Armel Le Cléac'h

L’Arkea Ultim Challenge au crible des experts, semaine 6

La sixième semaine de l’Arkea Ultim Challenge-Brest n’aura à nouveau pas épargné les cinq solitaires encore engagés, avec une escale technique néo-zélandaise pour Actual Ultim 3, et l’annonce, jeudi matin, d’un nouvel arrêt brésilien pour Armel Le Cléac’h. Pour décortiquer les derniers événements de ce marathon, Tip & Shaft a interrogé l’ancien directeur de course du Vendée Globe, Jacques Caraës, le spécialiste du multicoque et membre de la direction de course, Frédéric Le Peutrec, et le manager de l’équipe Adagio d’Eric Péron, Christophe Boutet

C’est un syndrome bien connu des tour-du-mondistes : la “vraie-fausse délivrance” du Horn. “Après le détroit de Le Maire, on a souvent l’impression que le boulot est fait, qu’ils sont à l’abri, que la maison n’est plus loin… mais on sous-estime toujours le dernier tronçon, souligne l’expérimenté Jacques Caraës. Car une fois ce cap franchi, “il reste 7 000 milles devant l’étrave, plus que n’importe quelle transatlantique, avec des changements de température brutaux super traumatisants pour le corps”, rappelle Frédéric Le Peutrec, qui voit cette sixième semaine de course comme celle de “la vacherie”.

De fait, les trois premiers de la flotte ont montré tour à tour les signes de ce yoyo psychologique avec des contrecoups bien violents, selon Christophe Boutet. A commencer par Charles Caudrelier, qui malgré sa large avance en tête de flotte et son franchissement de l’équateur vendredi, “est apparu physiquement très marqué, blessé même dans le choc avec une pâle d’éolienne. “Psychologiquement, c’est un moment hyper éprouvant. Il est attiré par ce désir de victoire qui lui tend les bras, mais la fatigue physique l’égratigne chaque jour un peu plus, et surtout nerveusement, il doit vivre dans la peur constante du choc, et que tout ce qu’il a bâti s’écroule en une seconde”, devine Jacques Caraës.

 

Vivre “sur un siège éjectable permanent”

 

Une situation d’autant plus exacerbée que “depuis le Horn, toutes les fenêtres météo se sont refermées devant lui”, note Christophe Boutet, obligeant le Maxi Edmond de Rotschild à de laborieuses manœuvres. “Dans le Sud, c’est dur, mais tu accompagnes les systèmes météo, le schéma est assez simple. Dans la remontée, tu dois les traverser, avec des changements de rythme hyper sollicitant, un clapot difficile, des transitions terribles”, liste Frédéric Le Peutrec, qui rappelle que tous “vivent sur un siège éjectable permanent”. 

Ce n’est pas Armel Le Cléac’h qui dira le contraire. Lui qui avait conforté sa seconde place toute la semaine malgré plus de 50 nœuds essuyés après le cap Horn a annoncé, jeudi matin, se dérouter vers le Brésil après une avarie majeure sur son safran central. La question, c’est de savoir à quel point la structure a souffert et s’il va pouvoir réparer et repartir, déplore Jacques Caraës. Psychologiquement, c’est hyper dur parce qu’il pouvait commencer à imaginer passer de nouveau à l’attaque sur la fin de parcours.”

Mais après plus de 40 jours de mer, “les bateaux sont forcément très éprouvés et ce n’est pas étonnant d’avoir des arrêts, souligne Frédéric Le Peutrec. Malgré plusieurs ralentissements et un retard sur Banque Populaire XI passé de 300 milles au Horn à près de 800 milles en cinq jours, Sodebo Ultim 3 poursuit quant à lui péniblement sa remontée. Il y a eu de la casse, forcément. Pour l’instant, Thomas a l’air de réussir à gérer. L’enjeu pour lui c’est de ne pas s’arrêter à nouveau. Mais est-ce que ses réparations seront suffisantes ? Derrière, c’est quand même l’Atlantique Nord en plein hiver. Il faut évaluer en toute lucidité le potentiel du bateau”, ajoute le référent sécurité de la direction de course. Jacques Caraës regrette au passage ce côté très secret où on ne dévoile rien. Ils sont tous tellement habitués à encaisser la souffrance qu’on ne réalise plus ce qu’ils vivent, c’est un peu dommage”.

 

Pour Adagio“le pain blanc
en pleine piste noire”

 

Au milieu de ces incertitudes et de “cette terrible chape de la durée qui pèse de tout son poids”, selon Jacques Caraës, la lumière est venue de celui qui, paradoxalement, est le plus loin de voir le bout du tunnel. “Ça a été la meilleure semaine pour Adagio depuis le départ, reconnaît Christophe Boutet. On a attaqué fort pour accrocher une dépression avec laquelle on devrait traverser jusqu’au Horn. Ça s’est joué à 5 heures près.”

Une belle récompense pour toute l’abnégation d’Eric dans ce projet monté en dernière minute“, souligne Frédéric Le Peutrec, qui y voit “l’heure du pain blanc en pleine piste noire”. Une phase positive qu’il doit notamment à ce “4×4 des mers” décrit par Jacques Caraës comme “certes moins rapide, mais hyper robuste et taillé pour ces conditions”. “Le bateau a tout son potentiel, même si on navigue à 85 % de la polaire pour ne pas prendre trop de risques”, confirme Christophe Boutet.

La phase est d’autant plus positive pour Eric Péron que, devant, Anthony Marchand apparaît triplement diminué. D’abord par l’absence du foil bâbord d’Actual Ultim 3 (retiré lors d’une première escale en Afrique du Sud) qui “le fait ralentir, mais rend aussi le bateau moins sécurisant”, rappelle Frédéric Le Peutrec. Ensuite à cause d’une escale en Nouvelle-Zélande pour bloquer en position haute le foil tribord, qui lui a fait logiquement perdre du terrain. Enfin, parce que la météo oblige le skipper à ralentir à l’approche du cap Horn, pour éviter un franchissement dans des conditions impraticables. Adagio a une belle carotte devant lui”résume Frédéric Le Peutrec.

Photo : Armel Le Cléac’h / Maxi Banque Populaire XI

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