Pour son 30e anniversaire, la Transat Jacques Vabre Normandie-Le Havre aura vécu une semaine à rebondissements, entre étape à Lorient pour les Class40 et les Ocean Fifty, immobilisation au Havre pour les Imoca, seuls les Ultim suivant le programme prévu. Tip & Shaft revient sur l’enchaînement des faits, avec ses principaux acteurs.
Comme souvent à chaque départ des grandes courses automnales, la direction de course a eu son lot de décisions à prendre le week-end dernier au Havre. En cause ? La tempête Ciaran, qui n’a cessé de se creuser au cours des jours précédant le coup d’envoi de Transat Jacques Vabre, rendant de plus en plus improbable un départ pour tout le monde le jour J, le dimanche 29 octobre à partir de 13h05. Face à cette situation, la première annonce de la direction de course, samedi matin, a été l’instauration d’une première étape pour les Class40 entre Le Havre et Lorient avec ensuite neutralisation de la flotte en attendant le passage de Ciaran.
“Comme les Class40 sont les moins rapides à « démancher », ça permettait qu’ils ne restent pas coincés trop longtemps au Havre et d’avoir plus de marge de manœuvre pour les relancer sur la deuxième étape“, explique le directeur de course Francis Le Goff, joint vendredi matin par Tip & Shaft. Auparavant, il a pris le soin de contacter Julien Bothuan, responsable du pôle course au large de la Sellor, chargée d’administrer les ports de Lorient Agglomération, qui raconte : “Francis m’a appelé avant son briefing pour me demander si j’avais la capacité d’accueillir les Class40. C’était possible, mais ça demandait des ajustements car comme il y a des travaux de dragage à Port-Louis, on a récupéré des bateaux de là-bas. Il a fallu revoir la disposition des pontons, la Cité de la Voile a aussi le jeu en nous mettant les siens à disposition.”
Les Imoca frustrés
C’est en fin de journée samedi que la situation s’est compliquée : le déplacement de Ciaran étant plus rapide que prévu, la direction de course se rend compte que si les Ultim sont suffisamment rapides pour y échapper dans le golfe de Gascogne, cela n’est plus le cas pour une grande partie des Imoca et des Ocean Fifty. Dès lors, elle envisage une solution similaire à celle des Class40 pour ces deux flottes. “Lorient a accepté d’accueillir en plus les Ocean Fifty, l’idée était de faire pareil avec les Imoca, poursuit Francis Le Goff. On a compté toutes les places de port disponibles, entre Concarneau, Brest, Roscoff, même La Rochelle et les Sables d’Olonne, on n’en faisait rentrer qu’une vingtaine sur quarante, ça ne collait pas.”
Le directeur de course décide alors de lancer les Ocean Fifty vers Lorient et l’immobilisation des Imoca. L’annonce est faite dimanche peu avant 8h, au moment où les équipes s’affairent pour préparer la sortie du bassin Paul Vatine. Ce qui n’est guère du goût du président de la classe Imoca, Antoine Mermod, qui apprécie peu d’être prévenu au dernier moment et de voir les partenaires des 40 bateaux, présents sur place, privés de départ. “Nous avons été piégés par un timing hyper défavorable, tout s’est précipité dans la nuit de samedi à dimanche, ce qui a fait qu’on a manqué de temps pour communiquer, ça a été un accélérateur du mécontentement de certains, se défend auprès de Tip & Shaft Antoine Robin, codirecteur de la transat en double. Néanmoins, au regard de ce qu’on a vu mercredi et jeudi, on se dit qu’on a eu mille fois raison, d’autant qu’en vidant les bassins, on a pu mettre les Imoca « longside » (parallèles au quai et non perpendiculaires), ce qui leur a permis d’affronter la tempête dans une position plus favorable.”
Aurait-il été possible de lancer un parcours pour les Imoca et de les faire rentrer au Havre afin de les faire également bénéficier du direct télévisé ? “Je n’y ai jamais songé, répond fermement Francis Le Goff. Les faire sortir, ça faisait cinq sas minimum dans du vent fort avec un coefficient de 105 de marée, ensuite il aurait fallu faire rentrer tout le monde en pendille, c’était irresponsable, je ne fais pas les choses comme ça.” Avec du recul, Antoine Mermod calme quant à lui le jeu : “Il y a eu des dysfonctionnements, de l’émotion et de l’emballement, mais on a purgé ce qui s’est passé et on regarde devant nous.”
Des collisions et un démâtage
Le départ a donc eu lieu à partir de 13h05, sans parcours préliminaire pour les Ultim et Ocean Fifty, avec deux marques de passage pour les Class40. Celle de la bouée spectacle au cap de la Hève, 3,5 milles après la ligne, a donné lieu à deux collisions, l’une entraînant l’abandon de Movember (Bertrand Guillonneau/Kito de Pavant). Vu les conditions, ce parcours n’était-il pas trop risqué ? Pour Francis Le Goff, “on peut toujours dire après-coup qu’il aurait fallu faire autrement, on savait que c’était engagé, mais on se disait qu’en double, avec les Class40 qui sont des bateaux plus maniables, c’était jouable. Ils avaient aussi la possibilité de prolonger le bord un peu plus en tribord. Je n’ai pas de regrets, mais je suis bien sûr triste pour ceux qui ont cartonné.”
Plusieurs réclamations ont d’ailleurs été déposées, le jury s’est prononcé mercredi, avec notamment une compensation en temps pour Seafrigo-Sogestran, entré en collision avec Café Joyeux et contraint de rallier Lorient par la route. Joint jeudi par Tip & Shaft, Guillaume Pirouelle, co-skipper du bateau normand, a fait le point sur les réparations : “Depuis mercredi matin, les gars sont dans le hangar d’Apicil pour réparer les deux cloisons et le fond de coque, on récupère un bordé tribord en fabrication chez JPS qu’on greffe vendredi, on devrait remettre à l’eau dimanche.”
Les conditions de la première étape, remportée en Ocean Fifty par le duo Thibaut Vauchel-Camus/Quentin Vlamynck (Solidaires en Peloton) et en Class40 par Ambrogio Beccaria/Nicolas Andrieu (Alla Grande Pirelli), ayant été soutenues, plusieurs bateaux ont souffert, Crédit Mutuel, l’un des favoris en Class40, a ainsi démâté. Mais il sera lui aussi au départ de la seconde étape, selon son skipper Ian Lipinski : “On avait gardé notre ancien mât, on attend encore un étai bloqué dans les transports en Allemagne, si tout va bien, on aura remâté d’ici samedi. Maintenant, avec un ancien mât et des vieilles voiles retaillées en urgence, on n’est pas dans les conditions idéales. Comme le dit Antoine (Carpentier son co-skipper), on n’y va plus pour la compétition, on y va pour le sport !“
Départs lundi et mardi ?
Quid du départ de la deuxième étape à Lorient, du départ tout court pour les Imoca au Havre ? Jeudi soir, l’organisation a communiqué pour annoncer que la fenêtre météo de dimanche s’était refermée, envisageant un possible départ en début de semaine. Ce que Francis Le Goff nous a confirmé vendredi : “A ce stade, on continue à travailler sur une hypothèse de lundi pour Lorient, mardi pour Le Havre, avec sortie des écluses à 5h et départ après le lever du jour.” Cette hypothèse n’était toujours pas confirmée au moment où nous bouclions cet article.
L’Imoca aura-t-elle cette fois droit à son direct TV ? “La volonté de l’organisateur, affirmée et écrite, est de mettre tous les moyens nécessaires pour un départ en direct”, répond Antoine Mermod. “On ne s’est pas engagés parce les Imoca le demandaient, précise Antoine Robin, notre premier réflexe a été de se demander comment on pouvait retrouver une fenêtre médiatique pour cette classe qui n’avait pas eu son départ. En fonction des décisions de la direction de course, on ajustera la stratégie. Vaut-il mieux faire un live pour 17 000 personnes tôt le matin ou un produit ressemblant au live pour être fourni un peu plus tard aux chaînes et leur permettre ainsi de le diffuser à un horaire de plus grande audience ? On verra.”
Pour rattraper le temps perdu, les trois flottes emprunteront un parcours direct, donc réduit – “On se demande encore si on met une île pour tout le monde sur la route”, précise le directeur de course. Qui, lorsqu’on lui demande des prévisions de temps de course, voit, avec toutes les précautions d’usage, arriver “les Ultim vers le 13, les premiers Imoca et les Ocean Fifty aux alentours du 16-17, les Class40 à partir du 22”.
Soit un retard d’environ cinq jours sur le programme prévu. “On va maintenir notre organisation de village telle qu’elle était prévue, c’est-à-dire ouverture le 11, fermeture le 19, explique Damien de Longueville, qui dirige l’association Martinique Transat, en charge de l’arrivée à Fort-de-France. Le fait que les bateaux arrivent plus tard pose des problèmes techniques, il y a forcément des solutions, la question est de savoir à quel coût, ça alourdira forcément la facture.” Ce qui sera également le cas pour les organisateurs côté havrais : “C’est évident que tout ça entraîne des surcoûts importants, on est en train de les chiffrer”, confirme Antoine Robin.
Un report du départ (prévu le 26 novembre) de Retour à La Base, course retour en Imoca et en solitaire, qualificative pour le Vendée Globe, est-il envisagé ? “Tant que rien n’est validé, c’est difficile de se projeter, répond Antoine Mermod, mais avec cinq jours de retard à l’arrivée, ça fait peu de temps entre les deux courses. C’est une hypothèse qu’on pourrait imaginer si les conditions logistiques et portuaires en Martinique le permettent.”
Photo : Jean-Louis Carli / Alea