Agé de 38 ans, Christopher Pratt s’apprête à prendre le départ de sa cinquième Transat Jacques Vabre (abandon en 2009, 3e en 2011 et 2013, chavirage en 2017 avec Eric Defert en Multi50), aux côtés de Jérémie Beyou à bord de Charal, l’un des grands favoris de la course. L’occasion d’échanger avec le Marseillais aux origines anglaises par sa mère. [Interview traduite de la version originale, en anglais].
Chris, peux-tu nous parler de tes racines anglaises, es-tu fier d’être en partie anglais ?
Ma mère est née à Londres, mais pour être honnête, nous ne parlions jamais anglais quand j’étais jeune, c’est pourquoi mon anglais n’est pas tout à fait conforme à ce que je voudrais qu’il soit. Mon oncle travaille et vit à Londres comme avocat. Je suis fier de mes racines anglaises, oui, mais je pense aussi que c’est intéressant en termes de personnalité. J’ai une mentalité anglaise et cela m’aide dans mon attitude. Sur le bateau, je pense que c’est un gros atout, je suis très équilibré, je pense que cela vient du côté anglo-saxon. Je ne montre pas si je suis touché ou peut-être de mauvaise humeur. Je pense que c’est un point clé, dans la mesure où la personne avec qui je navigue sait que je suis vraiment stable. Je suis toujours souriant et je suis heureux de faire tout ce qui doit être fait.
Tu as connu des hauts et des bas dans ta carrière, peux-tu revenir dessus ?
C’est vrai que c’est agréable d’être dans la position où je suis aujourd’hui. Il y a trois ans, je ne naviguais plus du tout en Imoca, c’était un moment difficile dans ma carrière, car je cherchais des sponsors pour le Vendée Globe, en essayant d’avoir un projet marseillais avec des sponsors. Ça n’a pas marché, donc c’était vraiment dur pour moi sur le plan personnel, d’autant que ça tombait au je divorçais. Ensuite, il y a eu le chavirage avec Eric qui a été un moment-clé de ma vie, ça peut être stupide de le dire comme ça, mais quand on est si près de mourir, on ressent la vie d’une toute autre façon après un tel événement. Quand c’est arrivé, je me suis retrouvé sous le bateau, j’essayais de nager mais je n’arrivais pas à respirer du tout, j’ai finalement réussi à sortir, mais j’avais un bout accroché autour de l’épaule qui m’empêchait de continuer à nager, si bien que j’ai dû plonger plus profond pour me dégager et enfin monter dans le bateau. Ensuite, je me suis reconstruit grâce à la Solitaire en 2016, que j’ai terminée à la 10e place avec mon vieux bateau alors que je n’avais pas d’argent du tout et seulement quelques amis qui m’ont aidé. Me retrouver dans le top 10, c’était très important pour moi. Donc, quand je regarde où je suis maintenant, dans ce bateau incroyable avec cette équipe, je me dis que je suis dans une situation bien meilleure qu’il y a trois ans. Je suis très reconnaissant envers mon ami Jérémie, d’autant qu’ensemble, nous avons fait un travail incroyable
Comment en es-tu arrivé à faire équipe avec lui ?
J’avais commencé à travailler un peu avec lui pour préparer la Route du Rhum et j’e devais faire partie de l’équipage pour ramener le bateau de Guadeloupe. Mais il a abandonné, du coup, on a passé novembre et décembre à naviguer, puis en janvier, Jérémie m’a appelé et m’a demandé si je voulais faire la Transat jacques Vabre avec lui. Il ne m’a fallu qu’une seconde pour dire oui. Nous naviguons depuis une quinzaine d’années ensemble et nous sommes vraiment connectés, nous avons la même façon de naviguer, si bien que tout est facile. On n’a pas besoin de trop parler, nous avons les mêmes idées en même temps. Par exemple, s’il se demande s’il est temps pour moi de le relayer, je suis déjà sur le point de le faire. C’est pareil dans les deux sens. C’est un point clé, parce que comme nous devons apprendre beaucoup du bateau, Jérémie n’a pas le temps d’apprendre à quelqu’un d’autre à naviguer avec lui, nous pouvons vraiment nous concentrer sur le bateau.
Qu’est-ce qui fait un bon co-skipper et de toi un bon co-skipper de Jérémie ?
Je pense que la confiance et la communication sont importantes. Je suis vraiment stable, je suis toujours de la même humeur et avec le même état d’esprit, je pense que c’est vraiment important pour être un bon co-skipper. Jérémie est plus émotif, nous n’avons pas forcément les mêmes attitudes, mais j’essaie toujours d’être positif. L’autre chose est le faut que je pense être aujourd’hui un bon navigateur en solitaire, donc quand Jérémie dort, il sait que c’est la même chose que s’il était sur le pont, nous pouvons naviguer à tour de rôle sur le bateau. L’idée, c’est que le co-skipper n’est pas là pour compenser les éventuelles faiblesses du skipper, non, il doit faire exactement les mêmes choses. En naviguant avec Jérémie, je veux vraiment donner le meilleur de moi-même, encore plus que lorsque je suis seul sur le pont, il sait que je peux mourir sur le pont pour lui et pour le projet. Un autre point important est le rôle que j’ai dans l’équipe, parce que je suis toujours soucieux de l’ambiance, de l’esprit d’équipe.
Tu as aussi navigué avec Armel Le Cléac’h, peux-tu comparer les deux ?
Ils sont complètement différents, Jérémie est capable d’entrer de se mettre dans un état incroyable pour gagner, il a la compétition et la victoire dans les veines. Quand tu es avec lui, tu dois faire la même chose ou en tout cas essayer, c’est vraiment impressionnant. J’ai aussi beaucoup appris sur lui en le voyant terminer le Vendée Globe sur le podium, puis évoluer sur la Volvo. Nous en avons beaucoup discuté ensemble et on peut voir tous les progrès qu’il a réalisés au cours des trois ou quatre dernières années, c’est un grand skipper, je pense que c’est le meilleur aujourd’hui. Pour comparer, j Jérémie a plus de hauts et de bas, alors qu’Armel est plus calme, je dirais qu’Armel est Federer, Jérémie est Nadal.
Sais-tu déjà de quoi sera fait l’après Transat Jacques Vabre pour toi ?
Je cherche des sponsors pour le prochain Vendée Globe. Sinon, je travaille toujours sur des projets locaux à Marseille, avec ma société Marsail, nous faisons notamment du coaching pour des entreprises. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus depuis deux ans, je vais aussi continuer à travailler avec Jérémie et Charal afin de l’aider à préparer le Vendée Globe. Si je regarde deux-trois ans en arrière quand je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie, je suis vraiment heureux de ma vie aujourd’hui, je réalise à quel point je suis chanceux, je me dis qu’il faut en profiter, vivre le moment présent, parce que peut-être que ça va s’arrêter demain.
Quel est votre point de vue sur l’évolution de l’Imoca ?
Nous vivons une époque complètement folle parce que nous apprenons à voler, le Vendée Globe devient une course complètement différente, il y a tant de choses à apprendre. Chaque fois que nous passons juste une heure sur l’eau, nous apprenons quelque chose de nouveau, à mieux régler le bateau, et à avoir une bonne phase de vol, pas trop haute. Maintenant, j’attends vraiment les safrans en T pour réellement voler.
Photo : Jean-Marie Liot / Alea / Charal