Après l’arrivée victorieuse mercredi matin du Maxi Edmond de Rothschild, Macif et Actual Leader ont complété samedi le podium de Brest Atlantiques. Cette épreuve innovait à bien des égards : première course dédiée aux Ultims, parcours original avec notamment une remontée Le Cap-Brest inédite, format « double-triple » avec la présence d’un mediaman à bord… L’occasion pour Tip & Shaft d’en tirer un premier bilan avec les skippers, les organisateurs, les teams et des journalistes.
Le Maxi Edmond de Rothschild au-dessus du lot
En franchissant la ligne d’arrivée mercredi matin au large de Brest, le Maxi Edmond de Rothschild s’offre sa première grande victoire dans une course au large depuis sa mise à l’eau il y a deux ans et demi. Franck Cammas et Charles Caudrelier ont largement dominé les débats, prenant la tête dès la deuxième nuit et ne cédant le leadership qu’à l’occasion de leur escale de 13 heures et 40 minutes à Salvador de Bahia pour réparer l’aile de raie de la dérive centrale (le plan porteur horizontal muni de volets), endommagée par un OFNI. Le plan Guillaume Verdier est clairement la nouvelle référence de la classe Ultim 32/23. Pour Cyril Dardashti, patron du Gitana Team, “cette victoire est une fierté car elle arrive après beaucoup de frustrations. Quand nous avons parié sur le vol au large, certains se moquaient alors que nous étions persuadés d’être dans le vrai. Franck et Charles ont démontré que nous avions raison.”
Entre Robben island et l’arrivée, l’aile de raie a de nouveau montré des faiblesses. Contrairement à ce qui a pu être écrit, ce n’est pas suite à un nouveau choc. C’est la réparation de la tringlerie effectuée à Salvador de Bahia qui n’a pas tenu, la pièce complète de plus de 4 mètres, qui commande les volets réglables, n’ayant pas pu être embarquée d’un seul tenant dans l’avion vers le Brésil. Mais à l’issue de ce demi-tour du monde, le Maxi Edmond de Rothschild semblait en parfait état et démontrait tout son potentiel trois jours avant l’arrivée pour rester en phase avec les dépressions et rallier Brest avec plus de 1 600 milles d’avance sur ses deux poursuivants. Franck Cammas et Charles Caudrelier estiment avoir “navigué à fond 30% de la course et à 85 % du potentiel sur l’ensemble du parcours.”
Des images exceptionnelles mais une médiatisation moyenne
28 jours et 23 heures plus tôt, les quatre Ultims franchissaient la ligne de départ dans des conditions engagées avec, à la clef, des images de mer époustouflantes. Les mediamen ne se sont pas économisés et certaines séquences resteront dans les annales. Le bilan médiatique de l’événement est-il pour autant à la hauteur des espoirs ? Pour Emmanuel Bachellerie, directeur de Brest Ultim Sailing, qui organisait la course, “le report du départ nous a privés de deux heures de direct télé. Mais le bilan reste assez satisfaisant, notamment par la reprise des contenus des mediamen qui, pour certains, ont fait des scores historiques”.
Des contenus jugés parfois trop abondants, comme pour Jacques Guyader, en charge de la voile à Ouest-France : “Les mediamen ont un peu saturé la bande passante ! Attention à ne pas banaliser ce qui était du domaine de l’exceptionnel il y a encore un an ou deux, les images de drone notamment”. Pour Emmanuel Bachellerie, “ces images ont permis de découvrir des bateaux magiques. Les 2 millions de vidéos vues sur les seuls supports de Brest Atlantiques, hors partage et cross post, sont pour nous une légitime satisfaction”.
Sur le plan de la fréquentation, Brest Ultim Sailing annonce 60 000 visiteurs sur le village pendant les dix jours précédant le départ. C’est en-dessous des attentes – Emmanuel Bachellerie nous confiait en septembre espérer “entre 80 000 et 120 000 personnes du premier au dernier jour de village”, – la météo catastrophique sur la période n’ayant pas aidé. Pour ce qui est de l’arrivée du Maxi Edmond de Rothschild mercredi matin, “le public en revanche était au rendez-vous, malgré le froid et c’était très sympa”, note Cyril Dardashti. Philippe Eliès, reporter voile au Télégramme, nuance : “Le public brestois est connaisseur et a l’habitude de célébrer les arrivées de tours du monde en solitaire. Brest Atlantiques première du nom n’a pas l’aura du mythique Trophée Jules Verne et, soyons honnête, il y avait trois fois moins de spectateurs.”
Des arrêts au stand multiples
Sur le plan maritime, Brest Atlantiques reste une réussite puisque trois bateaux sur quatre sont classés alors qu’on pouvait craindre un podium incomplet avant le départ. La classe Ultim 32/23 jouait gros sur cette course et les graves problèmes de structure rencontrés sur la Route du Rhum n’ont pas réapparu. Quant à l’abandon de Sodebo Ultim 3, dernier mis à l’eau, il est dû au choc avec un OFNI, et le bateau est attendu à Lorient en début de semaine prochaine.
En même temps, aucun des trois Ultims les plus performants sur le papier n’a pu boucler le parcours sans s’arrêter au moins une fois. « “Je n’ai pas le sentiment que ces arrêts ont nuit à la lisibilité de la course. Ils ont plutôt contribué à plusieurs regroupements et relancé l’intérêt sportif”, commente Emmanuel Bachellerie. “Pour nous, c’est le scénario idéal. Etre à la bataille jusqu’au bout, on ne pouvait pas rêver mieux et l’animation de nos réseaux a été excellente”, confirme Sandrine Bertho, team manager d’Actual Leader toujours à la lutte avec Macif pour la deuxième place, alors que les deux bateaux sont attendus la nuit prochaine.
Pour Franck Cammas, le bilan reste positif : “Le test est réussi, parce qu’on ne s’était pas mis un challenge facile en faisant cette course. On aurait fait une Transat Jacques Vabre, tous les bateaux seraient arrivés sans problèmes et on aurait dit : ‘C’est parfait, la flotte est hyper fiable’. Là, on a fait 30 jours de navigation, dans des mers difficiles par moments, avec des points de passage obligatoires. C’est ce qu’il y a presque de pire pour mettre les bateaux en danger, parce qu’on ne peut pas choisir sa météo, contrairement à un record”.
Brest Oceans, le tour du monde en solitaire, annoncé pour 2023, est-il pour autant envisageable dans une version sans escale et sans assistance ? Pour Cyril Dardashti, “ça n’a jamais paru souhaitable car il y a trop d’intérêt en jeu et à la vitesse où vont les bateaux, l’arrêt au stand est une pénalité naturelle”. Thomas Normand, directeur de MerConcept, en charge du projet Macif, a une autre lecture : “Ce qui n’est pas réaliste aujourd’hui ne me paraît pas impossible en 2023. Lorsqu’on voit les progrès entre la Route du Rhum et Brest Atlantiques en seulement un an, c’est très encourageant.”
Le dossier OFNI est ouvert
Le seul bateau qui n’a pas connu de collision pénalisante avec un OFNI, Actual Leader, est aussi celui qui a les surfaces d’appendices les plus réduites. Tous les acteurs interrogés considèrent que les chocs avec les OFNI sont un point-clef pour demain. Reste que l’état de la technologie sur le sujet est embryonnaire ou peu adaptée aux bateaux de course au large. Sur Brest Atlantiques, seul Macif était équipé de la version béta du système Oscar mis au point par la société BSB marine.
“Notre technologie a l’ambition de détecter un objet d’1 mètre par 1 mètre dans un rayon de 150 mètres, explique Gaëtan Gouérou, son dirigeant. A 45 nœuds, le skipper a 6 secondes pour réagir et nous n’en sommes pas aujourd’hui à confier l’action au pilote”. Les caméras du système Oscar, qui équipaient aussi certains Imoca pendant la Transat Jacques Vabre, présentent l’intérêt de voir de jour comme de nuit, mais ne repèrent que ce qui traîne à la surface de l’eau. En-dessous, seuls les sonars sont aujourd’hui opérants, mais leur poids et leur consommation électrique les excluent de fait de la course au large. La classe Ultim 32/23 prévoit de se réunir au mois de janvier pour évoquer ce sujet central.
Quel programme en 2020 pour les Ultims ?
Une seule épreuve est programmée au calendrier des maxi-trimarans en 2020 : The Transat CIC. Des discussions ont actuellement lieu entre l’organisateur OC Sport et la classe Ultim 32/23 pour rallonger leur parcours par rapport à celui des trois autres classes. “Les Ultims sont invités au sein d’une catégorie de multicoques de plus de 50 pieds dans laquelle peuvent rentrer d’autres bateaux, confirme Hervé Favre directeur d’OC Sport. Comme la solution des départs décalés n’est pas la bonne, nous travaillons à un parcours avec un way-point à aller virer pour garantir des arrivées groupées, ce qui est profitable à tous.” De son côté, Emmanuel Bachellerie souhaite que “l’événement reste lisible pour le grand public. Personne ne comprendrait qu’une voiture de rallye arrive devant une Formule 1 !“
Reste que le temps de chantier est compté pour les Ultims qui devront être prêts dès la fin mars pour que leurs skippers s’entraînent en solitaire. “Une course contre la montre ! admet Thomas Normand. Avant de faire progresser le bateau avec les données enregistrées pendant Brest Atlantiques, il faut d’abord effectuer une vérification très minutieuse de la structure car, même si rien n’a cassé, il peut y avoir des souffrances discrètes.”
Le second semestre sera une période propice à s’élancer sur des tentatives de records. Sur l’Atlantique dans le sens ouest-est après The Transat CIC, mais aussi autour du monde, sauf pour Actual Leader qui n’a aucun intérêt à jouer cette carte. Thomas Coville a annoncé sa volonté de s’aligner sur le Trophée Jules Verne sur Sodebo Ultim 3, avec l’adjonction d’une aile de raie sur sa dérive centrale pour le rendre plus aérien. En attendant la mise à l’eau au printemps 2021 du nouveau Macif, il est probable que François Gabart guettera aussi la bonne fenêtre. Et le Gitana Team continue, dans cette optique, à travailler à l’asservissement des appendices, interdit à ce jour par la Classe Ultim, mais autorisé dans le cadre du Trophée Jules Verne.
Photo : Arnaud Pilpré/Brest Atlantiques
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