La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et la crise économique qui en découle touchent de nombreux partenaires de la course au large. Directeur général de Paprec Group (*), investi dans la voile depuis de longues années – en TP52 et en tant que co-sponsor titre du 60 pieds Imoca Arkéa Paprec de Sébastien Simon – Sébastien Petithuguenin a accepté pour Tip & Shaft de raconter comment la société fondée en 1995 par son père Jean-Luc gérait cette crise.
Pouvez-vous nous expliquer comment Paprec Group s’est organisé pour faire face à la crise de Covid-19 ?
Nous sommes un secteur essentiel, puisque nous assurons un service à la population absolument nécessaire : pour dire les choses simplement, on collecte les poubelles et on les trie dans nos centres ; à côté, on collecte aussi les déchets des entreprises, et notamment des supermarchés. Donc notre priorité a été de faire en sorte que cette activité continue, en mettant en place des mesures de protection pour nos salariés, ça a été un boulot énorme, parce qu’il faut repenser les habitudes de travail, se doter des équipements de protection… Nous y sommes arrivés grâce à la mobilisation de tous nos salariés qui ont été remarquables et dont je suis très fier, il n’y a pas eu de demande de droit de retrait alors qu’il y avait forcément de l’inquiétude face à ce virus. Après, nous avons aussi beaucoup de clients qui ont arrêté leurs activités, comme dans l’automobile et l’aéronautique, ce qui fait que nous vivons une situation à deux vitesses avec une partie de notre activité qui tourne à fond, autour de laquelle il a même fallu renforcer nos moyens, et une autre complètement à l’arrêt. Au global, nous estimons que notre volume d’activités a été divisé par deux.
Le groupe va donc être impacté par la crise actuelle ?
Oui, bien sûr que nous serons impactés. Aujourd’hui, je ne trouve pas vraiment de secteur de l’économie qui pourrait dire qu’il n’est pas impacté et je pense que nous sommes assez représentatifs de ce que l’économie française est en train de subir, c’est un choc absolument massif.
Vous êtes depuis le début des années 2000 un sponsor majeur de la voile, notamment via un long partenariat avec Jean-Pierre Dick en Imoca, et vous avez déjà vécu une crise économique importante en 2008, cet investissement avait-il été remis en question à l’époque ?
Non, pas vraiment, parce que nous avons toujours été dans une logique de long terme et que nos partenariats s’inscrivent dans la durée. Après, c’est sûr qu’aujourd’hui, l’intensité de la crise est très très violente et, surtout, on n’en connaît pas la durée et on ne sait pas si le redémarrage sera rapide ou pas. D’après la plupart des économistes, et ce que je crois aujourd’hui, l’impact sera très important et donc forcément, dans ces situations difficiles, dans toutes les boîtes, le premier truc qu’on regarde, c’est les dépenses qu’on peut limiter. Et les partenariats sportifs, comme la voile, sont toujours en tête de la liste. Donc dans toutes les boîtes, y compris Paprec, on se pose des questions sur ces partenariats.
Et quelles sont les réponses à ce jour ?
Nous avons un engagement de très longue durée avec la voile, nous avons un projet qui nous amène jusqu’au Vendée Globe et nous n’avons pas du tout envie de l’arrêter. Après, pour être honnête, les conditions actuelles de l’organisation d’un Vendée Globe sur l’année 2020 ne me paraissent vraiment pas réunies. Il me semble qu’il faudrait que la possibilité d’un report à 2021 soit étudiée, parce qu’en 2020, quelle que soit l’évolution de la pandémie, et même si elle est très favorable, je crois que la fête sera forcément un peu gâchée. En se donnant peut-être un peu plus de temps, on aura une chance de refaire du Vendée Globe un très bel événement porteur de plaisir pour tout le monde, ce qui me semble très compliqué cette année. Je dirais même que moralement, je ne sais pas si on aura tant envie que ça d’inviter des clients en novembre, je pense qu’il va y avoir des faillites, beaucoup de boîtes seront dans des conditions difficiles. Est-ce qu’on aura vraiment envie de se retrouver pour faire la fête aux Sables d’Olonne ? J’espère, mais je n’en suis pas certain.
Vous êtes-vous ouvert de cette préoccupation auprès des organisateurs du Vendée Globe et de la classe Imoca ?
Les gens de l’équipe l’ont fait, Sébastien Simon et Vincent Riou sont dans un dialogue avec la classe et les organisateurs du Vendée Globe ; peut-être qu’à un moment donné, il faudra qu’on s’implique plus directement, chez Paprec bien sûr, mais aussi avec tous les sponsors de la classe, pour essayer de donner des orientations sur ce qui pourrait se passer. Nous, clairement, on pense qu’il faudrait reporter d’un an, et plus tôt cette décision est prise, mieux c’est, parce que ça permettrait aux équipes de s’organiser pour être capables de gérer leurs finances qui ne sont pas extensibles à l’infini, surtout en période de crise. Il faut éventuellement geler les projets pendant quelques mois, minimiser les dépenses, pour ensuite les reprendre. Après, si le Vendée Globe se court en 2020, on sera bien sûr au départ, mais je crois que ce sera quand même vraiment dommage, parce que ça ne pourra pas être l’événement qu’on aime, qui a fait rêver le petit Sébastien quand j’étais ado sur les pontons du Vendée Globe. Ce qui me pose aussi pas mal de questions, c’est la fiabilisation des bateaux. Nous avons une nouvelle génération absolument incroyable, avec des bateaux qui volent et font rêver, mais il me semble que c’est vraiment du bon sens qu’ils puissent faire des milles pour les fiabiliser avant de les envoyer sur le Vendée Globe. Aujourd’hui, je trouve que les conditions techniques ne sont pas réunies, les bateaux n’ont pas fait suffisamment de milles en course, il me semble donc nécessaire de revoir le programme pour leur permettre de passer du temps en course et donc de les éprouver.
Le programme de la saison a été déjà un peu amputé, avec dans le meilleur des cas une seule course de préparation (la Transat New York-Vendée Les Sables d’Olonne sur un parcours remanié et sans doute en juillet), cela peut-il vous conduire à revoir le montant de votre investissement ?
Non, pas du tout. Nous sommes dans une logique de soutien, donc nous n’allons pas leur retirer des moyens pour mettre au point le bateau. Par contre, c’est sûr qu’en termes de retour sur investissement, la situation est quand même catastrophique pour ceux qui, comme nous, financent des bateaux. Il y avait déjà eu l’annulation de la Barcelona World Race, qui avait été un coup important pour la classe car c’était quand même une épreuve qui avait une visibilité intéressante et il y a désormais de nombreuses courses annulées, donc les retombées sont forcément amputées. Maintenant, nous sommes investis depuis très longtemps, on ne regarde pas le très court terme et on veut continuer. Pour ceux qui sont présents depuis moins longtemps dans la voile, je pense que ça peut amener d’autres questionnements.
Pour avoir vécu une première crise en 2008, quels conseils donneriez-vous justement à ces partenaires plus récents ?
Même si je sais que c’est difficile, je leur conseillerais d’être patients. Je pense que dans les politiques de partenariat, la légitimité se dégage dans le temps, et il en faut pour créer des affinités et associer son entreprise avec ce sport. Et j’estime que les valeurs portées par la voile ressortiront beaucoup plus fortes après la crise. Les gens associent la voile à l’environnement, au dépassement de soi, à la performance, et après cette crise sanitaire qui nous occupe tous et nous aide aussi à faire le tri entre le superflu et le nécessaire, ils auront besoin de ces valeurs et de l’authenticité des marins qui sont des gens bien, intéressants.
Quel montant annuel consacre Paprec au sponsoring voile ?
Nous ne souhaitons pas communiquer sur ce sujet, d’autant moins que la période est difficile, ça pourrait être malvenu. Mais je le répète, nous ne baisserons pas notre aide, parce qu’en face de nous, il y a une équipe qui a engagé des ressources et fait travailler du monde, nous respecterons nos engagements pour respecter ces gens qui travaillent sur ce projet.
Un mot sur le programme TP52, lui aussi réduit avec l’annulation de nombreuses courses auxquelles votre bateau devait participer, se dirige-t-on selon vous vers une saison blanche ?
Honnêtement, on n’en a aujourd’hui aucune idée. Ce qui est sûr, c’est que ce programme implique des déplacements à l’étranger, notamment en Italie et en Espagne, des regroupements humains assez importants, alors franchement, ça risque d’être compliqué ; il est probable qu’il se passe très peu de choses, voire rien du tout.
Pour finir : à titre plus personnel, vous aviez couru votre première Solitaire du Figaro en 2018, une deuxième participation est-elle au programme ?
J’ai beaucoup aimé ça, donc il ne faut jamais dire jamais, mais aujourd’hui, mes priorités sont chez Paprec et avec ma famille, ce n’est donc vraiment pas au programme. Par contre, cette expérience m’a montré qu’on développe des qualités sur cette épreuve qu’on retrouve en période de crise ; il y a sans cesse des retournements de situation sur la Solitaire, il faut se battre, ne rien lâcher, ces qualités morales sont utiles dans les situations de grande incertitude, comme celle que nous vivons.
(*) Premier acteur indépendant du traitement des déchets en France, Paprec Group, emploie 10 000 salariés en France pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros.
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Joint ce vendredi au sortir de la conférence téléphonique hebdomadaire réunissant skippers, teams et organisateurs du Vendée Globe et de la Transat New York Vendée, le président de l’Imoca, Antoine Mermod, a réagi ainsi à la demande de report formulée par Sébastien Petithuguenin : “Le communiqué de presse sorti cette semaine affirme très clairement que la SAEM Vendée reste concentrée vers l’objectif d’organiser le Vendée Globe le 8 novembre. La SAEM Vendée étant un organisme public, ils sont en contact permanent pour avoir les meilleures informations sanitaires, le fait qu’elle soit toujours en ligne avec la date prévue est un signal assez fort. Il faut respecter tous les avis, au sein de la classe, on travaille, on réfléchit, on débat, on se projette, on n’est pas tous d’accord, mais aujourd’hui, je crois qu’en majorité, les skippers étaient contents et ont remercié la SAEM Vendée de sa communication, c’était important pour eux d’avoir ce soutien officiel.”
Photo : Martin Viezzer