Spécialiste du routage météo, Jean-Yves Bernot, qui travaille sur la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre avec le duo Erwan Le Roux/Xavier Macaire sur l’Ocean Fifty Koesio, décrypte le début de course.
► Peux-tu nous parler des conditions que la flotte a rencontrées en début de course ?
La situation a été très particulière avec un gros anticyclone sur le golfe de Gascogne et l’Europe centrale et des dépressions qui passaient très au nord. Avant le départ, tous les marins avaient en tête de choisir entre traverser le golfe sans vent ou aller chercher des dépressions au large, ils ont tous choisi de faire cap au sud dans 3 nœuds de vent, à part un Class40 (Polka Dot) qui a fini par revenir avec les autres. Après-coup, je pense que ça aurait été très dur d’aller dans l’ouest, c’est ce qu’on appelle dans notre jargon les « routages jeux vidéos » qui te font passer sans problème dans 35 nœuds de vent au près, alors que le risque était quand même important d’aller au carton.
► Prenons les flottes les unes après les autres, en premier lieu les Ultimes en tête desquels on trouve le Maxi Edmond de Rothschild, c’est le patron ?
Oui, ils sont à leur place. Ils ont bien navigué, ont le petit plus de vitesse qui leur permet de se recentrer quand il le faut, la fiabilité a l’air bonne. Pour les autres, j’ai été un peu étonné des performances de Sodebo qui était vachement dans le coup [avant son arrêt à Madère], plus que ce que j’avais vu sur d’autres courses, c’est un bateau optimisé pour le portant. François (Gabart) marche bien, mais on sent que ça tâtonne un peu dans l’utilisation du bateau, au niveau de ce qu’ils osent faire ou pas, ce qui est normal pour un bateau neuf. Pareil pour Banque Populaire qui est assez irrégulier. La suite du programme pour eux, c’est une descente pleine balle à 30 nœuds vers le Pot au noir. Pour ce dernier, on verra, mais avec ces bateaux, ce qui est assez spectaculaire, c’est que même dans le petit temps, ils peuvent le traverser très vite à condition d’avoir le bon angle. Ça change un peu la manière de l’appréhender : avant, on cherchait l’endroit où il y avait du vent à tous les coups, là, ça peut valoir le coup de chercher des zones où le vent est stable, même s’il n’est pas très fort.
“En Ocean Fifty, tu n’es pas
limité par grand-chose”
► Passons aux Ocean Fifty, Koesio a fait tout le début de course en tête, on t’imagine satisfait ?
Oui, c’est bien, parce que le bateau est récent, Erwan et Xavier ont réussi à le prendre en main rapidement, mais c’est loin d’être joué ! Derrière, ça revient avec un meilleur angle et plus de vent. On voit qu’il y a deux grandes options aux Canaries : Koesio, du fait de sa position à l’est, n’avait pas d’autre choix que de les traverser au milieu alors que ceux qui sont arrivés de derrière passent à l’ouest parce que le vent a basculé fortement à droite. Je pense que le dévent va quand même embêter tout le monde, Koesio mange son pain noir le premier, les autres devraient aussi y avoir droit. En tout cas, c’est vraiment sympa de router ces bateaux, parce que ce sont de vraies mobylettes qui vont vite, tu n’es pas limité par grand-chose.
► En Imoca, Apivia a fait forte impression avant de perdre la tête ce vendredi au profit de LinkedOut, que penses-tu de ce match ?
Je n’ai pas bien compris comment Apivia s’était fait passer par LinkedOut et Charal, mais ce qui est certain, c’est que Charlie et Paul (Dalin et Meilhat) ont un petit plus en vitesse, parce que souvent, quand ils se font rattraper, ils repassent devant. Pour moi, c’est surtout dû à l’équipage, tu ne peux pas trouver mieux en ce moment sur le terrain, ils ont beaucoup d’expérience et ce sont des teigneux. Après, je trouve que Thomas (Ruyant) va aussi très vite avec ses nouveaux foils, que Sam (Davies) et Nico (Lunven) ont une trajectoire très fluide, j’ai été assez impressionné par la vitesse par moments de 11th Hour Racing-Malama. Quand on voit les boosts qu’il a parfois, 3 nœuds plus vite que les autres, tu te dis que ce bateau va vraiment aller vite quand il sera au point, il en a sous le pied.
“Pierre Le Roy
a très bien joué”
► Finissons par les Class40, que t’inspire le très bon début de course du duo normand Nicolas Jossier/Alexis Loison sur un bateau plus ancien (2018) que les derniers scows ?
Ce n’est pas une surprise, tu as vu les zozos ? Celui qui me surprend plus, c’est Volvo (Jonas Gerckens/Benoît Hantzperg), ils n’ont pas fait beaucoup d’erreurs. Le week-end va être compliqué pour eux avec une dépression qui se crée au nord des Canaries et va provoquer des pannes d’alizé en grande quantité. Ils vont devoir jongler avec du vent très variable, de l’alizé perturbé, des zones sans vent, on risque de les entendre couiner. Si certains réussissent à partir devant, l’élastique sera difficile à détendre après.
► Un mot sur la Mini Transat qui vient de consacrer Pierre Le Roy en proto, que t’inspire sa victoire ?
J’avais fait des bulletins avant le départ de l’étape pour les Rochelais, j’ai été surpris qu’il n’y en ait pas plus qui descendent plus au sud, comme Pierre l’a fait, il a très bien joué. Même si les prévisions à plus long terme ne sont pas d’une très grande fiabilité, il y avait une immense zone foireuse au milieu, la question n’était pas de savoir si tu faisais route directe, elle était de savoir jusqu’où tu osais aller dans le sud. Beaucoup ont été trop timides, ils ont trop le nez rivé sur la distance au but, alors qu’il faut aussi savoir investir. Quand tu investis, tu sais que tu vas d’abord perdre de l’argent, mais qu’ensuite tu vas récupérer ton pognon ! En série, j’ai encore été scié par Hugo Dhallenne, parce qu’il a frisé la correctionnelle en faisant une grosse bêtise au départ, mais quand il a compris son erreur, il a su la rectifier et descendre franco, et ça paie. C’est fort, ce sont les bons coureurs qui savent faire ça.
Photo : Vincent Curutchet