A seulement 31 ans, Alan Roura s’apprête à disputer son troisième Vendée Globe (12e en 2016, 17e en 2020). Avec un Imoca, Hublot, l’ancien Hugo Boss d’Alex Thomson, qu’il a mis du temps à prendre en main et à optimiser, et des ambitions sportives à la hausse. Le Suisse s’est confié à Tip & Shaft.
▶ A un mois, du départ, es-tu dans le timing de préparation que tu avais imaginé ?
Oui, à ceci près que je n’avais pas prévu d’avoir des soucis de foil (bâbord) qui allaient me prendre autant de temps ! On a eu une petite collision sur The Transat CIC qui a provoqué une fissure dans laquelle de l’eau s’est engouffré, ce qui a fini par faire imploser le foil. Il manquait quasiment 2-3 centimètres de carbone tout le long, on l’a entièrement réparé chez Persico, mais on ne l’a remonté que lundi dernier. Donc ça a forcément perturbé un peu ma préparation dans le sens où j’ai beaucoup navigué cette saison, mais avec un seul foil. Du coup, tu ne peux faire des tests que sur un bord avec le poids du bateau qui n’est pas le même. Maintenant, j’ai essayé de ne pas trop me formaliser avec ça, et sur tous les autres dossiers, oui, on est dans les temps.
▶ A seulement 31 ans, tu vas t’élancer sur ton troisième Vendée Globe, aurais-tu imaginé ça, il y a dix ans ?
Quand j’avais 20 ans, je ne m’imaginais même pas faire la Mini Transat ! Je n’ai jamais eu de plan de carrière ni de stratégie. Je fais ma route, je prends tout au fur et à mesure, je suis juste content d’être là, d’y retourner avec ce beau projet qui vient après deux autres qui étaient très différents.
▶ En quoi celui-là est-il très différent ?
Mes deux premiers Vendée Globe, je n’avais qu’un seul objectif, c’était d’aller au bout. Le premier, c’était une histoire d’amour avec un bateau, un projet précipité, parce que l’occasion s’était présentée de le récupérer. Je n’avais aucune thune, pas d’expérience du grand large, hormis la Mini et un peu de Class40, j’y allais juste pour réaliser un rêve de gosse, sans aucune idée de ce qui m’attendait. J’ai vécu le deuxième différemment, parce que je ne m’étais pas préparé, après le bonheur absolu du premier, à vivre un tour du monde aussi compliqué, avec pas mal d’avaries, c’était vraiment une course dans le dur. Là, j’y vais dans un état d’esprit très différent, j’ai forcément plus de pression sur les épaules, avec un bateau plus compétitif, sur lequel on a tout mis en œuvre pour le remettre au goût du jour avec les armes qu’on avait, donc mes ambitions sont revues à la hausse.
“Le regard des gens
me gênait beaucoup”
▶ Cette pression dont tu parles, elle vient de l’extérieur, du sponsor ?
Non, personne ne me met pas de la pression pure et dure en me disant que je dois finir à telle place. C’est moi qui me la mets, j’ai envie de me prouver à moi-même que je suis capable de faire une très belle course. Maintenant, j’ai décidé d’arrêter de trop m’en mettre cette année, parce que j’en ai un peu bavé. J’ai eu des courses de préparation qui n’ont pas toujours été évidentes, j’ai pris bâche sur bâche, et avec cette histoire d’avoir un super bateau, le regard des gens me gênait beaucoup, je me sentais mal, je n’arrivais plus à naviguer. Du coup, je me suis dit : “Enlève-toi cette pression, navigue pour toi, c’est ta course, ton truc”. C’est vraiment dans cet état d’esprit que je vais partir. Et ce qui me rassure beaucoup, c’est que c’est sur les courses les plus difficiles que j’ai réussi à mieux performer, comme la Transat CIC, sur laquelle j’étais dans le bon paquet avant de casser. Or, le Vendée Globe est une course difficile, qui me convient bien, je me sens à l’aise dans les mers du Sud, j’ai donc envie d’être au rendez-vous, un bon outsider.
▶ Vu d’extérieur, on a eu l’impression que tu as mis du temps à apprivoiser ton bateau (ex Hugo Boss, plan VPLP mis à l’eau en 2019), cela a-t-il été le cas ?
En fait, quand on l’a racheté, on s’est dit qu’on avait un bateau plus rapide et que ça allait être facile. Sauf que des bateaux plus rapides, il y en a plein aujourd’hui, et surtout, Hugo Boss avait peu évolué depuis son lancement, contrairement à d’autres, donc on est partis avec du retard. Et combler le retard dans ces projets, c’est très compliqué, à moins d’avoir un monstre de budget, ce que nous n’avions pas [2 millions d’euros annuels, tout compris, précise-t-il, NDLR]. Je pense qu’Alex avait un coup d’avance à la mise à l’eau, mais le bateau avait aussi des défauts, à savoir un plan de voilure bizarre avec des voiles très creuses et très lourdes, des foils qui crantaient très peu… Ce qui a été difficile la première année, c’est que je me suis dit que ça allait marcher, parce que c’était le bateau d’Alex, mais non, il était adapté à sa manière de naviguer qui n’était pas la mienne. On a donc beaucoup travaillé pour le mettre à notre sauce.
▶ Peux-tu détailler toutes ces modifications ?
On a commencé par mettre de la quête dans le mât, parce qu’il n’y en avait pas, on a racheté beaucoup de voiles d’occasion qu’on a retaillées pour les adapter à ma façon de naviguer, ça a été un bon dossier de comprendre le plan de voilure performant pour ce bateau. Je me suis aussi rendu compte très vite qu’il était trop léger, il manquait de puissance, donc on a rajouté 300 kilos dans le bulbe, on a aussi installé des réglettes sur les foils pour cranter plus, donc réussir à faire plus de cap au près et à décoller plus tôt. On a changé tous les ballasts à l’intérieur, rajouté du volume de mousse de flottabilité sur la jupe arrière pour sortir le cul de l’eau, car il avait tendance à être collé dans le petit temps. On a également coupé quatre mètres d’étrave, refait toute l’ergonomie intérieure… Au final, on a une bonne base qui fait, que, selon moi, on a gagné 15% à toutes les allures. La seule chose qui nous manque aujourd’hui, c’est une nouvelle paire de foils, mais sinon, c’est vraiment un bon Imoca typé Vendée, moins polyvalent que d’autres, mais dans le Sud au portant, c’est un bateau gagnant.
“Un projet Swiss Offshore Team
ambitieux et innovant”
▶ Sur ton site, tu avais intitulé ce nouveau cycle de quatre ans “La performance comme objectif“, quel objectif de performance te fixes-tu sur ce troisième Vendée Globe ?
J’aimerais jouer avec les bateaux de ma génération ou ceux qui ont été modifiés et vont bien, je pense notamment à Teamwork, DMG Mori, Apicil, Prysmian… Maintenant, je pense qu’on est vingt bateaux à pouvoir gagner le Vendée Globe.
▶ L’exemple de Yannick Bestaven, que personne ne donnait gagnant il y a quatre ans, est-il une bonne source d’inspiration ?
Carrément ! Ce qui est marrant, c’est qu’avant ce Vendée Globe, on avait fait des paris au sein de l’équipe, j’avais mis Yannick vainqueur ! Pour moi, ce n’était pas une surprise. Car Yannick, c’est un diesel, et surtout, il avait un bateau qu’il connaissait par cœur. Pour moi, c’est ça, le truc. Ce n’est pas de faire des modifs les derniers mois qui vont te faire gagner 0,2 ou 0,3 %, mais c’est connaître son bateau et faire corps avec lui, c’est exactement ce qu’il a fait, c’est hyper inspirant.
▶ Tu as annoncé la semaine dernière le lancement du Swiss Offshore Team, mené avec Elodie Mettraux et Simon Koster, peux-tu nous en dire plus ?
Avec Simon, ça fait plus de dix ans qu’on fait de la course au large, on a pas mal galéré, on a aussi vu passer plein de talents suisses, issus de l’olympisme, de la régate ou même du large, et ne pas réussir à se lancer. Elodie a aussi pas mal navigué, surtout en équipage, elle est passée par des hauts et des bas, en discutant, on s’est dit : “Pourquoi ne pas monter un truc ensemble en faisant venir plein de Suisses pour naviguer en équipage ?” On a mûri le projet qui est ambitieux et innovant, avec dès l’année prochaine The Ocean Race Europe puis The Ocean Race en 2027, si possible avec deux bateaux, et le Vendée Globe dans la foulée.
▶ Avez-vous des partenaires et des bateaux en vue ?
On est en pleine discussion avec tous nos partenaires. On devrait avoir des réponses rapidement, mais je ne me voyais pas attendre avant de lancer le projet, je voulais que ce soit clair avant de partir sur le Vendée. Le programme équipage est quelque chose qui parle en Suisse, on a un historique avec la Whitbread [avec Pierre Fehlmann, cinq participations, NDLR], mais ça fait 30 ans qu’on n’y a pas été, il est temps d’y revenir ! Pour ce qui est des bateaux, l’idée est de modifier le nôtre l’année prochaine avec de nouveaux foils et derrière, de construire ou acquérir un deuxième bateau en vue The Ocean Race. Ça fait un bout de temps que je discute avec les skippers de la classe, je sais lesquels sont dispos, maintenant, il ne faut pas traîner, parce que le marché a déjà commencé et que les places dans les chantiers pour des constructions deviennent déjà rares !
Photo : Vincent Curutchet