Avec l’arrivée, vendredi à 1h27, du troisième, Sébastien Simon, le podium du Vendée Globe 2024-2025 est complet, Charlie Dalin s’étant imposé mardi avec un peu moins d’un jour d’avance sur Yoann Richomme. L’occasion pour Tip & Shaft, présent aux Sables d’Olonne, de tirer les premiers enseignements d’une course record (64 jours 19 heures 22 minutes) en compagnie de nombreux experts, croisés sur place.
Premier sur la ligne il y a quatre ans mais devancé par Yannick Bestaven, Charlie Dalin a donc réussi à s’offrir les honneurs de la ligne et la victoire, l’objectif que lui et son équipe s’étaient fixé en repartant sur ce cycle. D’où une émotion palpable au moment de soulever le trophée sur la scène du village et le droit de se lâcher une dizaine d’heures plus tard sur le dance floor. “C’est la première fois que j’ai l’impression qu’il se lâche un peu, alors que c’est quelqu’un de pudique, qui conserve tout pour lui”, notera Maxime Sorel à la sortie d’une conférence de presse au cours de laquelle, effectivement, le Havrais s’est livré comme rarement.
Il a notamment expliqué comment les 2h30 d’écart entre Yannick Bestaven il y a quatre ans avaient longtemps hanté ses nuits, confiant qu’il s’était surpris “à parler de temps en temps avec son bateau” et autorisé à “être un peu plus spirituel“, avant d’évoquer son “flow”, parfois envolé, notamment avant le cap Horn, “parce que Yoann était entré dans ma tête”, mais finalement revenu au meilleur moment. “Au début de l’Atlantique Sud, j’ai écrit sur le tableau Velleda dans mon cockpit : « Navigue comme toi », j’ai fait un « reset » mental, en me disant qu’il ne fallait pas que j’essaie de matcher la façon de naviguer de Yoann.”
La méthode a payé, faisant dire à David Sineau, team manager de l’équipe Initiatives Cœur de Sam Davies : “J’ai beaucoup de respect pour ce qu’a fait Charlie. Il part avec une histoire chargée, entre le scénario d’il y a quatre ans à digérer, le fait qu’il n’ait pas pu prendre le départ de la Jacques Vabre fin 2023 pour raisons médicales, et derrière, il réussit ; il faut une énorme confiance en soi. Choix architecturaux, choix de route, engagement, c’est une master class de sa part, et j’inclus son équipe.” Une équipe de “tueurs à gage”, selon les mots de Maxime Sorel, “à la fois hyper compétents dans ce qu’ils font et très humains”. Pour Franck Cammas, “Charlie a essayé d’être bon partout, c’est quelqu’un qui n’aime pas le hasard, du style à tout mettre dans un tableur Excel et à le suivre ligne par ligne, c’est totalement une référence, il donne l’image du skipper moderne”.
Le tournant austral
et un bateau plus polyvalent
Passé en tête au cap Horn avec seulement neuf minutes d’avance sur son rival, ce dernier a confié mercredi ne s’être donné alors que “10% de chances de gagner”, conscient que l’Atlantique Sud allait être favorable au plan Verdier de Charlie Dalin. Ce qui s’est avéré le cas et valide les choix architecturaux du Havrais d’un bateau polyvalent, à l’aise dans les transitions, au près et au reaching. “Pour l’Atlantique, ça aide d’avoir un bateau facile dans les transitions et qui décolle un peu plus tôt”, concède Alain Gautier, vainqueur du Vendée Globe 1992-1993 et team manager d’Isabelle Joschke. François Gabart, lauréat de l’édition 2012-2013 sous les couleurs de la Macif et patron de MerConcept (qui héberge le projet Macif Santé Prévoyance), évoque de son côté “un différentiel de 2 à 3 nœuds en début de vol“ avec la concurrence.
David Sineau souligne que “Charlie le dit lui-même, il a eu des conditions assez faciles dans le Sud, s’il avait affronté des enchaînements de dépressions au portant dans des mers très compliquées, on tirerait peut-être d’autres enseignements”. Francis Le Goff, directeur de la ligue de voile de Normandie (où a été formé Charlie Dalin), ajoute cependant : “Ce qui m’a surpris, c’est sa capacité à rester au contact dans du vent fort au portant ; sur les autres courses, Yoann avait plus de marge.” Alain Gautier rappelle quant à lui que “ça s’est joué à pas grand-chose, je pense que Yoann aurait pu faire plus de différence dans le Sud, il a pris beaucoup de retard sur son choix d’éviter la dépression des Kerguelen, mais c’est tout de même le plus rapide sur ce Vendée Globe [17,95 nœuds de moyenne réelle contre 17,79 à Charlie Dalin, mais 658 milles parcourus en plus].” Jeanne Grégoire conclut sur le sujet du bateau : “Ma conviction, c’est que les bonnes performances viennent d’un bon alignement skipper/bateau, si tu donnes à Yoann le bateau conçu pour Charlie et inversement, ça ne va pas marcher.”
Des records à la pelle
A l’arrivée, de nombreux records ont été battus sur cette dixième édition : celui des 24 heures en monocoque en solitaire pour Sébastien Simon (615 milles) et celui du Vendée Globe pour Charlie Dalin. En 64 jours 19 heures et 22 minutes – “le temps du Jules Verne d’Orange en 2002″, sourit Jeanne Grégoire – il améliore de 9 jours et 8 heures le temps d’Armel Le Cléac’h en 2016-2017. Un chrono qui n’étonne pas plus que ça la plupart de nos observateurs. “Depuis le début du Vendée, il y a souvent eu 4-5 jours entre chaque édition, analyse François Gabart. La dernière avait été anormalement lente, et finalement, cette différence d’un peu plus de 9 jours entre 2016 et 2024 est à peu près la même qu’entre 2008 et 2016 (10 jours).”
Ce nouveau record, Alain Gautier l’explique d’abord par “des trajectoires incroyables que beaucoup de chasseurs de record aimeraient avoir” sur plusieurs tronçons, notamment Brésil-Bonne-Espérance et dans le Sud – “les premiers ont dû faire pas loin de deux fois moins d’empannages que le groupe de derrière” -, mais également par le fait que “les Imoca arrivent aujourd’hui à aller aussi vite que les dépressions, ça fait un gain énorme”. Ce qui fait dire à Franck Cammas : “La barre des 60 jours est possible, mais il faut que tout s’aligne, la météo, la vitesse et la fiabilité des bateaux.” En l’occurrence, elle a été au rendez-vous pour Charlie Dalin et Yoann Richomme, qui auront été épargnés par des soucis techniques majeurs, preuve du gros pas franchi dans ce domaine par rapport à 2020.
Des sponsors heureux
Quant à Charlie Dalin, il n’a pas souhaité se projeter jusqu’en 2028, visant la Route du Rhum 2026, tout en ne cachant pas ses envies, à terme, d’Ultim. Une chose est certaine, la Macif ne regrette pas d’avoir fait confiance au Havrais, Jean-Marc Simon, directeur santé prévoyance de la mutuelle d’assurances, nous annonçant (voir son interview sur notre site) une valorisation en équivalent d’achat publicitaire, au 14 janvier au soir, “de 80 millions d’euros“, contre… 28 millions d’euros lors de la campagne précédente.
Photo : Jean-Louis Carli / Vincent Curutchet / Alea