Organisateur du Tour Voile depuis 2012, Amaury Sport Organisation, qui a fait évoluer l’épreuve à partir de 2015 en la faisant passer en Diam 24, tarde toujours à la rentabiliser, faute de partenaire titre. Tip & Shaft s’est entretenu avec Jean-Baptiste Durier, directeur d’une épreuve qui a débuté vendredi dernier et s’achève le 21 à Nice.
Comment se présente cette 42e édition ?
Elle se présente bien sportivement, parce que nous avons eu une avant-saison extrêmement serrée, avec un niveau sportif qui est encore monté d’un cran. Les Tour Voile Series ont vu cinq-six teams capables de jouer aux avant-postes et prétendre à la victoire finale sur le Tour, si bien qu’aujourd’hui, bien malin qui peut dire qui va gagner ce Tour Voile.
23 inscrits cette année, soit la plus petite participation depuis que le Tour est passé en Diam, savez-vous comment l’expliquer ?
Pas vraiment. Aujourd’hui, le nombre de concurrents se stabilise autour de 25, parfois un peu plus, parfois un peu moins. Chaque année, on a toujours autant de projets, autour de soixante, que l’on considère comme sérieux, qui cherchent à sécuriser le budget nécessaire pour venir, ça montre que la volonté de participer est toujours aussi forte. Après, en fonction de la conjoncture, d’une somme de petits détails, on a plus ou moins de teams qui arrivent à boucler leur budget. On aimerait évidemment en avoir plutôt 27 que 23, mais ça ne change pas grand-chose à la photo globale.
Ça coûte cher de participer au Tour ?
Aujourd’hui, on peut faire le Tour pour des budgets compris entre 50 000 euros (HT) pour un petit budget amateur à 250 000 euros pour les teams professionnels, qui font l’intégralité de la saison de Diam 24. La grande majorité des équipes vont être dans une fourchette entre 80 000 et 120 000. Donc ça reste de l’argent à aller chercher, mais ça coûte trois fois moins cher qu’avec le bateau précédent, le M34, et à l’échelle de nombreux projets sportifs, ce n’est pas énorme.
Au début du Tour en Diam, on comptait pas mal de têtes d’affiche : Franck Cammas, Yann Guichard, Vincent Riou, Thomas Coville, Jérémie Beyou… Cette année, surtout après le retrait de Franck Cammas, elles sont peu nombreuses, mais il y a en revanche beaucoup de jeunes : cela signifie-t-il que le Tour est plus devenu une épreuve de promotion pour ces derniers ?
Pour ce qui est de Franck, on est évidemment déçu qu’il ne soit pas là, mais on comprend parfaitement qu’il saisisse l’opportunité Gitana. Il est néanmoins toujours manager du projet Oman Sail et sera présent régulièrement. Pour le reste, la réalité c’est que tu as beau être sur un bateau de 7,25 mètres accessible techniquement, tu es sur de la monotypie où les petits détails font la différence. Et ces petits détails, il n’y a pas de secret, si tu veux prétendre jouer les premiers rôles, tu vas les chercher en naviguant dans toutes les conditions, ça demande une disponibilité importante pendant les six mois précédant le Tour Voile. Ça explique qu’il est difficile de combiner un projet Tour Voile en ayant des aspirations de très haut niveau avec un autre projet ambitieux. Aujourd’hui, il y a effectivement toute une filière jeune qui s’est développée autour du Tour, ce sont certes des noms moins médiatiques que ceux de la course au large, mais il ne faut pas se tromper, ce sont des marins qui évoluent au très haut niveau. On le voit avec un Kevin Peponnetqui gagne le Tour l’année dernière puis devient champion du monde de 470, un Quentin Delapierrequi passe ensuite sur une préparation olympique en Nacra 17…
Parlons du budget du Tour Voile : il y a cette année un seul partenaire officiel, Cheminées Poujoulat (voir notre interview la semaine dernière), contre deux l’an dernier, et toujours pas de partenaire-titre, cela signifie-t-il qu’il a été revu à la baisse ?
Malheureusement pour nous, les revenus sont en baisse alors que les charges d’organisation sont tout à fait comparables à celles de l’an dernier. On ne va pas le cacher : on a eu une mauvaise nouvelle, puisque nous avions un deal quasiment ficelé sur le naming qui a périclité au dernier moment. Clairement, au niveau budgétaire, ce n’est pas une bonne année pour nous, on perdra de l’argent sur 2019. Maintenant, on regarde l’avenir avec sérénité et on a repris le fil de discussions entamées sur ce partenariat majeur qu’on espère finaliser pour 2020.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’échec de ce deal ?
Ça s’est passé au printemps, avec un énorme acteur mondial de l’énergie. Le projet, qui faisait partie d’un plan un peu plus global, a capoté au niveau du board mondial. Ça a été un peu dur à avaler parce que c’est arrivé tardivement, mais on s’en remettra.
Le Tour Voile est-il une épreuve difficile à vendre ?
C’est une épreuve particulière à vendre. On évolue dans un écosystème en France qui donne plutôt la part belle à la course au large en solitaire, tout ce qui n’entre pas dans ce cadre nécessite plus d’efforts de pédagogie. Après, ce qui fonctionne sur le Tour, c’est cette notion de tournée d’été qui permet de toucher la quasi-totalité des départements littoraux français sur quelques années. C’est notre atout n°1 et ce que nos partenaires viennent chercher avec la perspective d’intégrer un road-show clés en main. Aujourd’hui, beaucoup de teams sont d’ailleurs financés par des grosses PME ayant une problématique de réseaux et de points de vente sur tout le territoire, elles se servent du Tour pour des opérations de BtoB et/ou en direction du grand public.
Cela fait maintenant deux-trois ans que vous affichez votre désir de faire passer un cap à l’épreuve (voir notre article de l’an dernier), ce qui passe par ce partenariat-titre, n’est-ce pas frustrant de buter sur cet écueil ?
Je te mentirais si je disais le contraire, parce que l’aspiration légitime de n’importe quel organisateur est de vouloir toujours faire mieux et on nourrit de grandes ambitions pour l’épreuve. Le Tour Voile dans sa mouture actuelle nous plaît beaucoup, je pense qu’on a prouvé notre capacité à proposer un événement sexy, on lui a redonné ses lettres de noblesse, mais c’est vrai qu’on a énormément d’idées pour faire encore plus, et elles passent par ce partenariat principal.
Y a-t-il une pression de l’actionnaire pour en faire un événement rentable ?
L’actionnaire, le Groupe Amaury, regarde forcément les résultats des différents « business units », comme dans n’importe quelle entreprise. Après, on est globalement très heureux d’avoir mis un pied dans la voile, on considère que le Tour Voile était le bon événement à la bonne taille pour intégrer cet univers et découvrir ses codes tout en apportant notre savoir-faire. L’idée ensuite, c’est d’arriver à constituer progressivement un écosystème vertueux, on a commencé à poser des jalons avec Nice UltiMed qui a été une belle première, on a beaucoup d’autres projets de grande envergure pour la suite. Donc le Tour Voile est considéré chez nous comme la pierre angulaire de cet écosystème. On n’aurait jamais fait Nice UltiMed si on n’avait pas eu le Tour Voile avant, le Tour est un monument de la voile française, comme la Solitaire du Figaro qui vient de s’achever.
Il n’y a donc pas matière à remettre en question l’investissement d’ASO dans la voile ?
Je ne peux pas beaucoup en parler parce que c’est en coulisses, mais ce n’est pas du tout la tendance, l’objectif est surtout de développer la présence d’ASO dans la voile et sur des projets de grande envergure.
Dont celui de tour du monde en équipage en Ultim au départ de Nice à horizon 2021 (voir notre article), on a l’impression qu’il est aujourd’hui en suspens, en attendant les élections municipales à Nice, qu’en est-il exactement ?
Je ne peux pas en parler, je vous donne rendez-vous au printemps prochain. Mais ce qui est sûr, c’est que les Ultims ont annoncé un calendrier avec alternance tous les deux ans d’un tour du monde en équipage et d’un tour du monde en solitaire, le premier a été annoncé au départ de Méditerranée, on travaille avec beaucoup de passion et d’envie pour ce que ce tour du monde prenne vie. Mais il est trop tôt pour en dire plus.
Photo : Jean-Marie Liot/ASO