Depuis mardi et le départ du Havre des Imoca, la Transat Jacques Vabre Normandie-Le Havre a repris un cours « normal », avec du match dans les quatre classes en lice. Tip & Shaft fait le point pour chacune d’entre elles (à suivre sur notre site), accompagné de Pierre-Marie Bourguinat, le rédacteur qui couvre la course pour l’organisation, les routeurs Jean-Yves Bernot et Marcel Van Triest pour les Ultim, Martin Le Pape pour les Imoca, Daniel Souben pour les Ocean Fifty et Bruno Jourdren pour les Class40.
Ultim : avantage Banque Populaire XI
La deuxième semaine de course a d’abord été marquée par le passage de l’île de l’Ascension, qui a vu SVR Lazartigue (Tom Laperche/François Gabart) combler son retard sur Banque Populaire XI (Armel Le Cléac’h/Sébastien Josse) et franchir la marque en tête. “On s’est bien débrouillés sur ce long tribord, reconnaît Jean-Yves Bernot, qui route SVR Lazartigue. On avait pigé qu’il fallait insister vraiment sur le sud-est, on avait les adonnantes avant, ce qui nous a permis de passer en tête.” Son rival Marcel Van Triest, chargé du routage de Banque Populaire XI, ajoute : “SVR est beaucoup plus à l’aise dans du medium au près, il va un peu plus vite et fait un peu plus de cap.”
Passé mercredi matin à l’île de l’Ascension avec une trentaine de milles de retard, Banque Populaire XI est revenu comme une balle au portant dans l’alizé, puisque 48 heures plus tard au nord-est du Brésil, il en comptait 50 d’avance ! “Comme il l’avait montré entre Madère et le Pot-au-Noir, Banque Pop a vraiment un truc en plus, il va tout le temps au moins 1 nœud plus vite que les autres, plus bas aussi”, remarque Pierre-Marie Bourguinat. Ce que ne nie pas Jean-Yves Bernot : “Bravo à eux, on n’a pu que les regarder nous rattraper, ils ont trouvé quelque chose, je ne sais pas quoi, ça ne semblait pas aussi flagrant dans les courses d’avant-saison.”
Même Marcel Van Triest semble étonné : “On pensait avoir un petit plus dans le vent plus soutenu et la mer formée, mais je ne m’attendais pas à ce que la différence soit aussi marquée. On peut se poser la question de savoir si la mer a été particulièrement pénible pour la configuration de SVR ou s’ils ont eu un petit problème. Mais depuis que la mer est meilleure, la différence me semble moins nette.” Les deux trimarans ont en tout cas réussi à creuser l’écart sur Charles Caudrelier et Erwan Israël (Edmond de Rothschild) qui, a-t-on appris vendredi en fin d’après-midi via un communiqué, “n’ont pas été épargnés par les problèmes techniques. Ils ont dû très vite exploiter un bateau qui n’était plus à 100% de son potentiel et adapter leur course en conséquence”. Et le communiqué d’ajouter : “Ce matin, un choc a occasionné une lourde avarie du système de barre.” Pour le duo Caudrelier/Israel, il va désormais s’agir de défendre sa place sur le podium.
La victoire devrait donc se jouer entre Banque Populaire XI et SVR Lazartigue, avec un dernier coup météo d’ici samedi soir, d’après Marcel Van Triest : “L’enjeu est de décider du nombre d’empannages que tu fais le long de la zone interdite au nord du Brésil, parce que ça prend à chaque fois une demi-heure, puis ensuite de choisir le moment où tu quittes le couloir qui devient de plus en plus étroit entre cette zone et le Pot-au-noir : SVR va peut-être tenter d’attaquer en allant au nord un peu avant nous.” Pour le routeur de Banque Populaire XI, le verdict est attendu samedi soir : “Une fois sortis du Pot-au-noir, on sera un peu plus relax au niveau stratégie, car derrière, on a des alizés soutenus jusqu’à Fort-de-France, ça redevient une course de vitesse.”
Ocean Fifty : Solidaires en Peloton en contrôle
Après une courte première étape entre Le Havre et Lorient, les six Ocean Fifty sont repartis lundi dernier, ils ne sont plus que trois en course ce vendredi, puisque Le Rire Médecin-Lamotte (démâtage), Primonial (flotteur bâbord) et Koesio (bras de liaison) ont abandonné, victimes d’un début de course “engagé” selon Daniel Souben, directeur du centre d’entraînement Orlabay de La Trinité-sur-Mer. “4,5 à 5 mètres de vagues, rafales à 40 nœuds, c’était la limite haute pour ces bateaux, mais c’était navigable, on est toujours sur le fil avec les Ocean Fifty.”
Trois sont sortis indemnes de cette entame musclée et assez logiquement, c’est Solidaires en Peloton, l’ex Arkema 4 mené par le duo Thibaut Vauchel-Camus/Quentin Vlamynck, qui fait la course en tête, avec, vendredi après-midi, 120 et 150 milles d’avance sur Réalités (Fabrice Cahierc/Aymeric Chappellier) et Viabilis Océans (Pierre Quiroga/Ronan Treussart). “Ils assument bien leur rôle de favoris en rendant une copie presque parfaite, poursuit Daniel Souben. Je pense que Thibaut a trouvé son binôme idéal avec Quentin qui connaît parfaitement le bateau puisqu’il l’a construit et a fait une saison dessus, les ardeurs de Thibaut sont bien compensées par le calme et les qualités de marin de Quentin.”
S’il reste plus de 2 500 milles à parcourir, le duo a les cartes bien en main selon Pierre Marie-Bourguinat : “Le schéma est relativement simple, avec un alizé pas très fort, donc moins de risques d’erreur de pilotage, ça sent plutôt bon.” Ce dernier tient par ailleurs à “rendre hommage à Réalités qui, après des débuts prudents sur la première manche et au début de la seconde, a fait un joli décalage dans l’Est avant les Canaries et arrive maintenant à suivre le rythme des autres.”
Class40 : un groupe se détache
Egalement partis lundi de Lorient, les Class40 ont aussi souffert en début de course, avec quatre abandons à date sur cette deuxième étape et l’arrêt au stand d’un des favoris, Legallais (Fabien Delahaye/Corentin Douguet), reparti depuis. “Les scows sont vraiment durs dans ces conditions, ils tapent très fort, ils sont traumatisants pour les marins et le matériel, commente Bruno Jourdren, qui a navigué avec son fils Thomas, co-skipper de Keni Piperol sur Captain Alternance. Avant, on disait que tu pouvais faire de la course au large de 7 à 77 ans, ce n’est plus possible sur ces Class40, le profil des marins a d’ailleurs beaucoup rajeuni.”
Après plus de quatre jours de mer, un paquet d’une petite dizaine s’est détaché, mené par Amarris (Achille Nebout/Gildas Mahé) grâce à une trajectoire plus à l’ouest au large du Maroc. “Le waypoint de Madère canalise beaucoup la flotte, ils n’ont pas d’autre choix que de progresser vers le sud, on assiste à un jeu de petit placement, comme sur un début de Transat Paprec. On va voir comment tous vont négocier la dorsale qui les attend à partir de vendredi soir, on aura un vrai premier classement au passage de Madère“, note Pierre-Marie Bourguinat.
Vainqueur de la première étape et en tête au cap Finisterre, Alla Grande Pirelli (Ambrogio Beccaria/Nicolas Andrieu) a perdu un peu en étant positionné plus à l’est, mais pour Bruno Joudren, “dans la partie alizé au portant, il a une arme fatale avec son tangon qui se bascule, ça permet d’avoir la même vitesse que les autres mais avec un angle plus bas, je pense qu’il peut faire la différence dans ces conditions.”
Imoca : Charal premier de cordée
Les 39 Imoca partis mardi du Havre (Macif Santé Prévoyance a aussitôt abandonné, en raison des problèmes de santé de Charlie Dalin) ont aussi rencontré des conditions musclées en entrée du golfe de Gascogne avec un passage de front violent qui a entraîné retours au port et, à ce jour, quatre abandons (Biotherm, Be Water Positive, Stand as One, Maître CoQ V). Pour Martin Le Pape, qui a dû jeter l’éponge avec Eric Bellion sur Stand as One (problèmes de structure), “le front était assez costaud à la pointe de Bretagne, on a dû avoir 40 nœuds réguliers pendant deux heures, il y avait surtout une mer très cassante avec un clapot court qui a malmené les équipages et les bateaux, car malgré ça, il ne fallait pas mollir pour aller chercher la rotation de nord-ouest.”
Les conditions se sont ensuite calmées avec une fin de traversée du golfe de Gascogne qui a donné lieu à un décalage, non payant, à l’est du duo Thomas Ruyant/Morgan Lagravière (For People) : “Je pense qu’ils ont vu une option sud qui, à un moment donné, était assez tranchée, ils ont voulu y aller à fond, mais finalement, la porte s’est refermée le long du Portugal avec moins de vent à terre, Charal a pris le commandement à ce moment-là”, poursuit Martin Le Pape. Positionné plus à l’ouest, le plan Manuard du duo Jérémie Beyou/Franck Cammas a effectivement touché du vent d’ouest le premier, ce qui lui a permis de prendre une trentaine de milles d’avance sur Paprec Arkéa (Yoann Richomme/Yann Eliès) et environ 70 sur le premier peloton.
La suite ? “Sur les routages, il y a deux options clairement marquées, détaille le co-skipper de Stand as One. Une qui consiste à repartir vers l’ouest au près pour passer au nord de l’anticyclone des Açores, chercher le train des dépressions puis redescendre progressivement vers la Martinique, et une route sud plus longue.” Les avantages et inconvénients des deux routes ? “La route nord est plus courte, mais beaucoup plus engagée et plus aléatoire parce qu’on est dépendants de la position des centres dépressionnaires. Elle peut se refermer à tout moment, mais elle gagne de beaucoup si tout se passe bien. Sportivement parlant, il y a un intérêt à tenter le coup, après, il faut savoir dans quel état sont les bateaux et les marins, ils ont déjà bien ramassé, retourner au front dans 35-40 nœuds, il faut pouvoir y aller ! Pour ce qui est de la route sud, elle est bien plus « safe », mais plus longue, avec un alizé pas très installé qu’il faut aller chercher assez sud.”
Pour l’instant, une partie des bateaux à dérives semble prendre la route nord, les bateaux de tête, Charal en premier lieu, poursuivent vers le sud. “Ce n’est pas à eux d’engager les hostilités, estime Pierre-Marie Bourguinat, ils contrôlent et sont capables d’aller très vite quelles que soient les conditions. Peut-être que derrière, ça doit en chatouiller un paquet, mais je pense que la flotte a quand même été secouée par le premier front.”
Photo : Alexis Courcoux