Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Gaston Morvan est aux commandes ce vendredi.
“Une des infos du jour, c’est que l’équipe de Yoann Richomme a annoncé ce vendredi matin qu’il avait perdu son J0. C’est forcément handicapant, parce que c’est une carte en moins pour lui, mais ce n’est pas non plus la voile qui va prédominer jusqu’à la ligne d’arrivée. Le J0 sert pour le reaching dans du vent médium et au reaching et au près dans du petit temps. Il pourrait juste en avoir besoin sur la toute fin de course entre la pointe de la Bretagne et les Sables d’Olonne dans du vent plus calme.
En revanche, Yoann a mis du temps à récupérer la voile, donc il a perdu un peu sur ce coup, et quoi qu’il arrive, cette avarie met Charlie davantage dans une zone de confort. Même si on ne se réjouit jamais du malheur des autres, il a plutôt dû prendre la nouvelle dans le bon sens. Je ne connais pas les stratégies de communication des uns et des autres, mais j’ai l’impression que là-dessus, l’équipe Paprec Arkéa a fait œuvre de transparence, je ne suis pas sûr que dans le cas contraire, celle de Charlie aurait communiqué sur cette avarie.
A moins de 1 500 milles de l’arrivée, on est dans un scénario météo qui n’est pas très ouvert en termes de stratégie. Charlie et Yoann vont peu à peu quitter le schéma anticyclonique qu’ils ont en ce moment, avec la traversée de la dorsale liée à l’anticyclone des Açores, pour se retrouver, à l’avant d’un front, sous l’effet d’une dépression qui va les pousser vers la Vendée dans des conditions idéales, au portant sur de la mer plate dans une bonne vingtaine de nœuds de vent (voir le routage ci-dessous).
La seule incertitude concerne le positionnement de la dorsale qui les attend à la toute fin dans le golfe de Gascogne et sur la Bretagne. On saura en fin de week-end s’il y a une dernière occasion d’attaquer pour Yoann, avec potentiellement une route assez différente de celle qui fait passer vers la mer d’Iroise avant de redescendre vers les Sables : c’est une trajectoire plus directe, avec du vent plus fort, mais au près, elle ne va pas s’aventurer au niveau de l’Ouest Bretagne (voir routage ci-dessous). Aujourd’hui, ce n’est pas la route privilégiée par les routages, mais en fonction de l’évolution de la situation d’ici la fin du week-end, elle est susceptible de s’ouvrir, ce qui pourrait être une occasion pour Yoann de tenter de combler son retard.
Maintenant, l’objectif prioritaire, au vu des conditions qu’ils ont, c’est d’aller vite. On sait que Paprec Arkéa est sur le papier plus performant au portant VMG dans du vent fort et comme il va falloir naviguer bas, Yoann a peut-être un petit plus là-dessus, je pense qu’il aurait été encore plus favorisé dans de la mer formée, ce qui ne sera pas le cas car ils sont à l’avant d’un front. Et Charlie a montré sur ce Vendée Globe que même au portant VMG dans du vent fort, il était là. On se demandait avant la course comment il allait rivaliser avec les plans Koch-Finot-Conq dans ces conditions, j’ai l’impression qu’il n’a jamais été vraiment dominé.
Après, ce qui peut jouer sur ce bord rapide, c’est le choix de voiles, les moyennes peuvent être très différentes en fonction de ce que tu décides de mettre. Est-ce qu’ils vont tenir le grand gennak, ce qui est assez haut de range dans 20-30 nœuds de vent ? Ça peut faire un peu peur pour Charlie de finir au charbon, au risque de casser, sachant que derrière, Yoann va forcément attaquer. La pression est naturellement sur Charlie, d’autant que Yoann est un peu sa bête noire, maintenant, il a toutes les cartes en main et je pense qu’il sait faire, il a quand même déjà passé une fois en tête la ligne du Vendée Globe !
Je ne sais pas comment il gère ça dans sa tête, mais à mon avis, la clé est de ne pas se projeter sur la victoire et l’arrivée, mais vraiment de jouer heure par heure, jour par jour jusqu’à ce qu’il voie la terre de la Vendée, comme il l’a bien fait jusqu’ici. Ce n’est pas parce qu’il te reste quatre jours de course qu’il faut tout changer, arrêter de dormir, il va au contraire avoir besoin jusqu’au bout de toute sa lucidité pour éviter de faire des bêtises. Quelque part, sur cette toute fin de course, le principal adversaire de Charlie, c’est lui-même.
Vous vous posez certainement la question de la fameuse ETA aux Sables ? Ce n’est pas si évident, avec cette dernière dorsale, mais à ce jour, je vois Charlie arriver mardi 14 autour de midi et Yoann une douzaine d’heures plus tard. Ce qui fait un temps de 65 jours, 9 de moins que le record ! C’est un chrono assez fou, un gros gain par rapport au temps d’Armel en 2016, dû bien sûr au niveau de performance des bateaux, qui a considérablement augmenté depuis huit ans, mais aussi à leur fiabilité. Avec une descente de l’Atlantique Nord plus favorable, on aurait pu gagner encore un ou deux jours, mais pour les leaders, tout s’est enchaîné à merveille au point de vue météo depuis l’Indien.
On ne peut en tout cas pas vraiment parler de surprise de voir ces deux-là finir en tête. On est une quinzaine de copains du Figaro à avoir fait des pronostics avant le départ sur un tableau Excel, on était 80% à les avoir mis aux deux premières places, un peu comme tout le monde ! Ils avaient le combo idéal, ce sont des skippers qui ont beaucoup navigué en Figaro à très haut niveau avant de basculer sur des gros projets Imoca, qui leur ont permis d’avoir le temps et les moyens de bien préparer leur Vendée Globe. Et sur la course, ils n’ont fait que confirmer. En termes de gestion du rythme, de stratégie, ils ont fait peu d’erreurs, donc ils cochaient toutes les cases pour jouer la gagne.
La vraie surprise, c’est Seb Simon, que peu donnaient sur le podium et que je vois arriver le 17 ou le 18. On en parlait récemment avec François Gabart, on se disait qu’il avait vraiment été impressionnant depuis le début de la course. Il y a presque un peu de frustration de ne voir ce qu’il aurait pu faire face à Charlie et Yoann s’il avait terminé avec ses deux foils. En tout cas, chapeau à lui !
Plus loin, il y a un gros match pour la quatrième place avec un groupe de sept qui ne se quittent plus et sont enfin en train de retrouver de la glisse. La remontée de l’Atlantique Sud a été particulièrement éprouvante pour eux, ils ont mis beaucoup de temps à s’échapper de la zone du front froid de Cabo Frio. Dans l’affaire, c’est Nicolas Lunven, décalé dans l’est pour essayer d’avoir un meilleur angle pour attaquer les alizés, qui a perdu le plus. Dans ce groupe, Thomas Ruyant et Boris Herrmann ont tous les deux perdu leur J2. C’est pour le coup sacrément pénalisant dans les conditions d’alizés. Sans J2, tu n’as pas forcément les angles optimaux, c’est une voile difficile à remplacer. Certains ont un petit gennaker qui peut faire l’affaire, sinon, tu passes sous J3, mais tu déséquilibres assez vite le bateau, tu n’as plus la même puissance pour chercher le vol et accélérer.
Sur mes routages, Sam Goodchild passerait l’équateur lundi matin, Nico en début de soirée. Ensuite, c’est dur de se projeter, mais je vois un front qui va leur bloquer la route après l’équateur, donc potentiellement du jeu, on peut s’attendre à une belle bagarre jusqu’à l’arrivée ! On aura le temps d’en reparler – et des autres – dans la prochaine chronique. D’ici là, on va se préparer à rejoindre les Sables pour accueillir Charlie et Yoann, bon week-end !”
Photo : Charlie Dalin