Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Loïs Berrehar est aux commandes ce vendredi.
“La semaine dernière, Gaston vous parlait des deux options possibles pour négocier une dorsale anticyclonique sur la route des skippers du Vendée Globe : Jean Le Cam, suivi par Conrad Colman, avait opté pour une trajectoire à l’est, dans un premier temps plus proche de la route directe, ce qui lui a permis de pointer en tête sur plusieurs classements, parce qu’il avançait quand les autres étaient arrêtés dans la dorsale. C’est toujours l’histoire entre jouer la courbure de l’anticyclone ou la force du vent, lui a privilégié la seconde option, ce qui lui a permis d’être arrêté moins longtemps ; en revanche, quand tout le groupe de l’ouest est reparti, ils ont bénéficié d’un bon angle, ce qui leur a permis d’allonger la foulée très vite.
Et donné lieu à un nouveau record des 24 heures pour Yoann Richomme (551,84 milles, à 23 nœuds de moyenne). Les conditions étaient idéales pour ça, à savoir un alizé bien orienté au vent de travers et une mer plutôt plate. Je pense aussi qu’il avait hâte de lâcher les chevaux après quelques jours dans la molle et envie de cravacher pour combler un peu son retard avec les bateaux de devant, parce que c’est important dans les prochains jours d’être dans le bon paquet, comme on va le voir.
La très grande majorité est donc restée sur une route plus à l’ouest et on a vu au moment de négocier le Pot-au-noir que plus tu étais à l’ouest, plus c’était payant, ce qui a permis à Thomas Ruyant de prendre la tête. La règle qui, dans les livres, dit que le salut pour traverser le Pot-au-noir passe par l’ouest s’est encore vérifiée. Sam Goodchild, qui était un peu plus à l’est, s’en est moins bien sorti. A l’extrême, Jean Le Cam a beaucoup perdu, sa stratégie était payante à court terme, beaucoup moins à moyen/long terme. Même si, finalement, il est à peu près au même niveau que les autres bateaux à dérives, avec cependant un décalage toujours Est qui pourrait lui faire perdre un peu de terrain.
Les premiers sont désormais dans l’alizé de l’hémisphère Sud, ils n’ont pas été trop freinés dans le Pot-au-noir, même s’il y a eu quelques beaux arrêts buffets pour certains qui ont connu des phases de progression quasi nulle, à 1 ou 2 nœuds. Les retardataires, emmenés par les premiers bateaux à dérives, n’en sont quant à eux pas encore tout à fait sortis, comme on le voit sur l’image satellite ci-dessus, ils restent impactés par la grosse masse nuageuse. La délivrance est proche, mais au final, ils vont accuser plus de 400 milles de retard et encore perdre dans le bord de reaching vers le Brésil, car ils vont beaucoup moins vite que les foilers dans ces conditions.
On peut s’attendre à voir de la part de ces derniers une cadence encore soutenue le long du Brésil. Dès qu’il y a une quinzaine de nœuds de vent, les foilers créent tellement de vent apparent qu’ils sont capables d’aligner des moyennes impressionnantes. On voit notamment que Charlie Dalin a considérablement allongé la foulée, il a repris 80 milles en 24 heures à Thomas Ruyant. Ça s’explique en partie par le problème de vérin de J3 qu’a rencontré Thomas la nuit dernière, mais aussi parce que Charlie a bénéficié d’un angle un peu plus abattu grâce sa position un peu plus Est.
Après, ça se joue également beaucoup dans la capacité de Macif à démarrer dans des conditions médium ; à ces allures, le bonhomme et le bateau forment un binôme redoutable, on l’avait déjà vu en début de Vendée. On verra ce que ça donnera dans les mers du Sud, mais Charlie a une faculté à ne jamais trop perdre quand les conditions sont moins favorables à son bateau.
Stratégiquement, l’enjeu est maintenant pour les premiers de ne pas rater le train de Sainte-Hélène, ça veut dire attraper dimanche matin une dépression en formation au nord de Rio de Janeiro qui arrive à se faufiler d’Ouest en Est entre deux centres anticycloniques et peut les emmener sur une route assez directe vers le cap de Bonne-Espérance. Elle n’est pas très large, comme on le voit sur cette image de routage à horizon lundi 21h des premiers foilers (en vert) et des premiers bateaux à dérives (en noir).
Ce n’est pas une « vraie » dépression australe, mais elle devrait permettre au groupe de tête, on va dire la grosse quinzaine de bateaux qui se tiennent en plus ou moins 200 milles, de garder du vent et une mer relativement plate sur tout ce tronçon entre le Brésil et l’Indien. Il y aura sûrement pas mal d’empannages à faire, il faudra savoir bien doser entre la force du vent, l’état de la mer et l’angle, mais le train semble bon à prendre. Par contre, pour le groupe des Imoca à dérives, ça risque de ne pas passer parce que l’anticyclone de Sainte-Hélène va se regonfler et sans doute les contraindre à faire le grand tour. J’ai peur que ça leur prenne du temps et qu’on se retrouve dans une grosse semaine à Bonne-Espérance avec deux courses distinctes dans ce Vendée Globe.
Globalement, on voit que tous les favoris sont aux avant-postes, il n’y a pour l’instant pas de grosses surprises, certains ont tout de même été assez impressionnants dans cette première partie de Vendée Globe, je citerais bien sûr Sam Goodchild. Il a été le patron pendant longtemps, a vraiment navigué très propre et reste aux avant-postes avec un bateau qui n’est pas de dernière génération, on voit que le gars est solide. Sébastien Simon, aussi, toujours dans les bons coups, je trouve que Clarisse (Crémer) s’en sort également très bien, elle n’a plus de grand gennaker et arrive à rester dans le wagon de tête.
Et si on parle des filles, Justine (Mettraux) fait une course de dingue, elle aussi est tout près des leaders avec un bateau de génération précédente. Je suis plus inquiet pour Louis Burton qui a eu un problème de structure la semaine dernière. Il a certes réussi à réparer, il a été aussi courageux qu’impressionnant, mais les dégâts étaient vraiment importants, la fissure faisait tout le tour du pont, ce n’est pas évident de se lancer dans le Sud dans ces conditions. C’est en tout cas un Vendée Globe pour l’instant super serré, il y a du match, on a rarement vu une flotte aussi compacte après bientôt deux semaines de course, avec en plus un seul abandon.”