Portrait de Jean Le Cam, skipper de l'Imoca Tout Commence en Finistère, photographié par Jean-Louis Carli pour la classe Imoca avant le départ de la Transat CIC 2024, à Lorient.

Jean Le Cam : “Le Vendée Globe, c’est l’inconnu”

Doyen de la dixième édition, Jean Le Cam va s’élancer, à 65 ans, sur son sixième Vendée Globe consécutif, un record. L’occasion pour Tip & Shaft de revenir sur l’histoire du skipper de Tout commence en Finistère-Armor Lux avec la course autour du monde en solitaire.

▶ Tu as mis un certain temps avant d’accéder au Vendée Globe, puisque ton premier date de 2004 avec Bonduelle, ça veut dire qu’avant, ce n’était pas ta priorité ?
Il y a plusieurs explications. D’abord le fait qu’auparavant, les bateaux pouvaient chavirer, ça ne me plaisait pas, je crois que les règles de stabilité ont été mises en place après le Vendée Globe 1996, à partir de ce moment, ça m’a davantage intéressé. A la fin des années 1990, j’étais en Orma avec Bonduelle, pour le coup, les trimarans devenaient vraiment très extrêmes avec des budgets qui flambaient, on a donc décidé d’aller en Imoca et sur le Vendée Globe. Je me souviens d’ailleurs qu’avant cette première, Philippe Jeantot [fondateur de la course] m’appelait régulièrement pour m’inciter à venir, il me disait que c’était une course faite pour moi.

▶ Tu es passé tout près de la victoire sur ton premier Vendée Globe, puisque tu termines seulement six heures et demie après Vincent Riou, cela t’arrive de te refaire le match de cette édition ?
Comme je disais à l’époque, pour faire un bon premier, il fallait un bon deuxième. Mais c’est vrai que ça s’était joué à six heures près, j’avais mené les trois quarts du Vendée Globe, j’avais une bonne avance et quand je suis arrivé au cap Horn, il y avait pétole complète, je me fais reprendre par Vincent et après, je n’ai peut-être pas fait les bons choix sur la remontée, c’est comme ça !

▶ C’est aussi sur ce Vendée Globe qu’est né un style Le Cam, avec tes vidéos du bord un peu décalées, t’es-tu rendu compte à l’époque que tu devenais un phénomène médiatique ?
C’est sûr qu’après mon arrivée, j’ai senti une différence. Je n’avais pas changé ma façon de faire, mais le Vendée Globe, avec son côté grand public, a clairement un impact différent des autres courses. Je me rends compte depuis que les gens attendent à chaque fois mes vidéos et je peux te dire que je ne les prépare pas à l’avance, c’est selon l’humeur du capitaine ! D’ailleurs, je ne comprends pas ces histoires d’obligation d’envoyer des photos et vidéos. Quand tu obliges les gens à faire quelque chose, tu ne vas pas avoir le meilleur d’eux, tu auras certes de la quantité, mais ça va rester dans les placards.

 

“Les foils, dès le début,
ce n’était pas ma tasse de thé”

 

▶ Ton histoire avec Vincent Riou a continué en 2008, puisque c’est lui qui t’a secouru alors que tu avais chaviré sur VM Matériaux avant le cap Horn, cet épisode t’a-t-il marqué ?
Je suis vite passé à autre chose, sinon, je ne serais pas encore là sur le Vendée Globe. Des chavirages, j’en ai eu quelques-uns, mais c’est vrai que celui-là n’était pas dans un endroit des plus favorables. Dans un tel cas, on pense à sauver sa peau, je me rappelle m’être dit que le temps était un ami, qu’il fallait que je ne sois pas impatient, je m’étais préparé à rester plusieurs jours à l’intérieur en attendant une bonne nouvelle qui a fini par arriver. L’histoire a effectivement continué avec Vincent, et le truc dingue, c’est qu’elle s’est prolongée douze ans plus tard avec PRB [Vincent Riou courait sous les couleurs de PRB en 2008, NDLR] avec le sauvetage de Kevin (Escoffier).

▶ Que gardes-tu de tes deux Vendée Globe suivants, terminés à la 5e place sur Synerciel puis à la 6e sur Finistère Mer Vent ?
A chaque fois des Vendée Globe à l’arrache, avec peu de moyens. En 2012, on avait loué le bateau aux Espagnols, on n’avait pas eu le temps de changer les safrans, et en 2016, c’était encore pire, parce qu’au mois d’août, on n’avait pas un sponsor sur le bateau ! Maintenant, on s’en est sortis à chaque fois.

▶ 2016, c’est aussi l’arrivée des premiers Imoca à foils, le technicien que tu es n’a jamais été attiré par les foils ?
J’ai fait de l’Hydroptère pendant vingt ans, j’ai aussi fait du Formule 40, époque à laquelle on étudiait bien la question, donc je connais bien le sujet, mais je sais aussi que quand tu ne maîtrises plus la machine, la peur s’installe. Je n’ai jamais eu envie de faire un tour du monde avec une machine qui peut s’emballer et que tu ne peux pas maîtriser, il suffit de deux minutes pour avoir un accident. Donc dès le début, ce n’était pas ma tasse de thé. Et quand tu vois qu’Armel (Le Cléac’h) gagne en 74 jours en 2016 et que quatre ans après, le premier (Yannick Bestaven) met 80 jours, tu te dis qu’il y a un truc qui ne va pas, tu ne peux pas mettre ça uniquement sur le compte de la météo. Je pense enfin que le grand public n’attend pas qu’on fasse le Vendée Globe en 50 jours.

 

“Aller un nœud
plus vite qu’
Hubert

 

▶ Quand on pense à 2020, vient forcément en premier le sauvetage de Kevin Escoffier, moins le fait que tu as été handicapé une bonne partie par des problèmes structurels, c’était ton Vendée Globe le plus dur ?
Clairement ! Le sauvetage de Kevin, ça a été finalement assez éphémère et ça s’est bien terminé, alors que l’autre sujet, ça a duré 50 ou 55 jours et à la fin, c’était une telle angoisse que je n’osais plus ouvrir la porte. Je n’avais plus de colle, plus rien à bord pour réparer, chaque minute, chaque heure, je ne savais pas si ça allait tenir. Arriver était un miracle, un soulagement énorme. Et je finis quatrième alors que franchement, le classement, pendant une bonne partie du tour du monde, je n’en avais rien à foutre !

▶ Après t’être infligé de telles souffrances, pourquoi repars-tu ?
Parce que le Vendée Globe, c’est l’inconnu, il n’y en a pas deux identiques. Celui-ci va encore être très différent, je pars avec un bateau neuf [plan David Raison à dérives mis à l’eau il y a un an, NDLR], c’est une nouvelle histoire qui me plaît bien, d’autant qu’avec Eric (Bellion), on a construit un Imoca à l’encontre de ce qui se fait, ça nous va bien. Par rapport à Hubert [son précédent bateau, plan Farr aux mains de Violette Dorange sur ce Vendée Globe 2024, NDLR], c’est un bateau avec un volume avant plus important qui nous donne un avantage sur certaines allures. L’idée était d’aller un nœud plus vite qu’Hubert, on verra si ça se confirme, on voit en tout cas qu’on a des capacités de vitesse que je n’avais pas avant, surtout au reaching et au portant dans la brise. En revanche, il est moins facile, mais tu ne peux pas faire d’omelette sans casser d’œufs, si tu fais quelque chose de plus performant, tu sais que le bateau va taper plus. On a essayé de s’adapter avec un ballast avant, qui permet une correction d’assiette longitudinale qu’on n’avait pas sur Hubert, une vraie amélioration.

▶ Qu’attends-tu de ce sixième Vendée Globe ?
Je ne fais jamais de pronostics, je sais juste ça va être une édition très riche. Je ne peux pas te dire si, cette fois, les foilers vont faire mieux que 74 jours, mais c’est sûr qu’il y a des bateaux qui vont très vite. Pour moi, le leader absolu, c’est Charlie Dalin. Il a prouvé sur toutes les courses d’avant-saison qu’il maîtrisait le sujet, il a une équipe technique hyper performante, je pense qu’il a un petit cran d’avance. Maintenant, il va falloir arriver, car entre Yoann Richomme, Thomas Ruyant et d’autres, ça va être la bagarre.

▶ Est-ce ton dernier ?
Je n’en sais rien, on verra à la fin de la foire.

Photo : Jean-Louis Carli / IMOCA

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧