Agé de 43 ans, Sébastien Col est depuis fin 2018 responsable sportif chez MerConcept, qui a annoncé jeudi l’arrivée du groupe Kresk comme sponsor-titre du futur Ultim de François Gabart. Parallèlement, il navigue en TF35 avec Realteam Sailing, autant d’occasions d’échanger avec ce spécialiste de match-racing, passé ensuite par le large (victoire sur la Transat Jacques Vabre en Imoca en 2015 avec Vincent Riou).
L’arrivée du groupe Kresk sur le projet Ultim a-t-elle été vécue avec soulagement au sein de MerConcept ?
Oui, c’est exactement le mot, parce que ça faisait un moment que ça traînait et que les deadlines se rapprochaient, on avait toujours peur qu’on ne puisse pas démarrer l’exploitation du bateau ou qu’il soit vendu à une autre équipe, donc c’est une super nouvelle.
Comment vas-tu t’impliquer sur ce projet ?
J’ai un rôle assez transversal sur les différents projets de MerConcept, qui est principalement de mettre en place la stratégie sportive de préparation dans un objectif de performance. Ça concerne aussi bien l’Imoca Apivia, que les deux Figaro Skipper Macif et ce projet M101 avec François, donc oui, je vais participer à sa préparation en vue de la Transat Jacques Vabre. Le timing va être super serré, on va surtout se focaliser sur le fait que le bateau puisse traverser, à l’aller comme au retour, pour faire un nombre maximum de milles.
C’est le deuxième trimaran de François, sera-t-il très différent des autres Ultims ?
Par rapport au premier (désormais Actual), oui, même si on va reconnaître certaines lignes, parce qu’on a les mêmes designers et le même bureau d’études. Si on le compare avec la concurrence actuelle, je dirais que ce sera probablement le bateau le plus avant-gardiste de la classe, le bureau d’études a fait un travail assez poussé pour gagner encore de la performance, il y aura des innovations qu’on ne voit pas sur les autres.
Dans quels domaines ?
Aujourd’hui – et l’America’s Cup l’a montré – les gros « steps » concernent surtout l’aéro, ça veut dire la traînée de la plateforme, mais aussi la position des centres d’efforts des voiles qui sont en général abaissés. Dans l’évolution récente des bateaux, on a commencé par mettre des foils sur des bateaux archimédiens, puis on a conçu des bateaux autour des foils, maintenant, on les conçoit comme un package complet, où tout est intégré, c’est assez récent dans la course au large et ce bateau va illustrer cette tendance.
“Le bilan du Vendée Globe de Charlie est positif”
Apivia vient d’être remis à l’eau, quel bilan avez-vous tiré chez MerConcept de la campagne de Vendée Globe de Charlie Dalin ?
On a pris le temps de faire ce bilan, parce que c’était la première fois que MerConcept menait un tel projet, autre que pour François, mais aussi afin d’essayer d’être meilleur la prochaine fois, car même si ce n’est pas encore certain, on devrait a priori repartir sur une campagne. Je pense que le bilan est positif quand on se compare avec ce qui est comparable, à savoir avec les projets similaires au nôtre, avec un skipper qui n’a jamais fait le Vendée Globe et un bateau neuf. Ce qui ressort, c’est que la capacité de MerConcept en tant qu’équipe globale nous a permis de passer les moments critiques plus facilement que si on avait été juste un team Imoca. Derrière cette mission commando autour de Charlie Dalin et d’Antoine Carraz (le directeur technique), il y avait toute la force de frappe de MerConcept qui a été un vrai atout et a permis, à des moments-clés de la campagne, de délivrer des optimisations.
Quel est le sens de l’arrivée de Jean-Luc Nélias en tant que manager de ce projet ?
Dans le bilan, il est apparu qu’il manquait un project manager qui ait l’expérience de la course au large et de la gestion de projet au sens large, de la gestion du partenaire jusqu’à celle de l’équipe et des fournisseurs. On avait un profil très performant au niveau technique avec Antoine Carraz, on avait prévu de l’assister sur la partie gestion du partenaire, mais on a préféré optimiser tout ça en choisissant quelqu’un qui chapeaute le tout. On a donc renforcé l’équipe qui est plus élargie avec un nouveau directeur technique sur ce projet, Baptiste Chardon, et Jean-Luc en tant que chef de projet. On ne l’avait pas démarché parce qu’on n’aurait jamais pensé qu’il veuille nous rejoindre, on a été surpris quand il est venu vers nous pour nous dire qu’il était intéressé, on est super contents de l’accueillir.
Et quel bilan technique avez-vous fait du Vendée Globe ?
Au niveau du bateau en lui-même, on est assez contents, parce que le cahier des charges était de ne pas être dans l’extrême, on ne voulait pas être le plus puissant, le plus large, le plus léger. A côté de ça, on avait mis l’accent sur la fiabilité et en ce sens, le temps de navigation était hyper important. Chez MerConcept, il y a une loi qui dit qu’avant le départ du Vendée Globe, il faut avoir fait l’équivalent en milles d’un tour du monde, on avait réussi à l’atteindre malgré le contexte. Au final, malgré notre problème de cale de foil, le bilan est là encore globalement positif, Charlie a eu peu d’autres soucis qui ont entravé sa performance.
“Mon avis, c’est qu’il faut faire un nouveau bateau”
Pour être plus performant sur le prochain, faut-il en passer par un nouveau bateau selon toi ?
Cette dernière génération a encore un potentiel de performance non exploité, donc on a la sensation de ne pas être encore arrivés au bout de l’exploitation d’Apivia. Le débat n’est pas encore tranché, il faut poser la question à Charlie, mais mon avis personnel, c’est qu’il faut faire un nouveau bateau, parce que je trouve que les Imoca sont aujourd’hui encore trop peu conçus comme une plateforme homogène. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure sur M101 : souvent, la coque est faite d’un côté, ensuite on ajoute les foils, c’est un assemblage d’un puzzle plus qu’un ensemble intégré. Je pense que la nouvelle génération ira plus dans ce sens d’où l’intérêt de construire un bateau.
“SailGP m’attire beaucoup”
A titre personnel, après avoir beaucoup navigué pour des équipes ou en match-race, comment te sens-tu dans ce rôle de responsable sportif ?
Je m’éclate ! Le côté multi-tâches me plaît beaucoup, ça va de donner des « inputs » dans les phases de conception à de la recherche de performance sur l’eau en passant par l’analyse de datas, de la veille techno et un travail sur les optimisations des bateaux. Je retrouve en plus un rôle humain de management dans un cadre intense de concurrence que j’avais beaucoup apprécié pendant l’America’s Cup. Arriver à construire un cadre pour que l’équipe fonctionne, maintenir la dynamique du groupe, sont des choses qui me passionnent, ça a quelque chose de magique pour moi.
Tu navigues encore en compétition, en TF35, peux-tu nous parler de ce projet avec Realteam Sailing ?
C’est un projet suisse que j’ai rejoint fin 2019, on est trois Français avec Gurvan Bontemps et Benjamin Amiot, et trois Suisses, dont Jérôme Clerc et le propriétaire Esteban Garcia. La plupart des équipes viennent du D35, donc le niveau est bon, il a même augmenté par rapport à la période D35, avec pas mal de Français, comme Loïck Peyron ou des anciens de Groupama Team France – Thierry Fouchier, Arnaud Jarlegan, Devan Le Bihan, Thomas Le Breton – et des spécialistes du Lac, comme Alinghi qui tire tout le monde vers le haut. L’objectif pour nous, c’est le podium du championnat, on a fait deuxième et premier des deux premières épreuves, on est donc pour l’instant un peu au-dessus, on arrive en compétition à tirer notre épingle du jeu.
D’autres circuits te font rêver ?
Je ne te cache pas que SailGP m’attire beaucoup, rejoindre une équipe en tant que navigant, entraîneur ou manager me plairait bien. Il reste aussi dans un coin de la tête l’America’s Cup qui m’attire toujours autant. Je garde un super souvenir de ma dernière en 2007, si un jour, une équipe française arrive à retourner sur l’America’s Cup, je ferai tout pour en être.
Photo : Loris Von Siebenthal / TF35 Trophy