Thomas Coville

Thomas Coville : “Je ne suis pas rassasié !”

Parti le 30 novembre à l’assaut du Trophée Jules Verne, détenu depuis janvier 2017 par Idec Sport (Francis Joyon) en 40 jours 23 heures et 30 minutes, Sodebo Ultim 3 a dû interrompre sa tentative le mardi 3 décembre pour cause de casse du safran central avant de rentrer une semaine plus tard à Lorient. Tip & Shaft en a profité pour échanger avec son skipper, Thomas Coville.

▶ Peux-tu revenir sur cette avarie de safran qui vous a contraints à faire demi-tour ?
Le safran a été coupé net à la sortie de la coque centrale, on n’a pas senti de choc ni d’arrêt, donc on penche plus sur l’hypothèse d’un bout ou d’un filet qui aurait accroché et arraché le safran en le retenant comme un élastique au moment où on avançait à 38 nœuds. Depuis qu’on est rentrés, notre équipe technique a changé le safran, on a radiographié plusieurs endroits, sorti la dérive pour la contrôler, rien d’autre n’a été impacté. Donc on va renaviguer lundi, d’ores et déjà prêts à repartir. Pour avoir fait beaucoup de solitaire et être parfois rentré avec les bottes lourdes, je me rends compte à quel point c’est précieux de pouvoir s’appuyer sur l’énergie d’une équipe dans ce genre de moment.

▶ Y a-t-il des regrets au regard de la fenêtre que vous aviez saisie ?
Forcément, oui. On avait décidé de partir sur une fenêtre assez atypique, en tout cas nouvelle pour cette génération de bateaux volants, dans le sens où tu peux partir au près ou au reaching, ce qui n’était pas imaginable pour les bateaux archimédiens et ouvre un champ des possibles bien plus large pour le départ. C’était une route qui nous faisait aller à l’ouest au début et était un investissement pour la suite, avec une traversée du Pot-au-noir à un endroit plus facile. Au moment de l’avarie, on était partis sur des journées à 850 milles qui devaient nous permettre de récolter les fruits de cette fenêtre pas facile à réaliser, mais intéressante au niveau de la liaison avec l’Atlantique Sud, un paramètre très important afin d’arriver en 10-11 jours à Bonne-Espérance. Cet enchaînement était limite, mais on était dans le timing, on prévoyait d’être en 5 jours et 2-3 heures à l’équateur.

▶ Une nouvelle fenêtre se dessine-t-elle dans les prochains jours ?
On travaille avec D-Ice qui fait des projections statistiques et des analyses d’ensemble pour projeter le bateau jusqu’au cap de Bonne-Espérance, sur les quatre prochains jours, il n’y a pas grand-chose qui se profile. Mais comme la situation reste perturbée, tant en Atlantique Nord qu’en Atlantique Sud, ça ouvre des fenêtres assez régulièrement, il n’y a pas de gros schémas installés qui créent des situations de blocage, donc je suis confiant dans le fait de repartir assez vite.

“Charlie est quelqu’un
qui m’inspire”

▶ L’enchaînement idéal dans l’Atlantique Sud, ce serait celui des marins du Vendée Globe ?
Oui ! Autant ils ont eu un très mauvais Atlantique Nord en termes de vitesse, autant l’enchaînement ensuite a été génial, les dix premiers ont réussi à rester longtemps devant la première dépression arrivée du Brésil, je dirais même jusqu’à l’Australie pour les deux compères de tête qui ont osé des choses différentes, Charlie et Sébastien Simon.
▶ Justement, à propos de Vendée Globe, quel est ton regard sur la course ?
Je suis la course attentivement, j’apprends toujours des trajectoires et de ce que les marins racontent. Et d’un point de vue plus personnel, je fais toujours l’exercice d’en suivre deux en particulier, en l’occurrence, Sam Goodchild, qui a été un équipier chez nous, et Justine Mettraux, dont j’aime bien la manière de naviguer. Sam a été très bon sur la partie Atlantique Nord, plusieurs fois en tête, et dans les mers du Sud, il se gère bien physiquement, mentalement et techniquement je le trouve intelligent dans sa manière de fonctionner, dans ses positionnements, on voit qu’il a mûri, il est posé, mesuré, ne va pas taper dans les coins. Quant à Justine, sans jeu de mots, c’est un métronome, elle a la cadence, la justesse, elle est solide physiquement et mentalement, régulière. C’est d’ailleurs marrant d’ailleurs de suivre la bagarre des trois filles avec le beau gosse, Boris (Herrmann), ça fait du bien de les voir au coude-à-coude avec les hommes. Sam (Davies) fait une course à la Sam, avec son sourire, elle rayonne, et je n’oublie pas celle qui m’étonne le plus, Clarisse Crémer. Elle a un magnifique bateau (ex Apivia), mais elle l’utilise très bien, elle montre qu’elle est à sa place, elle prend la vraie dimension sportive qu’elle voulait montrer.
▶ Que penses-tu du trio de tête, constitué de Charlie Dalin, Sébastien Simon et Yoann Richomme ?
Charlie, c’est le patron. J’avais souligné à l’époque son attitude à l’arrivée du dernier Vendée, quand il avait franchi la ligne le premier avant qu’on lui retire la victoire – à juste titre -, il avait montré que c’était un très grand monsieur. Dans cette génération, c’est quelqu’un qui m’inspire, il est reparti sur cette édition avec l’intention d’aller chercher cette victoire, il prend les risques pour y arriver, et en même temps, on a l’impression qu’il est très heureux en mer, c’est chouette de voir un leader comme ça. Sébastien Simon fait aussi une course impressionnante et Yoann Richomme, c’est la force tranquille, il a construit un beau projet, a un bateau super, ces trois leaders me plaisent beaucoup !

“J’ai été zinzin
de chaque époque”

▶ Revenons au Trophée Jules Verne, peut-on considérer que pour toi, après avoir couru des années derrière le record du tour du monde en solitaire, c’est une sorte de nouveau graal ?
Je ne sais pas si on peut parler de graal, je ne pense pas avoir déjà utilisé ce mot, mais c’est dans ma personnalité de m’accrocher quand je mords à un objectif, je suis quelqu’un de pugnace. Je n’ai peut-être pas le talent ou la capacité de réussir du premier coup, mais quand on me donne le temps, au final, je finis toujours par y arriver.
▶ Tu l’as détenu deux fois, en 1997 avec Olivier de Kersauson et en 2010 avec Franck Cammas, tu t’y attaques en 2024, finalement, ça correspond à trois époques en termes d’évolution de ces bateaux ?
Oui, c’est marrant, parce que quand j’ai démarré ce job, c’était ce dont je rêvais, je voulais naviguer avec le plus possible de gens différents, sur plein de bateaux différents. Je ne pensais pas que ça aurait cette longévité, j’ai eu cet éclectisme et ce côté un peu caméléon de m’adapter à chaque époque et à chaque bateau, et j’y ai trouvé à chaque fois un plaisir dingo et je ne suis pas rassasié ! J’ai été zinzin de chaque époque : le tour du monde avec Olivier de Kersauson était une épopée, c’était Shackleton, on a été au-delà de 60 degrés Sud avec une mer à -2 degrés ; celui avec Franck et une dream team de douze gars avait été magistral ; là, c’est encore une nouvelle époque, celle des bateaux volants avec à mes côtés six marins qui, pour des raisons différentes, avaient envie et besoin à ce stade de leur parcours de faire le Jules Verne.
▶ Si tu te projettes au-delà, te vois-tu refaire un jour un tour du monde en solitaire, par exemple sur la deuxième édition de l’Arkea Ultim Challenge-Brest ?
Je ne m’interdis rien et on parle évidemment de tout avec la direction de Sodebo. Comme je l’ai dit à l’arrivée de l’Arkea – et ce Trophée Jules Verne s’inscrit dans cette dynamique -, je suis aujourd’hui plus dans l’idée de naviguer avec une nouvelle génération, de transmettre. J’aimerais apporter un modèle un peu différent, un peu à l’image du projet que je trouve aujourd’hui le plus réussi dans le monde, à savoir Team New Zealand. Donc je me projette davantage dans cette notion de transmission d’héritage à une nouvelle génération auprès de laquelle je m’épanouis, je suis dans cette réflexion qu’on va essayer de nourrir avec les skippers, hommes et femmes, que je rencontre.

Photo : Vincent Curutchet / Sodebo Team Voile

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