Après une saison sur le circuit Figaro Beneteau ponctuée de quatre victoires en autant de courses en solitaire, dont la Solitaire du Figaro, et d’un titre de champion de France Elite de course au large, Tom Laperche s’apprête à disputer The Ocean Race avec l’équipage de Holcim-PRB. Avant de poursuivre la saison 2023 sur l’Ultim SVR Lazartigue de François Gabart. Un programme dense que le marin de 25 ans évoque pour Tip & Shaft.
► Peut-on dire que tu sors d’une saison de Figaro parfaite ?
Oui, c’est une saison dont je suis super content, j’ai pris énormément de plaisir dans le fait d’acquérir cette maturité sur un circuit exigeant, d’obtenir ce statut de chef de file et de remporter plusieurs victoires, notamment sur la Solitaire du Figaro. Le niveau de maîtrise que j’ai réussi à avoir, tant au niveau technique, dans les manœuvres, les choix de voiles et la vitesse, que sur la stratégie et la gestion de la flotte, m’a apporté beaucoup de satisfaction.
► As-tu ressenti une sorte d’état de grâce, avec l’impression que tout te réussissait ?
Oui, je me suis fait cette réflexion, j’ai véritablement ressenti cet état de grâce sur toutes les courses de la saison, tout se déroulait hyper bien à chaque fois. C’est un mix entre du travail, un statut que tu acquiers dans la flotte, qui fait que quand tu changes de voile ou que tu choisis une option, les autres te suivent, et le fait que les planètes s’alignent bien.
► Malgré ce sans-faute, tu n’as pas fait partie des nommés pour le titre de Marin de l’Année, as-tu été surpris ?
(Sourire). C’est sûr que ça aurait été chouette d’être nommé après avoir gagné toutes les courses en solitaire en Figaro et le titre de champion de France Elite de course au large de la Fédération française de voile. Maintenant, je ne sais pas quels critères sont pris en compte, je ne comprends pas tout. Mais ce n’est pas très grave, j’ai quand même reçu une récompense pour ma Solitaire, et il y en a d’autres qui n’ont jamais été élu Marin de l’année, comme François Gabart.
► Quel bilan fais-tu de tes quatre années de Figaro ? T’imaginais-tu, quand tu as débuté en 2019, atteindre un tel niveau ?
Disons que j’en avais rêvé, d’autant que dès le début, ça s’est super bien passé, il y a eu assez vite des résultats et sur l’eau, je voyais que je faisais de bons coups, et surtout, que je prenais du plaisir, j’aimais bien ça. Donc j’espérais bien toucher le meilleur de ce circuit – mais de là à faire aussi bien que cette année, quand même pas… Le bilan est donc super positif, j’ai appris plein de choses, j’ai rencontré du monde, ça m’a lancé et m’a permis d’avoir une certaine reconnaissance, avec des portes qui se sont ouvertes à droite à gauche pour aller naviguer sur d’autres supports.
“The Ocean Race est
une expérience hors norme”
► La page du Figaro est-elle tournée pour toi ? Fini le temps où les marins restaient dix ans ou plus sur le circuit ?
Oui, la page est tournée pour les années qui viennent, d’autant que je pense avoir atteint le meilleur, je me sens donc assez libéré de me lancer sur de nouveaux projets. C’est sûr que je ne me voyais pas rester dix ans dans cette classe, mais je pense que la course au large a pas mal évolué ces dernières années : avant, il y avait beaucoup de marins qui restaient ou revenaient courir la Solitaire, parce que c’était assez facile à mettre en œuvre et parce que les autres classes étaient soit inaccessibles, soit moins développées. Aujourd’hui, le Figaro reste une classe où il y a un gros niveau et une bagarre extraordinaire du fait de la monotypie, mais c’est vrai qu’on y reste moins longtemps ; c’est en tout cas une super formation.
► Parlons maintenant d’avenir, qui, dans l’immédiat, passe pour toi par The Ocean Race dans un mois au sein de l’équipage de Holcim PRB, comment t’es-tu retrouvé embarqué dans l’aventure ?
On avait pas mal échangé l’hiver dernier avec Pascal Bidégorry qui était venu naviguer au sein de la filière Bretagne CMB avec Gaston (Morvan) et moi, ça avait été très riche. Je le connaissais aussi parce qu’il était de temps en temps avec François (Gabart) sur SVR Lazartigue. Un jour, il a commencé à me parler de The Ocean Race, il a échangé à mon propos avec Kevin (Escoffier), ils ont évoqué le sujet avec moi juste avant la Solitaire et ils m’ont fait la proposition fin septembre.
► Tu as dit oui tout de suite ?
Oui, parce que c’est une expérience hors norme, qui va beaucoup changer par rapport à ce que j’ai fait avant. Si tu aimes la voile et la course au large, tu ne peux qu’être attiré par la perspective de faire un tour du monde. J’ai envie de voir le Grand Sud, il y a la notion de voyage aussi qui m’attire beaucoup, je vais aller au Cap Vert, au Cap, à Itajai… Et le tout en Imoca avec un super équipage (dévoilé très prochainement, NDLR).
“La notion de vol est passionnante”
► Avez-vous eu le temps de vous préparer ?
J’ai fait un stage début octobre à Port-la-Forêt avec Kevin et une partie des gens qui, potentiellement, pouvaient intégrer l’équipage, c’était enrichissant pour découvrir le bateau, sachant que mon expérience de l’Imoca est très limitée. C’est clair qu’on s’est très peu entraînés, mais nous sommes quasiment tous dans le même cas : en dehors de 11th Hour Racing qui a vraiment cet objectif en ligne de mire depuis quelques années, tous les bateaux ont fait la Route du Rhum, les équipiers arrivent d’autres projets… Malgré ça, je pense qu’on a tout pour être performants sur une édition qui est un peu une édition de transition, avec cinq bateaux. Il va falloir trouver le bon rythme, le juste milieu entre le fonctionnement en équipage, comme on le connaissait jusqu’ici sur la Volvo, avec beaucoup de changements de voiles et de manœuvres, et ces Imoca à foils qui vont plus vite et qu’on va mener à quatre, avec en plus un media man. On va apprendre au fur et à mesure et, sur cette course, c’est souvent l’équipe qui progresse le plus qui gagne.
► Tu nous disais il y a deux ans que ton rêve à terme serait de faire le Vendée Globe, cette expérience peut-elle te permettre de t’en rapprocher ?
Aujourd’hui, ce n’est pas la priorité du moment, en tout cas pas pour 2024. Pour 2028, ça peut être un bel objectif, donc forcément, le fait de vivre cette expérience en Imoca sur The Ocean Race et d’aller voir le Sud, ce n’est que du positif. Maintenant, ça dépendra vraiment des opportunités : quand je vois ce qu’il s’est passé pour moi entre 2019, où j’étais encore à l’école, et maintenant, ça me paraît bien compliqué de te dire où je serai dans six ans !
► Finissons par l’Ultim, ça fait maintenant un an et demi que tu navigues régulièrement sur SVR Lazartigue, qu’est-ce que cela t’apporte ?
Ça a été génial de participer l’année dernière aux premières navigations du bateau, puis de faire la Transat Jacques Vabre avec François, ça restera un souvenir incroyable, une super course pendant laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir et à faire progresser le bateau. Il n’y a pas énormément de supports sur lesquels tu reviens de chaque navigation avec un tel sourire. Les sensations sont extraordinaires et la notion de vol est passionnante : dès que tu changes un petit réglage, tu le vois tout de suite sur la vitesse du bateau, et ce n’est pas de l’ordre du dixième de nœud, comme en Figaro ! J’ai aussi découvert la vie dans une belle entreprise, MerConcept, avec une super organisation, beaucoup de compétences, des rapports humains, ça me donne envie de continuer.
► Justement, quelle est la suite pour toi ? Des bruits courent sur le fait que François Gabart ne continuera peut-être pas à naviguer en solitaire, et ton nom est souvent cité pour lui succéder, est-ce d’actualité ?
Je ne peux pas trop répondre là-dessus, le programme de l’année prochaine et des années à venir est en cours de définition. Mais c’est sûr que j’ai envie de continuer à naviguer sur ce bateau. En termes de navigation au large en solitaire, j’ai toujours dit que l’Ultim était ce qu’il y avait de plus engagé, un peu le summum de la discipline, donc c’est ce que je rêve de faire.
Photo : Guillaume Gatefait
