SVR Lazartigue, le nouvel Ultim de François Gabart a été mis à l’eau jeudi à Concarneau, sous un soleil de plomb et devant un public venu en masse. Né M101 et longtemps appelé sous ce nom de code, retrait de son commanditaire initial oblige, ce plan signé VPLP, fruit de 150 000 heures de travail, est marqué par des partis pris architecturaux forts. Un concept radical mais réfléchi, à l’image de son skipper, très impliqué dans la conception. Décryptage du dernier-né des Ultims.
C’était en juin 2017, avant le départ de The Bridge. François Gabart alors skipper de Macif(M100, désormais Actual Ultim 3) mis à l’eau à peine deux ans plus tôt, lance déjà l’avant-projet M101. Il consulte logiquement VPLP, qui a dessiné M100, mais aussi Guillaume Verdier, auteur du Maxi Edmond de Rothschild fraîchement mis à l’eau, et retenu pour l’Imoca Apivia, hébergé chez MerConcept, l’entreprise du skipper charentais.
“Dans ce genre de projet, on ne se décide pas sur une esquisse. On juge plutôt l’approche globale, l’investissement que chacun est capable d’apporter”, raconte le skipper. Qui décide de poursuivre sa collaboration avec VPLP : “Ils ont amené autour de la table d’autres acteurs, comme Gsea design pour la structure, North Sails pour l’aéro ainsi qu’Artemis Technologies [émanation du défi suédois pour la Coupe de l’America Artemis Racing, NDLR]. Tout cet environnement a compté”, précise Antoine Gautier, directeur des études chez MerConcept, en charge du design team.
Catamaran ou trimaran ?
A ce moment-là, la Macif n’a donné son feu vert que pour les études ; François Gabart n’a pas encore signé son record autour du monde et personne ne sait vraiment si un multicoque peut voler sur un tel parcours. La consigne est pourtant d’explorer toutes les possibilités, y compris celle d’un catamaran. “Cata ou tri, on voit souvent ça de façon binaire, mais il y a beaucoup de formules intermédiaires et c’est vrai qu’un catamaran avec un pod central, style Décision ou TF 35, était tentant”, raconte Gabart.
Finalement, l’idée est abandonnée “notamment pour des questions de sécurité”, explique Xavier Guilbaud, chef de projet chez VPLP : “C’est plus sécurisant d’avoir un volume au centre dans lequel se réfugier. Et si le cata peut être très rapide quand il vole, il demande d’être toujours à 100%. Dès que tu es en mode dégradé, tu as les deux coques dans l’eau.”
En février 2018, fort de son tour du monde en solitaire exécuté en 42 jours, François Gabart obtient le feu vert de Macif pour lancer M101. La construction du trimaran peut commencer : coque centrale chez Multiplast, flotteurs, foils, bras avant et arrière chez CDK Technologies, assemblage et intégration chez MerConcept.
Trois ans plus tard, le résultat marque les esprits : gracile avec des avants flotteurs très fins – au minimum de ce qu’autorise la règle Ultim (220% du déplacement) – puissant avec son gréement ramassé, l’ex M101 devenu SVR Lazartigue interroge de prime abord par son absence de cockpit, qu’il faut deviner dans les entrailles de la coque centrale, sous les deux petites bulles façon avion de chasse.
L’obsession de l’aéro
L’abandon du rouf traduit l’obsession de son skipper pour l’aérodynamique. “C’était clairement le dossier sur lequel on pouvait faire le plus de gains, raconte Antoine Gautier. Le plus important a été de supprimer la casquette. François est plutôt joueur et croit en la capacité d’adaptation du bonhomme à la machine !”
Comment barrer un Ultim sans mettre le nez dehors ? “Nous avons deux petits volants de kart qui commandent par hydraulique les safrans reliés entre eux mécaniquement”, explique sobrement Gabart. Même si un équipier sera sans doute à poste à l’extérieur à l’arrière – où l’on trouve une barre à roue – pour parer à toute déficience du système lors des premières navigations.
Le skipper de SVR Lazartigue défend son option : “Ce n’est finalement pas très différent de ce qui existe en Imoca où on ne voit rien sous la casquette – sans même parler de la configuration d’Hugo Boss. Dans un planeur qui est pourtant d’un maniement très fin, le pilote est lui aussi enfermé. En solitaire de toute façon, entre barrer et faire du pilote, la frontière est ténue. Ça se résume souvent à pianoter sur la commande en gérant mode et trajectoire.”
Au-delà des gains de masse et de centre de gravité, le principal bénéfice de l’option réside dans l’abaissement du plan de voilure. A bord d’SVR Lazartigue, le rail d’écoute est même incurvé vers le bas en son centre pour que, “poulie dans poulie”, la bôme puisse raser le pont. “On a conservé le même plan de voilure que sur Banque Populaire XI, mais positionné 1,20 mètres plus bas”, précise Xavier Guilbaud.
Plus lourd que M100, plus léger que Banque Populaire XI
La comparaison entre SVR Lazartigue et Banque Populaire XI, mis à l’eau trois mois plus tôt et signé des mêmes architectes, est bien sûr tentante. Si les deux Ultims ont en commun safran de coque centrale, dérive et système de remontée des safrans de flotteurs, ils ne sortent pas des mêmes moules et leur conception diffère sur plusieurs points.
Aux bras incurvés de Banque Populaire XI, François Gabart a préféré une structure parallèle avec des bras en une seule partie “ce qui limite les greffages et s’avère plus fiable”, souligne Xavier Guilbaud. Surtout, les bras sont nettement moins “crossés” (moins courbés vers le haut) sur SVR Lazartigue, traduisant bien l’idée que le bateau doit passer plus de temps en l’air qu’à naviguer en mode archimédien. “C’est plus intéressant sur le plan structurel pour la transmission des efforts et ça permet de mieux soigner l’aéro en évitant l’effet toboggan des bâches et des filets en arrière des crosses”, décrypte l’architecte.
Contrairement au Team Banque Populaire qui a dû réutiliser des outillages existants pour rester dans le bon timing, MerConcept – qui a démarré son projet un an plus tôt – a opté pour des flotteurs assemblés coque-pont et non par demi-coques. Une méthode qui permet d’éviter toute reprise de stratification dans les fonds, la zone la plus sollicitée. Moins longs, les flotteurs de SVR Lazartigue ont pu être cuits dans l’autoclave de CDK Technologies à 7 bars de pression, gage supplémentaire d’une construction soignée.
Avec son mètre supplémentaire (au maximum de la jauge), une casquette très enveloppante, des flotteurs plus volumineux et une structure de bras avant particulièrement renforcée, Banque Populaire XI est annoncé à 16 tonnes quand SVR Lazartigue revendique une tonne de moins sous le peson. “Nous n’avons pas connu le traumatisme du chavirage d’Armel, rappelle Antoine Gautier. Il y a eu beaucoup d’échanges suite à l’accident, mais nous n’avons pas éprouvé le besoin d’aller aussi loin qu’eux dans certains domaines structurels.”
Ce qui n’empêche pas M101 d’être “plus puissant et plus lourd que M100”, dixit François Gabart. De combien ? Motus. “Ce qui est vrai, concède le skipper, c’est que Gitana 17 a sans doute décomplexé tout le monde avec le poids [15,5 tonnes officiellement, NDLR]. A partir du moment où on arrive à voler, la question de la masse est moins importante. Il y a dix ans, on se demandait comment décoller, donc le poids était une obsession. Aujourd’hui, c’est loin d’être le seul critère. Après, si le bateau peut faire 10 kg de moins, je prends toujours !”
Une nouvelle génération d’Ultims
Par bien des aspects, SVR Lazartigue semble donc incarner la voie d’une nouvelle génération d’Ultims. Pour François Gabart, l’architecture navale n’est pas un “domaine stabilisé” : “Au lancement de M100 en 2013, on allait vers le vol mais la Coupe n’était pas encore passée par là et personne ne savait si on saurait faire des foils capables d’encaisser les efforts. Depuis on a beaucoup appris et l’ambition sur M101, c’est de voler tout le temps. Je n’aime pas donner de chiffres car ils sont réducteurs de la révolution que l’on connaît. Dans certaines conditions, les gains sont gigantesques. Je ne dis pas que c’est facile, mais gagner 5 à 10 jours sur un tour du monde est tout à fait envisageable. Et l’Atlantique en moins de trois jours, on a le droit d’en rêver !”
Malgré l’innovation en cours sur ces machines, la question de leur vulnérabilité aux Ofni reste entêtante, comme le montre encore la récente perte du safran central de Gitana 17. “Le bateau sera équipé d’Oscar, qui continue de s’améliorer, mais il n’y a pas, aujourd’hui, de révolution sur le sujet”, avoue Antoine Gautier. Et François Gabart de conclure : “Avec l’augmentation de la vitesse, le facteur météo devient moins aléatoire. En revanche le risque de dégradation du bateau par un choc avec un Ofni augmente. Reste à savoir si sur un tour du monde, l’un moyenne l’autre.”
Photo : MerConcept/Maxime Horlaville