Le groupe de cosmétiques Kresk, propriété de Didier Tabary, a annoncé le 27 mai son engagement pour quatre ans aux côtés de François Gabart ainsi que le rachat à la Macif de l’Ultim M101, qui portera les couleurs des marques SVR, Lazartigue et Fillmed. Tip & Shaft vous raconte comment ce partenariat s’est noué dans un délai très court.
Le 10 juin 2020, Macif créait la surprise en annonçant son retrait du circuit Ultim dont le groupe d’assurances était un des principaux acteurs depuis 2015. Un coup dur pour François Gabart qui espérait resigner au 1er juillet un contrat avec son sponsor historique afin de repartir sur un cycle avec un bateau neuf, baptisé M101, attendu au printemps 2021. Le vainqueur du Vendée Globe 2013 voyait ainsi s’arrêter net le projet le plus important de son entreprise, MerConcept.
Dès la mauvaise nouvelle connue, il a fallu s’organiser pour tenter de trouver un successeur à Macif, qui s’était néanmoins engagé à financer la construction de M101 jusqu’à son terme. “Depuis dix ans, on n’avait pas eu besoin de faire de la prospection commerciale, mais on avait quand même travaillé pour se construire une sorte de réseau passif, donc la première chose a été de relancer ce réseau, explique François Gabart, principalement épaulé sur ce dossier par Thomas Normand, directeur général de MerConcept. On a été aussi été pas mal sollicités par des indépendants qui nous ont proposé leurs services pour prospecter, certains nous ont permis d’ouvrir des portes.”
Le démarrage n’a cependant pas été évident, comme le confirme Thomas Normand : “L’annonce de Macif est tombée en pleine période Covid, nous avons assez vite senti que la priorité des boîtes avec lesquelles on discutait n’était pas vraiment tournée vers le sponsoring, au moins dans les six premiers mois. Mais nous nous sommes aussi dit qu’après chaque crise, il y avait parfois des redémarrages assez forts, donc on n’a pas diminué l’énergie qu’on y mettait.”
Deux pistes sérieuses en mars pour le rachat de M101
Un millier d’e-mails sont envoyés à des prospects, pour, au final, d’après François Gabart, “plusieurs dizaines d’entreprises avec lesquelles on a discuté”. Mais peu de contacts permettent aux équipes de MerConcept de croire réellement en une issue rapide. “En termes de rendez-vous, on a eu cinq-six pistes relativement sérieuses“, précise Thomas Normand. François Gabart ajoute : “On a eu des discussions avancées avec des gens extrêmement intéressés par le projet, mais plus sur du co-partenariat, prêts par exemple à mettre un voire deux millions d’euros, mais pas à financer l’intégralité du projet.”
Du côté de la Macif, Jean-Bernard Le Boucher, ex directeur de l’activité mer – il quitte officiellement le groupe au 30 juin – évoque en tout “deux candidatures sérieuses” pour l’achat du plan VPLP en voie d’achèvement “à peu près en même temps”, c’est-à-dire en mars dernier. “La première était à plus longue échéance, or notre priorité était de vendre le bateau avant la fin de la construction, afin qu’il puisse sortir du chantier avec une nouvelle marque, ça permettait de solder l’affaire.”
La seconde candidature est portée par Didier Tabary, propriétaire du groupe de cosmétiques Kresk. Comment le dossier est arrivé sur le bureau de cet entrepreneur breton de 53 ans, originaire de Trébeurden ? “Le point de départ, c’est une histoire de passion pour la mer et la voile, nous répond ce dernier. J’ai aussi eu la chance d’être invité sur Gitana il y a quelques années et de barrer ce bateau à plus de 30 nœuds ; ce jour-là, j’ai ressenti une vraie émotion et je me suis dit que si un jour, je pouvais devenir armateur d’un Ultim, je le ferais. Quand j’ai appris que François Gabart cherchait un nouvel armateur pour son bateau, j’ai d’abord pris contact avec Macif, ensuite avec François.”
MerConcept revoit la déco en cours de route !
La prise de contact avec la mutuelle remonte à début mars, Didier Tabary et ses équipes se rapprochent de MerConcept dans la foulée : “On a senti assez rapidement que nous étions en phase, explique Thomas Normand, c’était la première fois qu’on avait un tel niveau de discussion et qu’on se disait qu’on pouvait aller au bout.” La première rencontre physique entre Didier Tabary et François Gabart a lieu mi-avril, elle convainc davantage encore le fondateur de Kresk : “En parlant avec lui, je me suis rendu compte qu’on avait beaucoup de points communs et la même vision des enjeux sociétaux et environnementaux. Le choix de François comme skipper et ambassadeur de nos marques s’est imposé naturellement.”
Ces premiers contacts sont tellement positifs que MerConcept décide de revoir la décoration de M101 ! “A l’origine, on avait imaginé une couleur assez neutre qui permettait éventuellement d’accueillir un partenaire de dernière minute, la peinture devait débuter lors de la seconde quinzaine d’avril, raconte François Gabart. Au vu des premières discussions qui avançaient très bien, on a pris la décision de prendre le bleu qui plaisait aux équipes de Didier, en se disant que, au pire, même si tout s’écroulait, le bateau serait bleu et qu’il pourrait toujours être adapté à un autre acquéreur. On a donc arrêté notre choix sur le fond bleu, en retardant juste un peu la date de début de la décoration.”
Bien leur en a pris : fin avril, le Charentais rencontre “la quinzaine de personnes qui pilotent l’ensemble des marques du groupe”. Il faut moins de trois semaines ensuite pour sceller le contrat entre MerConcept et Didier Tabary tandis que le premier coup de peinture est donné la semaine suivante. Autant dire que les choses sont allées très vite pour un partenariat de cette envergure. “Dans notre ADN, la vitesse et l’agilité sont des qualités que nous mettons en avant. On souhaitait aussi que le bateau porte nos couleurs pour sa mise à l’eau le 22 juillet à Concarneau, cela supposait de signer les contrats rapidement”, justifie Didier Tabary.
“Ce projet nous intéressait parce qu’il était opérationnel quasi immédiatement”
Une signature qui fait entrer le groupe Kresk, néophyte dans le sponsoring sportif, directement dans la « catégorie reine » de l’Ultim, sans même être passé par des cases intermédiaires. Son patron explique : “Si on n’avait pas eu l’opportunité de faire l’acquisition de l’Ultim, on se serait sans doute posé la question d’un Imoca, mais ce projet nous intéressait parce qu’il était opérationnel quasi immédiatement, alors que pour la construction d’un Ultim, il faut trois ans entre le moment où vous prenez la plume et celui où il est mis à l’eau.”
Côté Macif, on se félicite aussi du deal : “On est contents d’avoir choisi de faire confiance à l’équipe de François pour finir la construction et de ne pas avoir soldé un bateau en cours de construction, affirme Jean-Bernard Le Boucher. On n’était pas inquiets sur le fait qu’on allait le vendre ; on avait plus d’incertitudes sur le timing. Le gros avantage de cette solution, c’est que l’acte de vente sera signé à la fin des essais en mer, le 31 août, c’est le meilleur scénario possible.”
Un scénario accueilli avec soulagement par les équipes de MerConcept qui, suite au retrait de Macif, avaient dû être réduites – François Gabart évoque 5 départs – et retrouvent désormais de la visibilité sur le long terme. “L’attente n’était pas évidente à vivre, et plus les semaines passaient, plus c’était difficile, confirme le skipper. Avec V&B [MerConcept est maître d’œuvre de la construction du futur sistership d’Apivia pour Maxime Sorel, NDLR] et le catamaran électrique volant, on avait des projets qui nous permettaient d’avoir une bonne visibilité jusqu’à Noël ; là, on se réorganise d’ores et déjà pour assumer une charge de travail plus importante.”
Thomas Normand, qui envisage “5 à 7 recrutements”, ajoute : “Cet engagement sur les quatre prochaines années nous permet de stabiliser l’équipe, de travailler de manière plus sereine, de continuer à développer nos autres activités et à faire de la recherche et du développement, ce projet est une vraie locomotive.”
Le fonds de dotation, élément clé
Quel est le montant investi par le groupe Kresk, entre achat du trimaran volant et budget de fonctionnement ? Lorsqu’on lui parle d’un prix de vente entre 12 et 15 millions d’euros – pour un bateau dont le coût de construction avoisine les 17 millions d’euros -, Jean-Bernard Le Boucher consent à dire que “c’est dans cette fourchette”, tandis que Didier Tabary ne souhaite pas donner de chiffres.
L’entrepreneur préfère mettre en avant “la vingtaine de personnes qui travaillent de façon quasi exclusive sur ce projet” chez MerConcept, les gains attendus de notoriété pour les marques SVR, Lazartigue et Fillmed, “le formidable outil d’adhésion en interne et de fierté d’appartenance à un groupe” généré par le projet et par la création du Fonds Kresk4Oceans “dont le premier projet sera lié à la lutte contre la pollution plastique.”
Un élément clé aux yeux de François Gabart qui n’imaginait pas repartir sur un projet dénué de préoccupations environnementales. “Avant même d’en parler à Didier, je travaillais sur ces sujets et lui réfléchissait à la meilleure manière de s’organiser pour créer un fonds, mais plus à horizon 2022 ou 2023, le partenariat a joué un rôle d’accélérateur.”