Clarisse Crémer

Clarisse Crémer : “Un sentiment d’accomplissement”

12e il y a quatre ans, Clarisse Crémer a pris lundi la 11e place du Vendée Globe 2024-2025 après 77 jours 15 heures et 34 minutes, elle a alors mis le cap vers La Rochelle, le chenal des Sables étant fermé pour cause de tempête. Avant de le remonter samedi, elle est revenue pour Tip & Shaft sur son deuxième tour du monde.▶ Peux-tu nous raconter cette arrivée spéciale que tu as vécue ?
Ça a été un ascenseur émotionnel ! Je ne vais pas te cacher que quand Alan (Roberts) m’a laissé un vocal dimanche pour me dire que je n’allais pas pouvoir rentrer dans le chenal, que l’équipe ne pourrait pas monter à bord et qu’il fallait que j’aille à La Rochelle, le moment a été dur à vivre, surtout que j’avais 50 nœuds de vent depuis le matin. Comme je m’étais fait un peu surprendre, j’étais sous deux ris-J2, c’était un peu chaud, je suis partie au tas, j’ai pété mon hook de safran, j’étais un peu au bout du rouleau en voyant rentrer ce front à 55 nœuds, donc ça en plus, ça faisait beaucoup ! Il y a eu une petite heure de désespoir, pendant laquelle je me suis dit « C’est quoi cette mauvaise blague ? » Et finalement, j’ai assez vite switché en mode positif, et comme Benjamin (Dutreux) avait assez d’avance sur moi et qu’il n’y avait donc plus de notion de course, je me suis mise en mode ulltra « safe », trois ris-tourmentin, en me disant que ma nouvelle mission était de passer la ligne et d’aller à La Rochelle.▶ Et qu’as-tu ressenti au moment de couper la ligne ?
J’ai été hyper émue, j’ai vraiment pris conscience que je bouclais mon deuxième Vendée Globe, même s’il n’y avait personne et qu’il était 3h du mat’. Ensuite, le petit moment toute seule pour aller jusqu’à Oléron a été précieux pour atterrir doucement, avant qu’Alan et Henri (le boat-captain) me rejoignent sur le bateau. On a alors eu 5-6 heures pendant lesquelles on a eu le temps de débriefer un peu, on a bien rigolé, et ensuite, grosse surprise avec tout ce monde dans le chenal de La Rochelle, c’était trop la fête, si bien que je ne me suis pas sentie trop lésée ni frustrée. Et en plus, on a trouvé la recette pour avoir deux arrivées, puisque je vais remonter le chenal des Sables samedi !

“J’étais beaucoup plus
dans le contrôle”

▶ Cette dernière partie de course depuis le cap Horn a-t-elle été longue à vivre ?
Non, on a vécu tellement de choses que j’ai l’impression que c’est passé en un éclair ! Le seul moment de répit, ça a été juste après le cap Horn, où j’ai eu une journée un peu plus cool, sinon, c’était ouf ! On passait de système en systèmes, le front froid à Cabo Frio, c’était chaud, on était en mode Figaro à chercher la petite ouverture. Ensuite, les alizés ont été très instables, le Pot-au-Noir a été rapide, mais sous un espèce de grain géant et très étrange qui a duré douze heures ; et à la fin, avec Benj’, on a traversé trois systèmes dépressionnaires et deux dorsales en cinq jours, souvent dans des ciels de traîne, on passait de 8 à 35 nœuds, c’était vraiment super intense. C’est pour ça qu’en sortant de tout ça, je suis éclatée, alors que parfois, les arrivées, si tu es un peu plus loin d’un autre concurrent, tu te relâches un peu, tu ranges ton bateau… Là, ça n’a pas du tout été ça, je crois que les deux dernières nuits, je n’ai dormi qu’une heure, j’étais à fond jusqu’au bout.

▶ Pour quelques heures, tu ne rentres pas dans le top 10, ça s’est joué où avec Benjamin ?
Après Madère, j’avais fait un bon coup dans la dorsale, mais dans le front suivant, je n’ai pas pu envoyer la voile que je voulais à cause d’un problème d’enrouleur, si bien que je n’arrivais pas à le tenir en vitesse. Maintenant, il était tout le temps un petit cran au-dessus de moi, en termes de manœuvres, de connaissance de son bateau, il trouvait souvent les « speed » un peu plus vite, j’ai quand même l’impression d’avoir été battue par plus fort que moi. Le top 10 aurait été la cerise sur le gâteau, mais le chiffre ne veut pas dire grand-chose pour moi, je retiens plus la façon dont j’ai vécu ma course. Dès l’équateur de la descente, j’étais hyper heureuse, je me souviens m’être dit que mon Vendée Globe était déjà gagné, parce que je me sentais bien en mer, j’arrivais à avoir la bonne vitesse, à gérer mes avaries, à me remobiliser quand je faisais une erreur… C’était finalement ça, mon objectif : progresser par rapport à mon Vendée précédent et profiter de l’aventure que j’étais en train de vivre.

▶ As-tu pris plus de plaisir qu’il y a quatre ans ?
C’était très différent. La première fois, il y a eu plein de moments de joie, mais aussi beaucoup de moments de souffrance, pendant lesquels je me sentais dépassée émotionnellement par les événements. Là, j’étais beaucoup plus dans le contrôle. Même si ça a été parfois difficile, je rebondissais à chaque fois plus vite, j’étais sereine, apaisée, donc dans la globalité, oui, j’ai pris beaucoup plus de plaisir, cette sensation de maîtrise de mes émotions était top.

“Cet épilogue vient
comme une guérison”

▶ As-tu l’impression avec ce résultat – et en réussissant à bien mener ce foiler – d’avoir acquis davantage de légitimité sportive ?
Je laisse ce jugement à ceux qui regardent la course de l’extérieur, mais je ne me suis pas du tout sentie dépassée par ma machine. Parfois, c’était même frustrant, parce que je n’arrivais pas à en exploiter le plein potentiel, notamment avec mes deux vérins de foils cassés, mais je me suis sentie à ma place et ça, c’était très précieux.▶ T’es-tu découvert de nouvelles compétences ?
Une des nombreuses raisons pour lesquelles j’avais envie d’y retourner, c’est que j’avais identifié plein d’aspects dans lesquels je me disais que je pouvais progresser. Donc là où je suis vraiment contente, c’est que j’ai effectivement beaucoup progressé sur ces points, notamment dans la gestion des avaries. La dernière fois, j’avais dépensé une énergie monumentale à désespérer autour de mes avaries, là, ça n’a pas été du tout le cas, il y a eu un bon équilibre entre mon équipe qui m’a aidée à résoudre les trucs que je ne savais pas faire et le fait de trouver des solutions toute seule. J’ai énormément gagné en confiance en moi, c’est clairement une montée en compétences qui m’a aidée à bien vivre la course.▶ Quand tu te retournes sur ce cycle, avec toutes les histoires que tu as connues, un projet entre Lorient et l’Angleterre pas facile d’un point de vue logistique, quel sentiment prédomine ?
Un sentiment d’accomplissement. Je ne prétends pas du tout avoir tout bien fait, mais je me suis toujours battue et je suis heureuse de terminer ce Vendée, en plus de cette manière-là. Ça me permet de finir en beauté ce cursus de quatre ans qui a été fastidieux, cet épilogue vient comme une guérison, une réconciliation avec certains aspects de la course au large qui m’ont parfois fait beaucoup souffrir. C’est un peu « cucul » de dire ça, mais ça fait un peu happy end d’un feel good movie !

“Je peux encore progresser”

▶ Penses-tu que la marche est haute pour aller jouer dans le top 5 ?
Il y a quand même une marche, oui, surtout dans la façon avec laquelle les premiers arrivent à aller à 25 nœuds de moyenne pendant trois jours. En termes psychologiques, même si les bateaux de devant plantent moins, c’est super dur à faire, il faut vraiment débrancher son cerveau. Je pense aussi pouvoir passer un gros « gap » en termes de préparation, notamment en perf, polaires de vitesses, ce que je n’ai pas eu le temps de faire cette fois-ci, en termes de manœuvres également. Maintenant, je me dis que si pendant quatre ans, je suis accompagnée avec les moyens de faire les choses à fond, je peux encore progresser, mais de là à dire que je peux atteindre ce niveau, ce serait présomptueux.▶ Un mot sur le Vendée Globe de ton mari Tanguy Le Turquais, à la lutte pour terminer premier bateau à dérives ?
Je sais que ça lui fait des cheveux blancs cette histoire de bateaux à dérives, parce que c’est un régatier, un figariste, il est à fond ! Je trouve qu’il fait un super Vendée, il a surtout été impressionnant dans la gestion psychologique et technique de ses avaries, parce qu’il a quand même détruit et reconstruit son bateau en termes de structures, perdu ses moyens de communication… Avec mon expérience d’un premier Vendée, je pense qu’il a en revanche eu un côté un peu bizuth dans la gestion de la régate, dans le sens où dès qu’il perdait sur ses concurrents directs, il mettait un peu plus de temps à rebondir psychologiquement. Le côté « C’est jamais fini » du Vendée Globe, il l’a un peu oublié par moments. Mais je suis trop fière de son Vendée.▶ De quoi as-tu envie maintenant, de continuer ?
Déjà de repos, de dodo, de bonne nourriture, de profiter de ma famille, du confort à terre. J’ai aussi envie de prendre le temps de réfléchir à la suite, parce que je sors de quatre années très intenses, mon corps et mon cerveau ont besoin d’une petite pause pour ne pas reproduire certaines erreurs et faire les choses bien. Maintenant, même si je me dis qu’on n’a qu’une seule vie dans laquelle il faut réussir à tout cumuler, ce Vendée Globe ne m’a pas dégoûtée de la course au large qui est une passion tellement dévorante que ça donne envie d’y retourner, mon côté marin n’a pas envie d’arrêter.

Photo : Anne Beaugé/Alea

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