Ariane de Rothschild, présidente du groupe bancaire Edmond de Rothschild, s’est vue remettre jeudi à Paris le prix Henri Kummerman, l’occasion pour elle et Cyril Dardashti, directeur général du Gitana Team, d’officialiser le lancement d’un nouvel Ultim, dessiné par Guillaume Verdier et construit par CDK Group. Tip & Shaft était présent lors de l’annonce et vous en dit plus sur ce nouveau projet.
Un an après en avoir une première fois évoqué l’hypothèse, Cyril Dardashti et Ariane de Rothschild ont donc confirmé que Gitana 17 aurait un successeur dans moins de deux ans, Gitana 18, et que ce serait une nouvelle fois un trimaran Ultim. L’annonce a été officialisée ce jeudi à Paris, dans les locaux parisiens de la banque Edmond de Rothschild, quasiment contigus au Palais de l’Elysée, dans le cadre de la remise à la présidente du groupe du prix Henri Kummerman par l’Académie de Marine.
Le choix s’est-il imposé de lui-même ? “Non, répond Cyril Dardashti. Nous avions présenté plusieurs projets à Ariane de Rothschild, dont un Imoca qu’il nous paraissait légitime de proposer, dans la mesure où il y a une course que le team n’a jamais accrochée à son palmarès, c’est le Vendée Globe.”
Qu’est-ce qui a fait la différence finalement pour un nouvel Ultim ? “Il y a d’abord notre histoire, nous avons une très large préférence pour le multicoque, explique Ariane de Rothschild. Un monocoque aurait pu être un passage temporaire pour garder un rythme continu dans notre projet et ne pas passer deux ans sans naviguer pendant le temps de la construction, mais nous serions de toute façon retournés au multicoque. Le débat était plutôt : est-ce qu’on était sûr de faire une différence significative avec un nouvel Ultim par rapport à Gitana 17, certes arrivé à maturité, mais qu’on peut encore pousser plus loin ? La réponse, vous l’avez.”
Cyril Dardashti ajoute : “Parmi les raisons qui nous ont poussés vers cette solution, il y a eu le fait que les plans porteurs n’aient pas été autorisés sur les Imoca, on avait envie de rester dans du “vrai volant”, mais aussi le travail qu’on a fait depuis plusieurs mois avec les équipes de Guillaume Verdier et notre bureau d’études qui nous disaient qu’il était encore possible d’avoir des gains importants avec un nouvel Ultim.”
Pour qui Gitana 17 ?
Le choix a été entériné “il y a une quinzaine de jours”, assure le directeur général du Gitana Team qui précise : “On avait aussi travaillé avec Guillaume sur les plans d’un Imoca, on a également pensé à un trimaran hors classe Ultim, mais il nous paraissait assez légitime de continuer à travailler avec la classe dans la mesure où il y a de belles choses à écrire avec eux.” Skipper de l’actuel Maxi Edmond de Rothschild, Charles Caudrelier ajoute, à propos de la décision prise : “Parmi les conditions d’un nouveau bateau, il fallait être sûr de pouvoir faire mieux, et ça, on y réfléchit depuis au moins six mois, mais aussi de vendre Gitana 17.”
Ce qui est le cas ? Pas officiellement, mais Cyril Dardashti semble particulièrement confiant, assurant que le plan Verdier sera vendu “prochainement”, avant d’ajouter : “Aujourd’hui, on a reçu une dizaine de propositions sérieuses [dont il ne souhaite pas parler, tenu par des accords de confidentialité, NDLR], certaines que nous avons sélectionnées, d’autres non, j’ai même encore eu des appels il n’y a pas très longtemps.”
Pour le directeur général du Gitana Team, les critères sont, dans l’ordre, “le prix, la date de prise en main, dans la mesure où on voudrait aller au bout de notre programme, dont le Trophée Jules Verne au cours de l’hiver 2024-2025, et le fait que l’acquéreur fasse le circuit Ultim, même si ce n’est pas une priorité.” Le prix en question : “Il y a une version à 13 millions d’euros, avec remise du bateau tel qu’il est aujourd’hui, et une à 15 millions, avec l’ensemble des appendices de spare et un transfert de connaissances et de technologie de façon à ce que l’acheteur ait toutes les clés en main pour rapidement l’utiliser.” Ce qui veut dire que Gitana 18 coûtera a minima 15 millions d’euros ? “Oui, ce sera dans ces eaux-là, mais ça, je ne pourrai vous le dire que lorsqu’il sera mis à l’eau.”
Secret-défense sur le futur bateau
S’il se demande en plaisantant si l’équipe “ne se tire pas une balle dans le pied” en cédant prochainement Gitana 17 à un “potentiel futur adversaire”, Cyril Dardashti se montre donc confiant quant aux chances de son successeur de monter encore en gamme, il a pour cela de nouveau choisi de s’appuyer sur Guillaume Verdier et son équipe. “C’est un choix naturel, on est dans une relation de longue date et de confiance avec lui, il y a un vrai team de design qui s’est monté entre lui et notre bureau d’études.” Présent jeudi à Paris, l’architecte ajoute : “Finalement, c’est un travail continu entre Gitana 17 et Gitana 18, on n’a jamais arrêté de travailler.”
Au point que les plans de la plateforme sont aujourd’hui quasiment arrêtés, puisque la construction va débuter “à la fin du mois”, selon Cyril Dardashti. Interrogés sur les domaines dans lesquels il est possible de faire des gains significatifs, nos interlocuteurs se sont pour la plupart montrés assez évasifs. “Sur les carènes, on peut encore faire en sorte que le passage dans la mer soit plus facile et que les bateaux volent mieux, estime Guillaume Verdier. Il y a encore énormément de nœuds à gagner en aérodynamisme, on a des vents apparents quasiment tout le temps proches de 45-50 nœuds, il faut vraiment soigner cet aspect. Et sur les voiles, entre l’aile rigide qu’on a connue sur la Coupe de l’America à San Francisco (en 2010) et une voile souple, il y a un monde intermédiaire énorme à explorer.”
Charles Caudrelier a visiblement également le sujet des voiles en tête, lui qui confie : “J’avais beaucoup d’ambition sur le plan de voilure, on ne peut pas faire d’aile rigide (interdite par la jauge), c’est un projet fou que j’avais en tête, mais je pense qu’il y a quand même des idées pour améliorer le moteur. Sur tous les sujets, on a d’ailleurs beaucoup d’idées, je pense qu’on va faire quelque chose de nouveau, c’est pour ça qu’on ne souhaite rien montrer, on va être très protecteurs.”
Charles Caudrelier jusqu’en 2026
Secret-défense donc, pour ce qui concerne le futur Gitana 18, dont le début de la construction est imminent chez CDK à Lorient – le choix n’a pas encore été fait pour les appendices et le mât – qui a réussi à convaincre le Gitana Team. “On a interrogé Multiplast (qui a construit le Maxi Edmond de Rothschild) et d’autres chantiers, on a choisi CDK d’abord pour la proximité, on voulait un chantier près de nos locaux. Ils nous ont aussi montré un outil industriel de pointe, ils nous ont séduits par la techno déployée”, explique Cyril Dardashti.
Directeur général adjoint de CDK, Yann Dollo confie quant à lui : “Je pense que ce qui a peut-être fait pencher la balance en notre faveur, c’est qu’on a beaucoup développé notre savoir-faire dans le domaine de la cuisson autoclave de très grandes pièces, grâce notamment à l’outil dans lequel on a investi il y a trois ans à Lorient, dimensionné pour pouvoir fabriquer le bras d’un Ultim en un seul morceau.” L’intéressé estime que Gitana 18 va demander “100 000 heures de travail, soit environ 40% d’activité sur deux ans”, la mise à l’eau est prévue en septembre 2025.
Avec peut-être la Transat Jacques Vabre 2025 comme première course, si les délais le permettent, et un gros objectif un an plus tard, la Route du Rhum 2026, que vise Charles Caudrelier : “Je suis content de pouvoir défendre mon titre, ce qui n’était pas forcément prévu au début, explique ce dernier. Je me projette donc jusque-là, ensuite, l’idée est d’accompagner un jeune pour me remplacer, j’ai aussi envie de transmettre.” Un casting a-t-il déjà commencé pour prendre le relais dans trois ans ? “On n’en est pas là, répond Cyril Dardashti, mais on regarde les acteurs, jeunes ou moins jeunes d’ailleurs, parce que ce ne sont pas des machines que tu peux mettre dans n’importe quelles mains, il faut quelqu’un avec un peu de bouteille.”
Photo : Y.Riou / polaRYSE / Gitana