Organisateur du Tour Voile en juillet 2021, après avoir pris le relais d’ASO, Normandie Evénéments a renoncé à produire l’événement en 2022, faute de financement. Tip & Shaft a mené l’enquête.
Le Tour Voile vit des heures difficiles. En novembre 2020, ASO, propriétaire du Tour depuis 2012, renonçait à organiser l’édition 2021, faute d’un “partenaire majeur pour permettre d’assurer la stabilité financière de l’épreuve”, tout en restant propriétaire de la marque (voir notre article). Après un appel à candidatures lancé par la classe Diam 24 od, Normandie Evénements était choisi en mars 2021 (voir notre article) pour, avec l’appui de la Ligue de voile de Normandie, produire ce Tour Voile 2021. En y apportant quelques changements, comme le retour des étapes de ralliement et un final sous forme de match-race sur le lac de Serre-Ponçon.
Au moment de faire le bilan de cette édition avec ASO en septembre, l’organisateur affichait son intention de remettre le couvert, ce qui était encore le cas en novembre, comme le confirme Daniel Souben, membre du comité directeur de la classe Diam 24 od : “Normandie Evénements a organisé une réception au départ de la Jacques Vabre avec des teams et des partenaires, ils étaient hyper motivés, il n’y avait alors aucun doute qu’ils continuaient.” Un mois plus tard, les responsables de la structure normande décident pourtant en plein Salon nautique de Paris de ne pas organiser de deuxième édition.
La raison de cette volte-face ? “Quand nous avons repris le Tour, nous avions décidé d’assumer le risque financier en le voyant comme un investissement, donc on a organisé cette édition sans partenaire-titre, nous avons perdu de l’argent, un peu plus que ce que nous avions prévu, mais l’événement a plu, aux territoires et aux participants, c’était un bon lancement, explique à Tip & Shaft Thibault Parent, directeur du Tour Voile 2021. Maintenant, on ne pouvait pas se permettre de faire deux éditions de suite avec les mêmes résultats financiers. Pour continuer, il nous fallait un partenaire-titre que nous avons cherché, en vain. Le contexte est compliqué : avec toutes les incertitudes qui pèsent sur les événements, les entreprises ont du mal à s’engager. Et plutôt que de faire une édition dégradée, nous avons décidé de ne pas la produire. Cette décision a été très dure à prendre, parce que nous avions repris le Tour avec une visibilité sur quatre ans et la volonté de le développer.”
Un timing très court
pour un plan B
Chez ASO, que Tip & Shaft a contacté, si on se dit “déçu” de la décision de Normandie Evénements, préféré à d’autres repreneurs un an plus tôt, on se montre d’ores et déjà prêt à écouter et à faciliter toute offre de reprise, l’ancien organisateur du Tour Voile n’entendant pas revenir dans le jeu – sans avoir pour autant l’intention de vendre la marque. Egalement mise au courant du retrait de Normandie Evénements, la Fédération française de voile tente de rassembler les bonnes volontés, comme le confie Marc Bouvet, responsable pratiques sportives : “On a appris la nouvelle avec tristesse car le Tour est un événement qui fait partie du patrimoine de la voile française, on essaie de voir quels peuvent être les candidats pour se réengager. S’il y a un petit espoir, il faut y croire.”
Reste que le timing est jugé trop court par la plupart de nos interlocuteurs et que les candidats ne devraient pas se bousculer. “On est dans une situation pire que l’année dernière, dans le sens où, après l’annonce d’ASO, on avait lancé une dynamique de relance du Tour qui avait poussé différents organisateurs à postuler. Là, on se retrouve au pied du mur“, juge Daniel Souben.
Parmi les candidats à la reprise du Tour il y a un an, Christophe Boutet, fondateur d’Aloha Attitude, à qui Tip & Shaft apprend la nouvelle, est passé à autre chose – sa société gère notamment le projet d’Eric Péron en Ocean Fifty. “J’avais proposé un projet beaucoup plus accessible financièrement, avec un format de 12 jours sur une demi-façade maritime, un mix entre de la F1 et du Dakar, avec de vrais ralliements et des bivouacs sur les îles, rappelle le Brestois. Je pense que l’année de plus a été l’année de trop, il fallait prendre un autre virage l’année dernière. Ce qui tue aujourd’hui les courses, ce sont les enveloppes budgétaires de communication et les villages qui ne sont pas rentables.” Fondateur de la classe et fabricant des bateaux à la tête du chantier ADH Inotec, Vianney Ancellin ajoute : “Ça fait longtemps que je dis que trois semaines au mois de juillet, c’est beaucoup trop long. On a un public de jeunes qui font pour la plupart des études et ont besoin de travailler l’été, ils ne peuvent pas se rendre disponibles aussi longtemps.”
L’UNCL vise 2024
L’UNCL s’était également intéressée au dossier en 2021 et y porte toujours un œil attentif… mais pour plus tard, dans la perspective de la sortie du futur Class30 One Design. “On y réfléchit, confirme Yves Ginoux, vice-président de l’UNCL. Notre projet serait de faire un Tour plus concentré dans le temps et dans l’espace avec une dimension internationale. Ça pourrait par exemple être une année en Manche avec des étapes en Belgique et en Angleterre, l’année suivante en Méditerranée avec des connexions sur les pays voisins. A nous de construire un projet qui se tienne, on aimerait proposer une épreuve de démonstration en 2023 car il n’y aura pas encore une flotte suffisante de Class30 OD pour organiser un Tour.”
En Normandie, Cédric Chateau, directeur sportif du Normandy Elite Team et lui-même fortement impliqué l’an dernier dans l’organisation du Tour avec la ligue de Normandie, réfléchit à une épreuve qui permettrait de faire naviguer les cinq Diam 24 du Team (et d’autres), mais pas sous l’appellation Tour Voile : “L’annonce de Normandie Evénements est un coup dur car le Tour a toujours été une épreuve de formation pour les coureurs normands. On va essayer de monter une épreuve entre la Mer du Nord et la Normandie. Le Tour l’an dernier a plu aux collectivités qui nous ont dit que la porte n’était pas fermée.”
“Il n’y a plus rien à proposer”
Sauf retournement de situation, le Tour Voile n’aura pas lieu en 2022 – une première depuis sa création en 1978 si l’on excepte l’édition 2020, annulée en raison de la crise sanitaire. Forcément un coup d’arrêt pour les teams qui misaient sur l’événement : “Comme les gens étaient plutôt contents de la dernière édition, on espérait cinq ou six équipes supplémentaires pour monter à une quinzaine ; là, il n’y a plus rien à proposer”, souffle Daniel Souben. Team-manager de Groupe Atlantic, vainqueur de l’édition 2021, Pierre Mas ajoute : “Je suis désolé parce que le Tour est une épreuve géniale et le Diam est un super support. On avait convaincu notre partenaire d’y revenir en 2022, on va laisser tomber le projet.“
Il compte cependant conserver son Diam 24 “en cas de bonne opportunité de le refaire naviguer”, ce qui n’est pas le cas de tous : “Pour nous, c’est clair, on met le bateau en vente, nous confie un propriétaire. On est des compétiteurs, on le gardait pour faire le Tour, on ne va pas rester sur une classe juste pour faire le Spi Ouest-France et deux-trois régates où il n’y a pas énormément de niveau.”
Reverra-t-on le Diam 24, qui avait pourtant été confirmé en septembre pour trois éditions supplémentaires, sur le Tour Voile ? Vianney Ancellin en doute, mais relativise : “Le Tour a servi la notoriété du bateau, mais on n’a jamais construit le Diam spécifiquement pour l’épreuve. Le but était de proposer un multicoque rapide et simple permettant à tous les gens qui n’ont jamais dépassé 4-5 nœuds au près et 15 nœuds au portant de découvrir la vitesse. Il n’y a pas que le Tour dans la vie, on a toujours fait des choses autour et nous allons nous travailler sur un circuit qui réponde aux objectifs des deux types de clients des Diam aujourd’hui : les jeunes et les propriétaires. Et le bateau plaît beaucoup à l’étranger où il n’est pas perçu de la même façon.” Sur plus d’une centaine d’exemplaires construits, environ 65 naviguent en effet à l’étranger, selon Vianney Ancellin. Qui résume sa pensée : “Aujourd’hui, il y a un problème économique sur le Tour, revenir en arrière ne le résoudra pas.”
Photo : Jean-Marie Liot/Tour Voile