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L’Arkea Ultim Challenge au crible des experts, semaine 2

La deuxième semaine de l’Arkea Ultim Challenge-Brest a été animée, entre l’escale d’Armel Le Cléac’h à Recife, l‘avarie de SVR Lazartigue et un record des 24 heures tutoyé par Charles Caudrelier, qui vient de passer Bonne-Espérance. Pour analyser ces événements, Tip & Shaft a interrogé Sébastien Josse, vainqueur de la dernière Transat Jacques Vabre avec Armel Le Cléac’h, le météorologue Jean-Yves Bernot, membre de la cellule de routage de SVR-Lazartigue, et Gildas Morvan, directeur de course de la dernière Finistère Atlantique.

Cette deuxième semaine de course aura démarré par un premier coup de théâtre, l’arrêt d’Armel Le Cléac’h à Recife, son Maxi Banque Populaire XI déplorant un balcon arraché et une déficience du système hydraulique de montée et descente du foil tribord. “C’était clairement inéluctable de s’arrêter. Sans balcon avant, Armel ne pouvait plus utiliser son J0, ce qui était très pénalisant, explique Sébastien Josse, qui a fait partie de l’équipe dépêchée au Brésil. Il n’y avait déjà pas vraiment de doute sur la nécessité de s’arrêter, ensuite, il a eu cette avarie de foil quelques heures plus tard, qui n’a fait que confirmer le choix de l’escale.”

Le skipper de Banque Populaire XI se sera arrêté un peu plus de 24 heures entre lundi et mardi, avec, selon son co-skipper sur la dernière Jacques Vabre, un état d’esprit loin d’être résigné : Armel a un sang froid incroyable ; certes, ce n’est plus la course au contact comme il l’imaginait, mais on sait très bien que, même si on ne leur souhaite pas, les autres équipes auront peut-être aussi des arrêts, ça fait partie de la donne, on le voit avec SVROn a conscience qu’on a cramé un joker et qu’il n’y en aura pas deux, mais Armel a désormais switché en mode tour du monde, aujourd’hui, son objectif, c’est d’aller au bout, ensuite d’être sur le podium.”

 

Laperche stoppé dans son élan

 

Le second coup de théâtre est arrivé jeudi matin lorsque Tom Laperche, alors à la lutte en tête de flotte avec Charles Caudrelier, a indiqué avoir subi un choc au niveau de la dérive de SVR Lazartigue, qui a endommagé sérieusement le puits de dérive et provoqué une voie d’eau. Le skipper, très ému au moment de raconter cette collision, fait désormais route vers Le Cap qu’il espère atteindre lundi. “On savait que ça faisait partie du jeu, mais on a toujours l’espoir que ça ne nous arrive pas”, constate, fataliste, Jean-Yves Bernot. La frustration est d’autant plus grande pour l’équipe SVR Lazartigue que jusque-là, tout se déroulait sur un scénario assez idyllique pour nous, ajoute ce dernier. “Le choc à 35 nœuds a dû être très violent, ce n’est clairement pas dû à Tom qui aurait trop attaqué ou fait une erreur, ça n’enlève en rien sa performance, c’est juste la faute à pas de chance“, ajoute Gildas Morvan.

Depuis le départ, le skipper de SVR Lazartigue avait quasiment fait un sans-faute, livrant un duel haletant avec Charles Caudrelier, les deux marins ayant fait le trou sur leurs poursuivants avant l’équateur. “L’élastique a continué à se tendre entre eux et le reste de la flotte au passage du Pot au noir, survolé à 25 nœuds de moyenne, alors qu’il est devenu plus compliqué ensuite”, analyse Jean-Yves Bernot.

Un différentiel de conditions presque insolent et dur à encaisser moralement pour les marins derrière, qu’on a vus pas mal ruminer”, commente Gildas Morvan. Les deux leaders ont de leur côté allongé la foulée le long des côtes brésiliennes, restant quasiment tout le temps au contact, ce qui fait dire à l’ancien figariste: On a eu l’impression d’assister à une Solitaire du Figaro version Ultim, ils ont été impressionnants de maîtrise, avec un tempo incroyable imposé par Tom, mais sans avoir à forcer sur les bateaux ou prendre des risques démesurés. Ils ont ensuite pu monter à bord du train avec une belle dépression australe bien établie.”

 

Une réparation qui peut être longue

 

Celle-ci a permis aux deux leaders d’allonger la foulée et d’afficher des vitesses impressionnantes au moment de leur entrée dans les quarantièmes, au point que Charles Caudrelier a frôlé le record des 24 heures, couvrant 828 milles nautiques  à 34,5 nœuds de moyenne, soit la deuxième meilleure performance de tous les temps en solitaire derrière les 851 milles de François Gabart en 2017 lors de son tour du monde record. “Je pense que Charles aurait pu battre le record, mais après la casse de Tom, il a dû calmer un peu le jeu, il a sans doute mis moins de bâche”, croit deviner Gildas Morvan.

Quelles sont les chances de Tom Laperche de repartir ? “Ce n’est pas à moi de le dire, mais c’est une avarie compliquée, parce que ce n’est pas qu’une casse de dérive, répond Sébastien Josse. On avait vécu ça sur la dernière Route du Rhum et on avait eu la chance de réparer dans notre base à Lorient. Là, il y a déjà le fait de se dérouter vers Le Cap, ça fait du chemin, il faut ensuite acheminer le matériel, éventuellement sortir le bateau si c’est nécessaire car il y a une voie d’eau, ça peut prendre du temps. Nous, on avait fait ça en quatre jours sans voie d’eau dans notre base.”

 

Un océan Indien pas facile

 

Désormais seul en tête, Charles Caudrelier, qui a franchi le cap de Bonne-Espérance ce vendredi après 12 jours et 1 heure de mer, compte près de 1 000 milles d’avance sur son désormais dauphin, Thomas Coville qui, selon Gildas Morvan, a joué un peu de malchance au niveau météo. A quelques heures près, il serait monté dans le même train que les deux premiers, mais il a fini par être décroché et se retrouve dans le front, avec une mer croisée dégueulasse”.

Même sanction, voire pire, pour les deux suivants désormais au coude à coude, Anthony Marchand et donc Armel Le Cléac’h, dont le redémarrage a été compliqué. “Il n’a pas eu des conditions faciles et l’anticyclone de Sainte-Hélène s’est décalé au Sud, ce qui, avec Anthony, les oblige à faire le tour de la paroisse et beaucoup plus de route”, selon Jean-Yves Bernot. “Le but pour Armel est désormais de se faufiler entre l’anticyclone et la zone de glaces et de rester dans un couloir de vent acceptable pour pouvoir voler. Le seul problème, c’est que comme il est VMG, il va avoir plein d’empannages à faire, ajoute Sébastien Josse. Il sait qu’il va falloir être patient pour retrouver un système météo proche de celui de Charles.”

Pour l’heure, le skipper du Maxi Edmond de Rothschild bénéficie donc “dun matelas confortable qui va lui permettre de gérer son rythme“, d’après Gildas Morvan. Mais selon nos observateurs, le match est loin d’être plié pour autant ! “Son Océan indien ne va pas être facile, il y a une grosse activité cyclonique, comme on l’a constaté à La Réunion”, souligne Jean-Yves Bernot, qui voit le leader “buter sur l’anticyclone, il va devoir gérer le problème de la zone d’exclusion des glaces”. “Si les retardataires retrouvent un bon train dépressionnaire, avec ces bateaux, ils peuvent revenir vite”, rappelle Gildas Morvan.

Photo : Yann Riou – polaRYSE / Gitana S.A.

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