Clarisse Crémer et Tanguy Le Turquais

Clarisse Crémer/Tanguy Le Turquais : “Ça a été un tsunami”

Le jury international constitué pour statuer sur les soupçons de routage pesant sur Clarisse Crémer de la part de son compagnon Tanguy Le Turquais lors de la dernière édition du Vendée Globe a livré son verdict lundi : il est “entièrement convaincu qu’il n’y a eu aucune mauvaise conduite de la part de Clarisse Crémer ou de Tanguy Le Turquais.” Soulagés par cette décision, les deux marins ont accepté de revenir sur cette histoire pour Tip & Shaft.

▶︎ Comment a démarré cette histoire pour vous ?
Clarisse Crémer : Presque en même temps que tout le monde, lorsqu’on a reçu les fameux « screen shots » le lundi (12 février) ; par contre, on avait eu dix jours avant des échanges avec la classe Imoca qui avait reçu un appel d’un skipper pour dire qu’on allait bientôt être accusés de triche dans les journaux. Sur le coup, je me demandais de quoi on parlait, j’étais un peu hallucinée, on a mieux compris quand on a reçu les captures d’écran…

▶︎ Le mot de triche a été immédiatement formulé, beaucoup de gens se sont prononcés au vu des captures d’écran, comment avez-vous vécu cet emballement médiatique ?
Tanguy Le Turquais : Ça a été un tsunami, hyper dur. Le fait que tout ait été repris et amplifié dans les médias nous a fait énormément de mal. J’ai ce souvenir d’avoir entendu mon nom et celui de Clarisse associés au mot tricheur sur France Info le matin quand j’allais travailler. Le choc a été monstrueux et ce qui était terrible, c’est que chacun donnait son avis, sortait du contexte, c’était blanc ou noir, rien n’était nuancé. Ce qui m’a vraiment touché et un peu déçu, c’est que beaucoup de gens ont pris la parole, mais pas un ne nous a appelés pour essayer de comprendre. C’est sûr que les « screen shot », sortis de leur contexte, paraissaient incriminants, mais c’était très facile de nous appeler pour en savoir plus avant de répondre aux journalistes.

▶︎ Vous avez aussi été défendus par d’autres…
Clarisse Crémer : Oui, et ce qui est parlant, c’est que les personnes qui ont pris un peu de recul et, d’une certaine façon, notre défense, sont celles qui ont une vision plus globale de la voile.
Tanguy Le Turquais : C’est sûr que dans la tempête, entendre des gens comme Jacques Caraës, Christian Dumard ou certains de nos amis marins dire qu’ils ne nous considéraient pas comme des tricheurs et croyaient en nous, ça nous a donné énormément de force et nous a permis de tenir, parce que je t’avoue qu’à un moment, on était au bord du précipice. Le problème, c’est que nos détracteurs ont fait plus de bruit que nos soutiens dans les médias.

 

“Ces captures ont été soigneusement
sélectionnées pour faire le plus mal possible”

 

▶︎ Comment ont réagi vos sponsors respectifs dans cette tempête ?
Clarisse Crémer : Personnellement, j’ai reçu un grand soutien de mon équipe et de mes partenaires, ils n’ont jamais douté de nous, ça a été très précieux, je ne sais pas comment j’aurais fait sans ça.
Tanguy Le Turquais : Pareil, j’ai reçu un soutien sans faille. Après, on est dans une période où on recherche encore des financements ; personnellement, mon hiver était consacré à ça, et là, ce pan s’est un peu effondré, certains prospects ont disparu du jour au lendemain. C’est forcément un peu compliqué, parce que ça représente des semaines, voire des mois de travail, par contre, les partenaires déjà engagés et surtout Lazare m’ont fait une confiance aveugle.

▶︎ Avez-vous une idée de l’identité de la personne qui a pris les photos et de celle qui a envoyé les mails anonymes ?
Tanguy Le Turquais : Pour les mails, on a des idées, mais aucune certitude. Pour les photos, on sait juste que c’est sur le trimaran Banque Populaire, mais on ne sait pas qui c’est. Et je t’avoue qu’on ne s’est pas concentrés là-dessus.
Clarisse Crémer : Le seul truc important à retenir, c’est que ces captures ont été soigneusement sélectionnées pour faire le plus mal possible.

▶︎ Comment avez-vous préparé votre défense ?
Clarisse Crémer : Tout venait forcément de nous, de l’analyse des captures et de tous les documents qu’on avait en notre possession, et devant le jury, ce n’est que Tanguy et moi qui avons parlé, mais on s’est fait aider par un cabinet d’avocats. Face à la violence du truc et compte tenu de l’enjeu pour nos deux projets, on ne pouvait pas prendre ça à la légère. C’est aussi pour ça qu’on a demandé un peu plus de temps pour préparer notre défense, on voulait être ultra prêts et avoir tous les éléments avec nous. Dans la tourmente, tu es content d’avoir des cerveaux qui t’aident à être lucide et à réfléchir et sont solides à ta place. Alan Roberts (co-skipper de Clarisse Crémer sur la dernière Jacques Vabre) nous a aussi beaucoup aidés, Christian Dumard (spécialiste du routage météo) et Jacques Caraës (directeur de course du dernier Vendée Globe) sont aussi venus témoigner, ils ont été très précieux.

 

“Cette phrase sortie du contexte,
ça n’a pas de sens”

 

▶︎ Parlons de cette défense, pouvez-vous nous expliquer le contexte de ces fameuses captures d’écran, notamment celles où on voit des schémas de routes ?
Tanguy Le Turquais : Si on parle des cinq captures d’écran de routes que j’envoie à Clarisse, ce sont des moments clés de son Vendée Globe, au cours desquels je suis extrêmement sollicité par des journalistes, des amis, la famille, qui me demandent comment Clarisse compte passer la tempête Thêta, à quel moment elle va arriver au cap Horn, à l’équateur… Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans nos échanges, c’est elle qui a le « lead », qui me parle quand elle veut, de tout ou de rien. Moi, pour ne pas l’embêter, quand j’ai ces questions de personnes extérieures, je fais ces captures d’écran pour savoir si c’est à peu près ce qu’elle compte faire, elle me répond oui ou non, et derrière, avec mes propres infos, je peux répondre à ces questions qu’on me pose en étant crédible. A aucun moment, Clarisse ne me pose de question, la seule fois où elle le fait, c’est quand elle me dit : “Qu’est-ce que tu penses de la petite dépression du mercredi ?”
Clarisse Crémer : Là, on parle du mercredi 3 février. Au moment où je pose la question, je suis encore en train d’hésiter entre arriver le 2 ou le 3 vu les conditions qui sont très compliquées. Je discute alors en direct de la météo avec la direction de course et mon équipe via un groupe WhatsApp spécialement créé. C’est uniquement pour des raisons de logistique et de sécurité liées à des circonstances exceptionnelles, comme c’est autorisé par le règlement du Vendée Globe. C’est arrivé à d’autres marins. Donc cette phrase sortie du contexte, ça n’a pas de sens.
Tanguy Le Turquais : La seule fois où Clarisse commente une capture d’écran de route, c’est pour me dire qu’elle n’a pas envie d’en parler avec moi, parce que je n’ai pas toutes les infos…
Clarisse Crémer : Et entre la question que me pose Tanguy et la route que je fais, ça n’a absolument rien à voir ! D’ailleurs, pour mieux s’expliquer, on a dû livrer toute notre intimité au jury. Par exemple, sur trois des cinq captures d’écran de Tanguy, où on parle de l’ETA au cap Horn, il est alors sous une tente à Tarifa en « kite trip » avec une vingtaine de copains qui ont fait des attestations pour expliquer qu’il ne suivait pas vraiment ma course et qu’il passait cinq minutes sur son ordi pour regarder à l’arrache. Ça n’a rien à voir avec ce qui a pu être insinué, à savoir Clarisse routée par Tanguy. Sur mon Vendée Globe, je passais 5 à 6 heures par jour sur mon ordi à actualiser mes routages en continu et il n’y a jamais eu la moindre intention de m’aider. Christian Dumard a d’ailleurs clairement dit devant le jury : “Ce que je vois là, ce n’est pas du routage au sens des règles du Vendée Globe”.

 

“Le combat continue”

 

▶︎ Quel était votre état d’esprit en sortant de ces presque quatre heures de jury ?
Tanguy Le Turquais : On était à la fois épuisés et extrêmement soulagés, parce qu’on avait enfin pu livrer notre version des faits, remettre le contexte, devant des gens extrêmement attentifs et qui avaient tous les éléments.

▶︎ Comment avez-vous appris la décision et quelle a été votre réaction ?
Clarisse Crémer : On avait une visio prévue à 11h du matin lundi avec le jury qui nous a lu toute la note, c’était très procédurier. C’était forcément une libération pour nous, d’autant que le jury a fait attention à ce que la note conclusive soit claire. Les seuls mots négatifs utilisés, c’est que ce n’était ni sage, ni utile, là-dessus, on est d’accord pour dire que c’était maladroit.
Tanguy Le Turquais : C’était un soulagement énorme, mais en même temps, on se rend compte que le combat continue car il y a toujours des gens qui ne comprennent pas. Nous, on a à cœur que le monde de la voile comprenne cette décision pour qu’on puisse arrêter d’être considérés comme des tricheurs, comme le disent encore certains, ce qui fait extrêmement mal. Ni Clarisse ni moi, on a envie d’aller sur les pontons en regardant nos pieds. On aime ce sport, on ne veut pas être traités comme des parias qui ont fait du mal à la voile.

▶︎ Quelle est la suite pour vous ?
Tanguy Le Turquais : On a la chance d’avoir l’un comme l’autre des projets structurés avec des équipes qui ont continué à travailler. Nos mises à l’eau respectives sont prévues d’ici deux semaines, mais on a d’abord besoin de remonter à la surface, car on est encore au fond du seau. On va se prendre cinq jours pour changer d’air et attaquer la saison qui arrive avec le plus d’énergie possible, en essayant de laisser ça derrière nous et avec l’envie d’aller faire ce Vendée Globe.
Clarisse Crémer : Il y a forcément une partie de moi abîmée par tout ça, il faut réussir à faire le deuil d’une préparation idéale, on a perdu beaucoup de temps, et une année Vendée Globe, c’est hyper exigeant, je vais enchaîner deux transats en solo. Donc dans ma tête, je suis plus en ce moment dans une politique de petits pas, à chaque jour son objectif.

Photo : Anne Beaugé

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