Après les Class40 et les Ocean Fifty, Tip & Shaft s’intéresse cette semaine au plateau des 5 Ultim et 40 Imoca qui prennent le départ dimanche de la Transat Jacques Vabre Normandie-Le Havre. Tour d’horizon des favoris dans ces deux catégories en compagnie du directeur de course Francis Le Goff, du président de la classe Imoca, Antoine Mermod, de la directrice du Pôle Finistère Course au large de Port-la-Forêt, Jeanne Grégoire, du skipper de Holcim-PRB, Nicolas Lunven, du directeur de course du Vendée Globe 2024, Hubert Lemonnier, de celui des 24H Ultim, Gildas Morvan, et du journaliste Jacques Guyader (Ouest-France).
Du jamais vu sur une Transat Jacques Vabre ! 40 Imoca seront alignés sur la ligne de départ ce dimanche 29 octobre, dont 11 de dernière génération, construits après le Vendée Globe 2020, et “quasiment tous les postulants au Vendée Globe 2024″, note Hubert Lemonnier. Quid des pronostics ? Tous nos experts ont trouvé l’exercice particulièrement délicat tant “le niveau global a augmenté”, ajoute le directeur de course du Vendée Globe. Pour Antoine Mermod, “vu le nombre de très bons projets, ce sont la fiabilité, le fond de jeu de préparation et donc la capacité à naviguer très proche des 100% qui devraient faire la différence.”
Cinq duos se détachent toutefois assez clairement. Jérémie Beyou et Franck Cammas (Charal), vainqueurs du Défi Azimut et 2e de la Guyader Bermudes 1000 Race, décrochent, de peu, la première place de notre podium. “L’ensemble du projet a peu de points faibles, souligne Nicolas Lunven, absent sur la transat, mais qui s’alignera au départ de la transat retour en solitaire, Retour à la Base, sur Holcim PRB. Le duo est ultra performant et le bateau déjà optimisé et fiabilisé.” Pour Jacques Guyader, “Jérémie Beyou peut également compter sur le formidable metteur au point qu’est Franck Cammas, qui pousse toujours le raisonnement pour tirer les projets vers le haut et faire progresser la performance.”
Juste derrière eux, nos experts placent le duo Thomas Ruyant/Morgan Lagravière (For People), tenant du titre et vainqueur cette année de la Guyader Bermudes 1000 Race. “C’est un super binôme en termes de technique de barre, de réglages et de stratégie“, met en avant Hubert Lemonnier. Jeanne Grégoire ajoute : “Morgan, c’est l’équipier qui va toujours à Mach 12.” Leur point faible éventuel ? “Un bateau peut-être un peu jeune, qui a connu des problèmes de fiabilité cet été”, répond Nicolas Lunven. L’équipage a en effet abandonné sur le Fastnet à cause de problèmes structurels sur ce plan Koch /Finot-Conq lancé en mars, avant d’être remis à l’eau début octobre. “Les bateaux mis à l’eau en 2023 ont peu navigué, c’est encore un peu tôt pour les exploiter à 100%, car ils sont encore dans une sorte de mise au point“, complète Antoine Mermod.
Sur la troisième marche du podium de nos experts, figuraient Charlie Dalin et Pascal Bidégorry (Macif Santé Prévoyance, mis à l’eau en juin dernier), avant qu’on apprenne vendredi matin que le premier, “suite à un problème médical”, ne pourra pas participer à la transat en double (voir encadré ci-dessous).
Les duos Goodchild/Koch et
Richomme/Eliès en embuscade
Derrière les duos de Charal et For Pepole, nos experts placent Sam Goodchild et Antoine Koch (For the Planet). “Sam est un navigateur exceptionnel et l’un de ceux qui a fait le plus de milles en 2023 en courant notamment une bonne partie de The Ocean Race sur Holcim PRB“, note Antoine Mermod. Bien que ce plan Verdier ait gagné la dernière édition, “il commence à peiner un peu dans certaines conditions, et notamment au portant dans la brise, analyse Nicolas Lunven. Il reste toutefois très polyvalent et très performant dans le petit temps et les conditions médium au près et au reaching.” Egalement cités comme candidats au podium, Yoann Richomme et Yann Eliès (Paprec Arkéa), 2e du Fastnet, “deux anciens figaristes qui disposent d’un bateau hyper véloce (plan Koch/Finot-Conq mis à l’eau en février)“, dixit Hubert Lemonnier.
Derrière, nos experts évoquent Sam Davies et Jack Bouttell sur le plan Manuard Initiatives Coeur, dont Nicolas Lunven – qui devait en être le co-skipper avant d’être appelé sur Holcim PRB – dit : “J’ai été séduit par ce bateau super polyvalent, très facile à mener et redoutable en termes de performances”. Egalement cités parmi les outsiders, les duos Justine Mettraux/Julien Villion (Teamwork.net), Sébastien Simon/Iker Martinez (Groupe Dubreuil, ex 11th Hour, vainqueur de The Ocean Race), et Maxime Sorel/ Christopher Pratt (V And B-Monbana-Mayenne), “discrets, mais toujours dans le coup”, relève Jeanne Grégoire, faisant référence aux résultats du plan Verdier (sistership de l’ex Apivia) sur le Rhum (4e) et le Fastnet (5e).
Du côté des bateaux à dérives, le dernier-né Stand as One, premier Imoca signé David Raison, skippé par Éric Bellion et Martin Le Pape “devrait être devant, même s’il a rencontré quelques soucis techniques sur le Défi Azimut”, estime Jacques Guyader. Nos experts citent aussi Benjamin Ferré et Pierre Le Roy (Monnoyeur Duo for a Job), sur un bateau “jusqu’à maintenant le plus polyvalent et le plus performant de sa génération”, toujours selon le journaliste d’Ouest-France, Tanguy Le Turquais et Félix De Navacelle (Lazare) ainsi que Violette Dorange et Damien Guillou (Devenir). “Violette a une bonne connaissance de ses limites, sans être complexée, ce qui lui permet d’être très à l’attaque tout le temps, on peut lui faire confiance”, commente Jeanne Grégoire.
Fin de la suprématie pour
le Maxi Edmond de Rothschild ?
Cinq Ultims vont se confronter sur un parcours de 7 500 milles entre Le Havre et Fort-de-France. Le match s’annonce disputé tant les écarts entre le Maxi Edmond de Rothschild, jusqu’ici le bateau référence (vainqueur de la Jacques Vabre 2021 et de la Route du Rhum 2022), et ses concurrents semblent s’être resserrés. “En septembre, lors d’un entraînement de 36 heures comprenant deux bords et des allures différentes, il n’y avait que très très peu d’écarts entre Gitana, SVR Lazartigue et Banque Populaire, ils étaient bord à bord”, raconte Jeanne Grégoire. Des performances similaires qui se sont confirmées fin septembre lors des 24h Ultim, remportés de peu par Banque Populaire XI devant Gitana 17 et SVR Lazartigue.
“La course étant courte, il est toutefois difficile d’en tirer de grandes conclusions, souligne le directeur de course Gildas Morvan. Mais il est clair que Banque Populaire et SVR Lazartigue ont bien progressé.” Selon Francis Le Goff, “ce sont donc les équipages, plus que le bateau lui-même, qui devraient faire la différence cette fois-ci.” Dans ces conditions, c’est le duo Armel Le Cléac’h/Sébastien Josse (Banque Populaire XI) que nos experts placent sur la plus haute marche du podium. “Ils ne semblent pas avoir de trous dans la raquette sur les différentes allures du bateau”, observe Francis Le Goff. “Son gros point fort semble être sa polyvalence, abonde Nicolas Lunven. Il va vite dans à peu près toutes les conditions et il est peut-être un peu plus facile à mener que les autres.”
Banque Populaire XI devance de peu le Maxi Edmond de Rothschild “très fiabilisé” (Francis Le Goff) et “un peu plus lourd que les autres, ce qui lui permet d’être raide et très performant dans la brise“, complète Nicolas Lunven. Si son skipper Charles Caudrelier a perdu son coéquipier Franck Cammas, engagé sur Charal, il peut compter sur “Erwan Israël, son ancien routeur, qui connaît très bien le bateau et a déjà beaucoup navigué dessus”, précise Gildas Morvan. Le duo Tom Laperche/François Gabart (SVR Lazartigue) complète le podium de nos experts. “Sur la Route du Rhum, SVR a été pénalisé à un moment crucial par une casse sur le système de remontée de foils, mais sans ça, il était proche de Gitana et tenait la cadence”, analyse Gildas Morvan.
Sodebo Ultim 3 en progrès
Derrière ce trio, difficile de savoir où se situent Thomas Coville et Thomas Rouxel (Sodebo Ultim 3), absents des 24h Ultim pour cause d’avarie de dérive. Selon Jacques Guyader, qui a navigué sur le multicoque après son chantier d’hiver, le bateau a bien progressé. “Le mât a été rallongé de 2,50 m avec la surface de voile qui va avec, et la plateforme allégée de 500 kilos, notamment au niveau des puits de foils. Le trimaran, qui perdait du terrain sur les phases de transition, décolle maintenant plus vite, dès 12 nœuds de vent.”
Enfin, Actual Ultim 3, skippé par Anthony Marchand et Thierry Chabagny “devrait être un cran en dessous, même avec sa nouvelle paire de foils”, estime Gildas Morvan. “Mais si les conditions de mer ne permettent pas de vol régulier chez les autres bateaux, peut-être sera-t-il favorisé”, tempère Francis Le Goff. Ce qui sera d’ailleurs le cas en début de course, avec une mer forte annoncée. Le match va également se jouer à terre, rappelle Jacques Guyader : “N’oublions pas que c’est aussi une bagarre de cellules de routage. Ce sont elles qui apportent les informations cruciales sur la stratégie. Et parfois certains routeurs sont plus inspirés que d’autres.”
Charlie Dalin forfait. La nouvelle est tombée vendredi matin : “suite à un problème médical”, Charlie Dalin ne courra pas la Transat Jacques Vabre. Avec Pascal Bidégorry, il en coupera cependant la ligne de départ pour préserver ses chances de participer au prochain Vendée Globe. L’avis de course du tour du monde impose en effet aux binômes skippers/bateaux de prendre “le départ d’un minimum de deux courses en solitaire (dont une en 2022 ou 2023 ET une en 2024)”, une astérisque précisant : “En cas d’avarie majeure rencontrée sur la Transat Jacques Vabre 2023 rendant impossible la participation du binôme à la course retour de la Transat Jacques Vabre 2023 [Retour à La Base, NDLR], l’AO (autorité organisatrice) pourra accorder une dérogation et accepter que le départ de la Transat Jacques Vabre 2023 se substitue au départ de la course retour.” Joint par Tip & Shaft, le directeur de course du Vendée Globe Hubert Lemonnier a confirmé que cette dérogation pourrait s’appliquer au cas de Charlie Dalin s’il ne prenait pas le départ de Retour à La Base.
Photo : BPCE / Jérémie Lecaudey