Le 29 octobre, 95 duos – contre 78 en 2021 – seront sur la ligne de départ de la Transat Jacques Vabre Normandie-Le Havre. Comme avant chaque grande course, Tip & Shaft a réuni un panel d’experts pour évoquer les forces en présence. Cette semaine, focus sur les Ocean Fifty et les Class40 avec Francis Le Goff, directeur de course, Matthieu Souben, vainqueur de l’épreuve voilà deux ans en Ocean Fifty, Eric Péron et Gilles Lamiré, ex-navigateurs en Ocean Fifty, Christophe Gaumont, directeur de course de la CIC Normandy Channel Race, Cédric de Kervenoaël, président de la Class40, et Laurène Coroller, journaliste à Voiles et Voiliers.
Le match en Class40 s’annonce éminemment serré ! Sur les 44 bateaux inscrits (31 scows/13 “nez pointus”), “un quart de la flotte peut gagner”, estime ainsi Laurène Coroller. “Les skippers ont aujourd’hui un niveau qui a rarement été atteint, les équipages sont très compétitifs et leurs bateaux bien préparés”, ajoute Cédric de Kervenoaël.
“Le niveau de la flotte fait que tout le monde est obligé de mener un rythme élevé, analyse Matthieu Souben, qui, en tant que cogérant de la voilerie All Purpose, suit la classe de près et travaille avec une quinzaine d’équipages. Le facteur casse et avarie technique commence donc à rentrer dans l’équation et oblige à savoir lever le pied quand il faut.” Avec encore onze bateaux neufs mis à l’eau cette année, le renouvellement de la flotte s’est poursuivi sur un rythme élevé, “mais ces nouvelles montures demandent encore une phase d’apprentissage pour en tirer tout leur potentiel”, ajoute Matthieu Souben.
C’est le duo Ambrogio Beccaria/Nicolas Andrieu (Alla Grande Pirelli) que nos experts voient arriver en tête à Fort-de-France. Ils naviguent “sur un bateau polyvalent qui semble bien né”, observe Laurène Coroller. “Ambrogio, qui mène ses bateaux durement mais efficacement, a dominé la saison”, poursuit Cédric de Kervenoaël. Deuxième de la Route du Rhum en 2022, le Milanais a également terminé 2e du Défi Atlantique avant de remporter la CIC Normandy Channel Race. “Sur chaque course, il semble avoir un petit plus en termes de vitesse, observe Christophe Gaumont. Il fait peu d’erreurs et se montre plein d’envie et de combativité.” Laurène Coroller met également en avant un duo qui se complète bien : “Directeur du bureau d’études du Charal Sailing Team, Nicolas Andrieu apporte le côté méthodique, Ambrogio le côté sportif et prise de risque.”
Une quinzaine de duos capables
de monter sur le podium
Sur la seconde marche du podium de nos experts, on trouve le duo formé par Ian Lipinski et Antoine Carpentier (Crédit Mutuel) sur un plan Raison de 2019, le premier scow sorti. “Un bateau plus ancien mais très fiabilisé. Même s’il pèche peut-être en vitesse pure, l’expérience du duo et leur connaissance du bateau devaient compenser”, précise Christophe Gaumont. Les résultats du tandem sont en effet éloquents : Ian Lipinski, vainqueur de la Jacques Vabre en 2019, a remporté cette année le Défi Atlantique et terminé 2e de la CIC Normandy Channel Race avec Antoine Carpentier ; ce dernier est quant à lui triple vainqueur de la Jacques Vabre, une fois en Ocean Fifty (avec Gilles Lamiré en 2019), deux en Class40, avec Maxime Sorel en 2017 et Pablo Santurde il y a deux ans.
C’est d’ailleurs l’Epagnol, co-skipper cette année d’Alberto Bona (IBSA), qui est donné favori pour la troisième marche du podium. “C’est le coéquipier dont tout le monde rêve, (lire notre portrait), relève Christophe Gaumont. Ils signent d’ailleurs tous les deux une bonne saison [vainqueurs des Sables-Horta, 3e du Défi Atlantique, NDLR] sur leur Mach 40.5, récent et rapide.”
Parmi les autres duos capables de monter sur le podium, nos experts citent Erwan Le Draoulec et Tanguy Leglatin (Everial), vainqueurs du Fastnet, Fabien Delahaye et Corentin Douguet (Legallais), deux figaristes aguerris, Achille Nebout et Gildas Mahé sur Amarris, le bateau vainqueur de la Route du Rhum, Xavier Macaire et Pierre Leboucher (Groupe Snef), 2e des Sables-Horta, ou encore Amélie Grassi et Anne-Claire Le Berre (La Boulangère Bio) “qui naviguent incroyablement bien”, selon Cédric De Kervenoaël. Du côté des outsiders, figurent Aurélien Ducroz et Vincent Riou (Crosscall), Axel Tréhin et Gwenaël Riou (Project Rescue Ocean), Mathieu Perraut et Kevin Bloch (Inter Invest) ou encore Cédric Chateau et Guillaume Pirouelle (Seafrigo-Sogestran).
Un jeu aussi ouvert en Ocean Fifty
En Ocean Fifty, ils seront six, sur les dix que compte la classe, à prendre le départ le 29 octobre. “C’est un peu décevant qu’ils soient si peu nombreux”, regrette Gilles Lamiré, qui a vendu cette année son trimaran à Christopher Pratt (Wind of Trust), le Marseillais s’alignant en Imoca avec Maxime Sorel. “Mais la course s’annonce serrée et intéressante”, ajoute celui qui fait partie de l’organisation de l’arrivée à Fort-de-France.
Si deux bateaux neufs mis à l’eau cet été figurent sur la ligne de départ – Primonial, plan Neyhousser skippé par Sébastien Rogues et Jean-Baptiste Gellée, et Réalités, plan VPLP mené par Fabrice Cahierc et Aymeric Chappellier -, “le niveau du plateau n’en reste pas moins homogène, selon Eric Péron, en cours de préparation de l’Arkéa Ultim Challenge (lire notre article). Malgré tous les entraînements de l’été, je ne suis pas sûr que les équipages de ces deux nouveaux bateaux soient, en si peu de temps, parfaitement rodés sur leurs machines afin de les exploiter à 100%. Après la mise à l’eau d’un bateau neuf, il y a toujours un temps incompressible d’optimisation.”
Matthieu Souben confirme que le jeu reste ouvert : “Les règles de classe, en limitant les innovations qui permettraient à un bateau neuf d’être beaucoup plus rapide, donnent la chance aux plus anciens de garder des performances honorables. La preuve en est qu’avec Sébastien Rogues, nous avons gagné la dernière Transat Jacques Vabre sur un bateau de 2009 [aujourd’hui skippé par Luke Berry et Antoine Joubert, NDLR]. C’est l’engagement des duos, l’expérience et la symbiose entre les deux équipiers qui vont faire la différence.”
Avantage Koesio
Vainqueurs du Pro Sailing Tour et de The Arch Sailing Race, Erwan Le Roux, également lauréat du Rhum 2022, et Audrey Ogereau (Koesio) sont donnés favoris par nos experts. “Erwan est un excellent régatier et un grand marin du large qui sait doser le curseur du risque, met en avant Gille Lamiré. Il va vite mais sait ralentir au bon moment pour ne pas trop solliciter son bateau.” Des qualités essentielles, selon Francis Le Goff, puisque “ces multicoques nécessitent une vigilance particulière afin de ne pas chavirer. Erwan est également redoutable sur les fins de transat. Un point non négligeable puisque la gestion sur le long terme est importante sur cette course de 15-16 jours.” Pour Matthieu Souben, le Trinitain “peut en plus compter sur Audrey, une navigatrice talentueuse et qui apprend vite.”
Au jeu des pronostics, Thibaut Vauchel-Camus et Quentin Vlamynck (Solidaires en Peloton) décrochent la seconde place. “Quentin connaît très bien le bateau, fiable et rapide, qu’il a vendu à Thibaut (ex Arkema 4)”, note Eric Péron. Et ce dernier “est un vrai spécialiste du multicoque”, ajoute Gilles Lamiré. Sébastien Rogues et Jean-Baptiste Gellée (Primonial) complètent le podium. “Leur bateau, sur lequel j’ai eu la chance de naviguer, montre un gros potentiel”, apprécie Matthieu Souben. Mais qu’en est-il de sa fiabilisation? “Je pense que c’est un peu tôt, il n’a pas encore engrangé assez de milles pour pouvoir gagner”, répond Gilles Lamiré.
Quid des trois autres duos ? Malgré un peu moins d’expérience, nos experts leur donnent des chances de se mêler à la lutte pour le podium. Luke Berry (Le Rire Médecin-Lamotte) a “bien pris en main son Ocean Fifty”, estime Eric Péron qui ne doute pas de “sa capacité à maintenir la cadence tout au long de la transat.” Quant à Pierre Quiroga et Ronan Treussart (Viabilis), “si la mayonnaise prend entre eux, ils peuvent être redoutables”, selon Matthieu Souben. Fabrice Cahierc est de son côté accompagné d’Aymeric Chappellier, fin connaisseur du support pour avoir navigué auparavant avec Sam Goodchild. Et Matthieu Souben de rappeler : “En 2021, sur 16 jours de courses, seulement 4 heures séparaient le premier du troisième, ça se joue à rien !”
Photo : Fafa Pics / Trophée des multicoques Baie de Saint-Brieuc