des choses assez violentes et repousser le problème, ça ne se joue pas que sur des formes avant, ça se joue aussi sur des formes arrières, sur des lignes de quille… mais on va dire que spatuler un peu plus que ce qu’on a fait aujourd’hui, c’est intéressant, avoir des réserves de volume devant, c’est aussi intéressant de l’envisager, comme ce qu’on a pu voir sur la Coupe de l’America. On entend assez souvent que les bateaux passent de 30 nœuds à un arrêt buffet de 15 nœuds, donc il faut essayer de trouver quelle est la bonne géométrie pour avoir des capacités de relance. Les bateaux peuvent accélérer très vite, avec assez peu de toile, mais par contre, ils freinent très fort, et quand c’est le cas et qu’on a peu de toile, on a du mal à relancer le bateau. C’est un vrai sujet, l’intégration du plan de voilure est nécessaire à la conception. Il y a aussi des problématiques liées à la largeur de la carène intéressantes à creuser. Et sur les foils, comme je le disais, le maître mot, c’est la capacité à les rétracter. Aujourd’hui, on ne peut plus vraiment se permettre de faire des foils qui, quand ils sont rétractés, restent quatre mètres en dehors du bateau, ça ne me semble pas être un compromis très marin pour un programme comme le Vendée Globe.
Et l’ergonomie ? Le choix d’Alex Thomson d’un cockpit entièrement fermé est-il le bon ?
La partie ergonomie est aussi un énorme sujet, Alex a fait des choses très intéressantes, Antoine Lauriot-Prévost [qui fait partie du cabinet VPLP, NDLR] est en train de rentrer sur Hugo Boss en ce moment, il a l’air de trouver que ça ne marche pas trop mal. maintenant, je ne sais pas si tous les marins seraient à l’aise avec ça et il y a des questions à se poser pour que le marin soit à même de bien manœuvrer le bateau, d’être capable de se reposer, c’est vraiment un volet hyper important.
Photo : Jean-Marie Liot / Alea