Thomas Ruyant

“Du suspense en 2024 et en 2025” – L’analyse du Vendée Globe de Gaston Morvan et Loïs Berrehar

Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des concurrents par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Gaston Morvan est aux commandes ce vendredi.

“La semaine a bien sûr été marquée par le passage du cap Horn dans un mouchoir de poche pour le duo Yoann Richomme – Charlie Dalin. Les conditions assez clémentes une fois le cap franchi ont permis à chacun d’immortaliser avec la manière ce passage symbolique mais il faut surtout retenir les excellentes conditions météo dont ont bénéficié encore une fois les leaders dans l’approche du Horn.

Pendant que leurs poursuivants se débattaient à l’arrière d’un front, Yoann et Charlie ont pu accélérer sur son avant avec une mer maniable et un vent soutenu, ce qui a permis d’excellentes moyennes et une sensation de grande fluidité dans leur trace. Décalé un peu au Nord, Yoann a choisi une route directe très abattue dans les dernières heures, alors que Charlie est passé au reaching avec un tout petit retard. Si Yoann a semblé prendre un net avantage dans les 24 heures qui ont suivi, l’écart est revenu à une vingtaine de milles au classement de 11 heures aujourd’hui. Ce yoyo est dû à un vent très capricieux derrière les reliefs de la Cordillère des Andes mais aussi probablement aux efforts de l’un et l’autre pour remettre leur Imoca en conditions medium et au gros check technique qui suit nécessairement un mois à cavaler au portant dans de la mer formée.

Charlie et Yoann Atlantique sud

Ce plan élargi des côtes brésiliennes déroule le programme des deux leaders pour la semaine qui vient. Négociation d’une dépression ce week-end puis une zone de transition qui devrait ouvrir le jeu avant l’entrée dans les Alizés.

Le bilan de ce Pacifique est en tout cas excellent puisque les deux marins se retrouvent à l’entame de l’Atlantique sud avec plus de trois jours d’avance sur le temps de référence établi par Armel Le Cléac’h en 2016 (43 jours, 11h, 25m, 20s contre 47 jours 0h, 34m, 46s en 2016). Les images aériennes n’ont pas permis de déceler de dégradation des bateaux qu’on espère proches de 100% de leur potentiel, même s’il doit y avoir quelques bobos, ce qui promet un match de haut niveau pour les trois dernières semaines de course. Surtout, ils ont pu creuser encore l’écart avec le reste de la flotte et conforter leur statut de favoris en vue du retour aux Sables d’Olonne.

Sébastien Simon qui a été le troisième à franchir le cap Horn le jour de Noël est maintenant nettement distancé ce qui n’enlève rien à sa très belle performance. Il faut se souvenir que Sébastien a initié son projet il y a seulement un an en récupérant l’ex-11th Hour Racing (vainqueur de The Ocean Race) et ne partait pas des Sables d’Olonne avec le même acquis que les concurrents qui l’entourent aujourd’hui au classement. La seconde partie du Pacifique, avec pas mal de route parcourue bâbord amures ne l’a certes pas avantagé, lui dont le foil tribord est cassé.

Mais s’il accuse désormais 700 milles de retard sur les deux premiers, c’est aussi à quelques milles près l’écart qu’il a pu générer avec Thomas Ruyant, si bien qu’il se retrouve dans une position assez enviable pour protéger sa place sur le podium avant la remontée de l’Atlantique sud. Cette dernière ne comporte qu’environ 10% de bâbord amures et on sait qu’en tribord, le potentiel de son Groupe Dubreuil est intact.

Que va-t-il se passer dans les jours prochains pour le duo de tête ?

Relancés à plus de 20 nœuds à l’approche de leur dernière dépression australe, ils vont faire route directe en traversant le phénomène assez près de son centre, une trajectoire à bien doser pour ne pas tomber dans des bulles de vent, avant d’empanner au passage du nouveau vent de sud-ouest. Ils resteront ensuite jusqu’à dimanche sur le dos cette dépression avec des vents soutenus et une mer maniable ce qui va les amener jusqu’au 30e degré de la latitude Sud environ.

Passage centre dépression Yoann et Charlie

Sur cette image de routage de Yoann Richomme et Charlie Dalin, on voit clairement le passage proche du centre de la dépression avec l’empannage permettant de récupérer le vent d’ouest dans son Nord.

Toute la complexité sera ensuite de bien négocier la transition entre ce phénomène et l’alizé d’Est, et c’est peut-être dans cette phase que des décalages importants peuvent se faire entre les deux bateaux.

C’est en tout cas difficile de mesurer la frustration de Charlie Dalin de ne pas avoir conservé la tête au passage du troisième cap de la course, sans doute le plus symbolique, comme cela s’était d’ailleurs joué il y a quatre ans face à Yannick Bestaven. Accusant 24 heures de retard au cap Leeuwin, Yoann – qui a souvent été la bête noire de Charlie – a franchi son premier cap Horn en solitaire en tête et n’a pas caché sa joie immense au passage du caillou. De son côté, Charlie communique peu sur ses sentiments. S’il tient à regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, il doit méditer sur le potentiel de son plan Verdier, redoutable dans les gammes de vent et de mer avec lesquelles les skippers devront désormais composer.

Le prochain passage du cap Horn est imminent puisque Thomas Ruyant, quatrième, devrait retrouver l’Atlantique cette fin d’après-midi. On peut dire qu’encore une fois, les conditions n’avantagent pas le skipper de Vulnérable qui devra composer avec plus de 30 nœuds fichier, des conditions souvent renforcées par la compression des vents le long de la cordillère des Andes, avec de violentes rafales à la clef. L’exercice s’annonce donc assez sportif et ce n’est pas sûr qu’on verra Thomas accroché au hauban faire des selfies avec le cap dans le dos, d’autant qu’il risque de passer beaucoup plus au large que ses prédécesseurs.

Le vent devrait se calmer assez vite après le Horn et il aura 36 heures de conditions correctes avant de tomber sur une dorsale qui pourrait se révéler coriace à traverser. Si bien que lorsque l’on route Thomas et Sébastien, et même s’il faut être très prudent sur ces projections à moyen terme, les modèles prédisent que l’écart pourrait passer de 600 à 1 000 milles quand le premier passera l’Equateur

Clarisse et Sam

Routage d’Initiatives Cœur et L’Occitane en Provence dans la forte dépression des 48-72 prochaines heures…

Cette fin de semaine va aussi être marquée par de gros contrastes. Les leaders vont renouer avec des températures tempérées, le groupe emmené par Jérémie Beyou – où l’on note d’ailleurs la très belle remontée de Justine Mettraux – va entamer une nouvelle régate au contact en Atlantique, mais derrière, les conditions s’annoncent très difficiles, notamment pour le groupe mené par Clarisse Cremer. Navigant depuis plus d’une semaine à son contact, Samantha Davies a rompu le lien en mettant du Nord dans sa route pour échapper au plus fort d’une grosse dépression qui amène plus de 6 mètres de vagues le long de la barrière des glaces. 400 milles séparent désormais en latéral les deux navigatrices, Clarisse ayant été rejointe par Benjamin Dutreux qui semble lui aussi vouloir tenter le “tout droit”.

Ces deux-là vont devoir composer avec des conditions compliquées, proches de la première grosse dépression de l’océan Indien, et il n’est pas du tout certain que leur prise de risque soit récompensée. En effet, les routages que j’ai pu réaliser marquent un regroupement des trois bateaux à l’approche du cap Horn du fait d’une dorsale, Samantha perdant très peu dans cette affaire…

Clarisse et Sam 2

Et le dénouement au contact entre les deux navigatrices à l’approche du cap Horn, barré par une dorsale remettant les compteurs à zéro…

L’expérience parle aussi à d’autres étages de la flotte où Jean Le Cam continue de tenir en respect les autres bateaux à dérives et aussi plusieurs foilers plus rapides sur le papier que son plan Raison. C’est le 21 décembre que Jean a réussi à faire le break, s’échappant in extremis de la dorsale qui a littéralement barré la route à Benjamin Ferré et Tanguy Le Turquais. Le bilan est très positif pour le doyen de la flotte qui arrive sur la moyenne des allures à mieux exploiter son bateau, plus léger et simple d’utilisation que les foilers comme PrysmianHublot ou MACSF.

Notons enfin que si les fêtes de fin d’année auront distribué l’Atlantique en cadeau à un groupe d’une dizaine de skippers, les derniers devront attendre le réveillon du Nouvel an pour fêter leur véritable entrée dans le Pacifique. Dès les premiers jours de 2025, les leaders commenceront quant à eux à se projeter dans le passage du Pot au noir…”

Photo : Pierre Bouras

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