A la veille de la première sortie en mer de Banque Populaire IX, vendredi dernier, Kevin Escoffier, responsable du bureau d’études de l’équipe lorientaise, est revenu pour Tip & Shaft sur la conception de la nouvelle machine d’Armel Le Cléac’h. Avant de partir, en décembre, pour une deuxième Volvo Ocean Race à bord de Dongfeng Race Team.
Quel a été votre cahier des charges pour concevoir ce neuvième Banque Populaire ?
Le collectif Ultim nous a donné un cadre – 32 mètres de long par 23 de large – qui définissait une taille de mât (120% de la longueur de coque). On a choisi d’être au max de la longueur et de la largeur, pour pouvoir évoluer dans le temps. Aujourd’hui, on a un petit mât plutôt orienté solitaire – ni Gitana ni nous ne sommes au maximum de la règle – ; si, demain, on veut passer à un plus grand mât pour courir en équipage, avoir la longueur et la largeur max nous permet d’être plus polyvalents. Ensuite, on s’est inspirés de notre expérience sur Banque Populaire VII[L’ex Groupama III devenu Idec Sport, NDLR], notamment en termes de plan de voilure, de plan de pont, d’accastillage.
Peut-on dire que Banque Populaire est un compromis entre Macif et Gitana ?
Aujourd’hui, la référence, c’est Macif. Cela fait bizarre de dire ça, mais il a une génération d’écartavec Gitana et nous, tellement cela va vite, tellement on en apprend sur les appendices grâce à la Coupe de l’America. Mais, en 2019, avec la deuxième version de ses foils, il sera de la même génération que nous ! Ce sont les appendices qui font la vitesse du bateau. Banque Populaire a toujours cherché à faire des bateaux polyvalents, en Imoca comme en Ultime. Gitana est plus tranché dans ses choix, parce que l’équipe a fait appel à Guillaume [Verdier, NDLR] qui est arrivé avec de nouvelles idées grâce à son expérience dans la Coupe avec les Kiwis. Est-ce que c’est plus extrême ou pas ? L’avenir nous le dira, on va énormément apprendre sur ces bateaux-là. On a moins poussé le mode vol que Gitana, qui a fait zéro concession. BP9 volera sans doute dans les mêmes conditions de vent ou de vitesse que Gitana. Mais on a voulu faire attention au mode archimédien, quand tu traînes un peu tes appendices.
On a le sentiment que, sur ces nouveaux Ultimes, l’innovation et la sophistication sont d’abord dans les systèmes et les appendices. Est-ce le cas ?
Tout à fait. Un néophyte ne saurait pas faire la différence, à l’œil nu, entre nous et Macif, Spindrift, Sodebo, etc. Y compris Gitana, même s’il a un look un peu plus massif. Ce qui fait la différence, c’est les systèmes, avec énormément d’hydraulique, d’électronique, de capteurs… C’est beaucoup plus compliqué qu’un Imoca. J’ai fait les deux, il n’y a pas photo : dans tous les domaines, on a franchi un gros cap.
A la visite du bateau, la seule partie que l’on ne pouvait pas photographier, c’était d’ailleurs le puits de foil…
Parce que le réglage du cant [L’inclinaison latérale du foil, NDLR] c’est LA spécificité de BP9 : pour l’instant, les autres Ultimes ne peuvent régler que l’incidence et la montée-descente de leurs foils. Même si ces systèmes existent sur d’autres bateaux, en particulier sur la Coupe, ils prennent énormément de temps à être conçus et développés. Bouger des pièces de cette taille-là en trois dimensions, ce n’est vraiment pas simple ! L’intérêt, c’est que, dans la mesure où l’on n’est pas capable de fabriquer des foils tous les 6 mois comme sur la Coupe, on va pouvoir tester plusieurs configurations de cant sur un même foil. Avant, peut-être, de trouver la bonne et de retirer le système de cant… ou pas.
Tu as évoqué la présence croissante des capteurs à bord, quel type de données vont-ils vous fournir ?
Sur les Ultimes, à la différence des Imoca, on a droit à l’aide à la navigation pour des raisons de sécurité. Les capteurs nous donneront en temps réel les configurations de voile et d’appendices, en plus de la vitesse, du cap, de la hauteur de vol, etc. Je pourrai savoir si Armel navigue sous GV 1 ris – grâce aux capteurs dans les hooks de ris – et J1 avec quel enfoncement de foil, par exemple. C’est un outil pour la sécurité du bateau – on pourra être amené à faire de la veille pendant les records – et pour l’analyse de la performance, puisqu’on récolte ainsi énormément de données.
Combien de temps faudra-t-il pour développer les bateaux ?
J’ai la chance de faire ma deuxième campagne Volvo et on trouve encore des choses pour aller plus vite sur les VO65 monotypes alors qu’on a déjà fait un tour du monde complet… Sur des Ultimes avec des mâts basculants, trois safrans avec plans porteurs, une dérive avec plan porteur, deux foils, des réglages de cant et de rake, différents type de voiles, le développement est infini ! Dans un an, quand on aura le sentiment de l’exploiter à 90 %, boum, un nouveau matériau, une nouvelle fibre, un nouveau foil et c’est reparti !
Tu embarques sur Dongfeng dans la Volvo Ocean Race, à partir du Cap : c’est un peu le grand écart entre un Ultime dernier cri et un VO65…
C’est pour ça que je suis content d’aller sur la Volvo ! Les campagnes Volvo permettent d’aller dans le détail, de pousser les bateaux au maximum et de savoir, quand on fait un réglage, s’il est efficace ou pas, puisqu’on a un bateau identique à côté de nous. Et puis, ce n’est pas tous les jours qu’on peut aller naviguer en course dans le Sud. C’est pour ça que c’est intéressant de faire les deux.
Il faut vraiment que la Volvo Ocean Race passe à l’Ultime, alors !
Ça, j’en suis persuadé ! A moins que l’Ultime ne passe à la Volvo (rires) ? On réfléchit à un tour du monde en équipage en 2021, ça pourrait être fantastique. C’est presque gâché de ne faire que du solitaire avec ces machines-là, tant elles sont exceptionnelles. C’est comme une voiture dont on ne passerait jamais la 6e !