Sam Goodchild

“On pourra commencer à compter les points mardi” – L’analyse du Vendée Globe de Gaston Morvan et Loïs Berrehar

Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient un vendredi sur deux. Gaston Morvan est aux commandes ce vendredi pour revenir sur les premiers jours de course.

“Depuis le départ, nous vivons un scénario météo assez inédit à cette époque de l’année, dans la mesure où on a souvent l’habitude de voir les bateaux partir au près, passer des fronts, faire du reaching dans du vent très fort. Là, c’est tout l’inverse, on n’a eu que du portant depuis le départ. En revanche, même si c’était pétole dimanche dernier aux Sables, ils ont eu du vent assez fort, notamment au passage du cap Finisterre puis le long du Portugal.

Ce scénario s’explique par un anticyclone des Açores qui n’est pas à sa place, ce qui donne une situation figée, avec un anticyclone en place sur l’ouest de l’Europe, qui fait office de bouclier pour les dépressions qui passent très au nord de l’Europe, donc du vent de nord-est depuis le départ. Il y a en revanche une dépression marocaine stationnaire qui s’est creusée au niveau de Gibraltar et a amené du vent fort, les premiers ont réussi à y échapper, contrairement aux derniers qui se sont fait un peu cueillir parce qu’elle a gonflé.

Dans ces conditions, il y a eu du jeu et du match, avec plusieurs changements de leaders, Charlie Dalin, Sam Goodchild, Yoann Richomme, Nicolas Lunven et de nouveau Sam Goodchild ce vendredi. Nicolas Lunven a d’ailleurs établi un nouveau record des 24 heures en solitaire (546,60 milles, à 22,77 nœuds de moyenne, contre 540 milles par Thomas Ruyant sur Retour à La Base 2023).

Le faire comme ça, en bordure de dorsale dès le début de la course, c’est impressionnant, ça montre que les mecs sont à l’attaque. Ce qui a fait la différence, c’est que là où les autres ont opté pour un contournement du cap Finisterre en jouant l’effet de site, ce qui leur a permis d’avoir une trajectoire plus courte mais leur a demandé des empannages et de réduire la voilure car ils ont eu jusqu’à 30-40 nœuds de vent, lui a choisi de prendre l’extérieur. Donc il a eu beaucoup moins de manœuvres et presque tout fait avec la même voile, avec un très long bord à faire sur de la mer plate et au portant à 130-140 degrés du vent, c’est l’angle parfait pour faire de belles moyennes.

Depuis le cap Finisterre, ils ont eu des vents très instables en force. En solitaire, c’est difficile à gérer, car soit tu choisis un mode conservateur avec moins de toile pour ne pas te faire surprendre quand le vent forcit, mais ça signifie que tu n’avances pas quand ça mollit. Soit à l’inverse, tu es en mode régate, et là, ça demande d’être plus toilé et de serrer les fesses quand le vent fort rentre. Jusqu’à 25 nœuds sous gennaker et grand-voile haute, ça passe, mais au-delà, ça commence à être dangereux, donc tu es un peu sur un fil quand les conditions sont aussi instables.

Ça génère pas mal de stress à bord et de la fatigue, parce que tu ne dors quasiment pas, il faut être à l’affût des variations, tu as les alarmes qui sonnent tout le temps, tu te poses sans cesse la question de savoir si tu as la bonne voile, tu as le nez sur les images satellite pour guetter le prochain grain avec du vent fort. J’ai l’impression que pas mal de marins sont déjà entamés, on a d’ailleurs vu les premières blessures, avec Paul Meilhat et Maxime Sorel qui vient de signifier son abandon. C’est très dur pour lui, d’autant que c’est un des marins qui a le plus soigné sa préparation physique et son hygiène de vie, sa blessure à la cheville doit être vraiment dure à vivre, tout le monde pense fort à lui.

Aujourd’hui, quand on regarde la photo de la flotte, on voit que les favoris sont au rendez-vous. Avec un premier peloton groupé d’une dizaine de bateaux et un décalage entre le plus au nord, Thomas Ruyant, qui a été gêné par des petits soucis techniques et a sans doute voulu aller chercher des vents plus faibles pour réparer sa petite voie d’eau, et le plus au sud, Sam Goodchild. Je trouve ce dernier très impressionnant, il n’est jamais le plus rapide, mais il est très précis sur sa trajectoire, il fait preuve d’une régularité remarquable.

Dès à présent, l’enjeu pour tous est de décider quel va être le meilleur placement pour aborder le Pot-au-noir, qu’ils devraient traverser autour du jeudi 21. Aujourd’hui, comme il n’y a pas d’alizé (voir carte isobarique ci-dessus), puisque celui-ci a été cassé par la dépression marocaine, la route directe vers le sud est impossible, la flotte se retrouve sous l’effet d’un anticyclone qui est sur sa route et va se gonfler vers l’est. On constate d’ailleurs que les premiers commencent à ralentir, ça fait un peu bouchon et ça retasse par-derrière. Quasiment tous ont pris le parti de faire de l’ouest, avec des gains VMG proches de zéro, pour aller chercher un point d’empannage dans la nuit de samedi à dimanche qui va faire tourner le vent à droite et leur permettre ensuite de descendre.

L’objectif sur ce bord est de faire attention à ne pas se faire piéger dans le vent faible, donc de surveiller le déplacement de la dorsale anticyclonique. On va voir si le décalage nord-sud va en favoriser certains plus que d’autres, la position de Sam me semble assez bonne, même s’il aura peut-être un peu moins de vent que Thomas au nord. Surtout, ces conditions de petit temps devraient davantage favoriser les carènes un peu tendues, comme celles de Sam ou Charlie Dalin, par rapport aux bateaux plus typés vent fort, comme les plans Koch-Finot-Conq de Thomas et Yoann Richomme.

Après l’empannage, ils vont avoir du vent pas très fort d’est-nord-est, donc un bord de reaching, ils ne devraient récupérer un régime d’alizé qu’à partir de mardi, c’est sans doute là qu’on pourra commencer à compter les points. 18° nord, c’est quand même super sud pour le premier alizé ! D’ici là, ils en ont pour quatre jours dans moins de 12 nœuds. Ce qui devrait permettre aux bateaux du deuxième peloton de recoller, surtout jusqu’au point d’empannage. Je ne vois cependant pas de nouveau départ parce que, une fois au reaching, ça va repartir par-devant. J’ai par exemple routé Clarisse Crémer : là où elle a en ce moment 70 milles de retard sur la tête de flotte, je la vois à 120 milles en entrée de Pot-au-noir. Maintenant, c’est très dur d’être précis là-dessus, ça dépend vraiment de la manière dont l’anticyclone va gonfler.

Pour ce qui est des bateaux à dérives, Benjamin Ferré confirme son potentiel puisqu’il est en tête de ce classement officieux, il arrive même à être au contact de Sam Davies, Damien Seguin et Giancarlo Pedote, c’est une belle perf. Et comme il a un bateau plus léger, plus facile à gérer dans le vent faible, il a les moyens de les doubler dans ce bord vers l’ouest, mais dès lors qu’ils sortiront de la zone de transition et qu’ils seront au reaching, il n’a aucune chance de rivaliser avec les foilers.

Pour finir, il y a une autre option possible, très à l’est (les routes ouest et est sont en bleu sur l’image ci-dessus), que pour l’instant seul Jean Le Cam semble emprunter. Elle consiste à raser le DST mauritanien pour récupérer l’alizé d’une quinzaine de nœuds avant les autres et faire route vers le Cap Vert. Le risque, si la dorsale se gonfle vers l’est, est de se retrouver empétolé, mais également, une fois sorti de la zone de molle, de se retrouver plein vent arrière, donc obligé de faire des empannages. Mais c’est sans doute pour ça que Jean Le Cam fait cette route, son bateau est très typé VMG, j’ai hâte de voir s’il va y aller à fond, sachant qu’il aime souvent faire différemment des autres. En tout cas, ce sera super intéressant de comparer son positionnement au Pot-au-noir avec les autres bateaux à dérives. Verdict dans une petite semaine !”

Photo : Pierre Bouras

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