Vainqueur en novembre dernier de la Transat Jacques Vabre avec Charlie Dalin sur Apivia, Yann Eliès a failli lancer in extremis un projet de Vendée Globe 2020 sur un bateau neuf, avant de renoncer. A bientôt 46 ans, le Briochin ne manque pour autant pas de projets, comme il le confie à Tip & Shaft.
Revenons d’abord sur la Jacques Vabre : avec un peu de recul, te dis-tu que votre victoire était méritée ou heureuse ?
Les deux ! Elle est méritée pour toute l’équipe qui a travaillé à la conception et à la fabrication du bateau : la vraie victoire a été d’avoir réussi à nous mettre à disposition une machine capable de gagner la course. Je me souviens que, lorsque on a mis le bateau à l’eau et qu’on est arrivés, trois jours après, à taper les 20 nœuds très facilement dès le premier bord, j’ai eu le sentiment qu’on avait un coup à jouer sur la Jacques Vabre – j’ai rêvé tout de suite. Ensuite, on a eu un peu de chance dans le Pot-au-noir, il faut le reconnaître, mais nous étions là pour saisir l’occasion, parce que nous avions su éviter de faire des bêtises qui auraient amputé le potentiel du bateau.
Avez-vous eu besoin d’appuyer sur la pédale de frein pendant cette Jacques Vabre ?
Disons que nous avons été sages dans l’option de départ, ça a été la meilleure décision qu’on ait prise de la course. On savait que l’option ouest était engagée et surtout dangereuse, car si elle ne s’avérait pas payante, c’était une voie de garage, sans retour possible ni plan B. Ça s’est finalement ouvert un petit peu pour ceux arrivés derrière comme Thomas Ruyant, mais pour nous qui étions devant, surtout avec un bateau neuf, ça ne valait pas le coup. Après, on a levé le pied après l’équateur parce qu’on avait course gagnée.
Au terme de ces quelques mois sur Apivia, quel est ton retour sur ce bateau ?
J’ai adoré les allures débridées, entre 65 et 130 degrés du vent. Avant, on avait du mal à commencer à voler en-dessous de 90 degrés, là, on a comblé toute cette plage entre 65 et 90 avec des machines démoniaques. En revanche, elles le sont aussi au niveau de la vie à bord, parce qu’on se retrouve avec des zones d’impact au niveau du cockpit. Concrètement, tu encaisses les chocs comme si tu étais à l’étrave du bateau il y a dix ans : c’est comme si tu mettais ta cellule de vie dans la crashbox, c’est super inconfortable. Après, j’ai été déçu des performances des nouveaux bateaux au portant, ils ne sont pas plus rapides que ceux de la génération précédente. Donc je pense qu’une des clés, cet hiver, va être de les faire progresser sur ces allures.
Justement, si tu étais aujourd’hui dans la peau d’un marin qui va prendre le départ du Vendée Globe dans dix mois, sur quel bateau te verrais-tu ?
(Rires). Je crois que je partirais quand même avec Apivia parce que c’est un bateau qui m’a semblé facile d’utilisation et assez polyvalent, mais j’aurais une peur bleue de Hugo Boss qui a tout misé sur le portant là où nous, en France, on veut toujours trouver un compromis. Sur cette Jacques Vabre, s’il avait fait une course raisonnable, on ne l’aurait pas vu, je pense qu’il s’est trompé d’objectif en partant plein ouest alors que le bateau n’était pas prêt.
Alex Thomson est-il selon toi le grand favori du Vendée Globe ?
Je t’en dirai plus quand j’aurai vu la forme des foils qui vont sortir au printemps prochain, mais aujourd’hui, c’est lui qui a mis le curseur le plus loin et qui a le bateau le plus typé.
A propos de Vendée Globe, l’annonce par l’organisateur de ta candidature pendant la Jacques Vabre a fait du bruit, était-ce prévu comme ça ?
Disons que j’étais en discussion avec un partenaire qui pouvait me permettre d’être au départ du Vendée en construisant un bateau, ce qui était d’ailleurs l’unique condition pour y participer parce qu’il n’y avait plus de bateaux disponibles. Comme il fallait déposer le dossier avant le 1er novembre, on s’est inscrits. Après, j’ai été un peu victime de la communication du Vendée Globe, on leur avait demandé de nous déclarer comme skipper inconnu avec bateau inconnu, comme ça existe sur d’autres courses, ça ne s’est pas passé comme ça, mais il n’y a pas de drame. Après, quand je suis rentré de la Transat Jacques Vabre, on s’est rendu compte que la discussion prenait trop de temps et que le budget était un peu en-deçà de ce qu’on espérait, on a donc été obligés de tout stopper. Sur le coup, j’ai été très déçu de ne pas pouvoir aller au bout, parce que comme tout le monde, j’y ai cru.
Tout le projet est-il tombé à l’eau ou restes-tu en contact avec ce partenaire en vue du Vendée 2024 ?
Ce n’est pas complètement tombé à l’eau, mais on passe d’une échéance hyper exaltante à moins d’un an, un véritable défi pour le skipper et le sponsor, à une échéance à cinq ans, c’est plus compliqué à vendre.
Ressens-tu une forme d’injustice de ne pas être au départ de ce Vendée Globe ?
La facilité serait de se dire que c’est injuste. Mais si j’analyse vraiment ces quatre années depuis 2016, je me rends compte que c’est quand même moi et les gens avec qui j’ai travaillé qui n’ont pas été bons. On a aussi peut-être manqué d’un peu de chance. Je suis quelqu’un qui préfère se concentrer sur le sportif – et ça, je pense que je l’ai plutôt bien fait, parce que j’ai gagné deux fois la Transat Jacques Vabre (2017 et 2019) et que j’ai fait deuxième de la Route du Rhum -, mais peut-être que sur mon réseau et sur la façon d’aller chercher des partenaires, je n’ai pas été bon, il faut le reconnaître.
Cela change-t-il ta manière de faire pour la suite ?
Oui, j’ai entamé une relation avec l’agence Oconnection que je trouve top, je me dis que c’est dommage de ne pas les avoir rencontrés six mois plus tôt.
Si tu te projettes désormais vers l’avenir, quelle priorité te fixes-tu ? Le Vendée Globe 2024 ?
Ma priorité du moment est de retourner faire du bateau, ce que je vais faire dès la fin du mois de janvier. Après, je me dis que tout est possible, je ne m’interdis rien, j’ai le sentiment que sur la route du Vendée Globe 2024, il y a beaucoup de choses à faire. Une Ocean Race en tant que skipper ou équipier, ça me dirait bien, surtout dans ce sens-là : faire cette course puis le prochain Vendée, ce serait le rêve. Le Vendée Globe, c’est quand même une course sur laquelle j’aimerais un jour avoir les moyens de mes ambitions.
As-tu des contacts pour participer à The Ocean Race ? Et au sein de l’écurie MerConcept (qui héberge le projet de Charlie Dalin), as-tu créé des liens avec l’équipe 11th Hour Racing ?
J’ai rencontré les organisateurs qui sont ultra-motivés pour qu’il y ait un bateau français au départ de la course. Maintenant, la marche est super élevée et c’est difficile à vendre à un sponsor français. Pour ce qui est de 11th Hour, je me suis rapproché de l’équipe que j’ai vraiment trouvée top, avec Charlie Enright, Mark Towill, Pascal Bidégorry, ça m’a effectivement vraiment donné envie de travailler avec eux dans un univers anglo-saxon. Ils ont prévu de faire une campagne d’essais d’équipage en mai prochain, j’espère qu’ils me donneront ma chance.
Tu disais que tu allais refaire du bateau fin janvier, en Figaro ?
Oui, je vais reprendre les entraînements à Port-laf, parce que je vais participer à la Transat AG2R.
Avec un skipper et un partenaire identifiés ?
Je serai équipier d’un skipper qui a son partenaire, ce sera annoncé prochainement. Ce qui est sûr, c’est que ces dernières années, j’ai éprouvé un réel plaisir à évoluer en double, que ce soit avec Samantha Davies ou Charlie en 2019, ou avec Jean-Pierre Dick avant. Donc j’espère que le bon « spirit » qui m’accompagne en double va continuer à fonctionner sur l’AG2R, une course que j’aimerais bien accrocher à mon palmarès. Ensuite, l’objectif sera de faire la Solitaire.
La fin de l’année sera sans doute l’occasion pour plusieurs équipages en Ultim de s’attaquer au Trophée Jules Verne, est-ce aussi un de tes objectifs, toi qui as déjà pas mal navigué en multicoque ?
Oui, bien sûr, j’ai proposé mes services à Gitana, je ne sais pas encore s’ils vont s’y attaquer. J’ai déjà accroché deux fois le Trophée Jules Verne [sur Orange et Orange II, NDLR], mon rêve serait d’y retourner. Ce qui est sûr, c’est que j’aimerais bien être en mer pendant le Vendée Globe. Je me rappelle de celui de 2012 que je n’avais pas fait, ça avait été compliqué à vivre.
Photo : Maxime Horlaville
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