Après quatre saisons sur le circuit Figaro, Justine Mettraux ne s’alignera en 2020 que sur la Transat AG2R La Mondiale, afin de passer le témoin du Figaro 3 TeamWork à son compatriote Nils Palmieri. La Suissesse âgée de 33 ans, révélée en France par la Mini-Transat 2013 (2e en bateau de série), nous explique pourquoi, évoque ses projets, notamment The Ocean Race, et revient sur son parcours depuis ses débuts sur le lac Léman.
Tu as débuté la voile à l’adolescence, as-tu été inspirée par des marins, suisses ou autres ?
Celle qui m’a surtout inspirée, c’est Ellen MacArthur, dont j’avais lu le livre juste après le Vendée Globe qu’elle termine deuxième [derrière Michel Desjoyeaux, en 2000-2001]. Après, je suivais aussi les marins suisses, notamment Dominique Wavre et Bernard Stamm quand ils étaient en Imoca, ils montraient que c’était possible de venir de Suisse et de devenir professionnel.
Comment expliques-tu justement que pas mal de Suisses aient percé dans la course au large, alors que le pays n’a pas de façade maritime ?
Nous avons quand même beaucoup de plans d’eau – et pas seulement le lac Léman – avec beaucoup de régates, un gros engouement pour la voile et des gens qui ont des moyens pour naviguer sur des bateaux intéressants. Après, je pense que le Centre d’Entraînement à la Régate (CER) de Genève est une structure géniale, qui n’a pas d’équivalent ailleurs, il existe depuis plus de trente ans et a formé un nombre incroyable de marins : Dominique Wavre a fait partie de ses fondateurs, je suis passée par là, mes frères et sœurs aussi, Valentin Gautier, Simon Koster… Pour les jeunes qui veulent se lancer dans la course au large, c’est un super cadre qui permet de faire une transition après le dériveur en naviguant sur de bons supports pour pas cher. Personnellement, ça m’a donné envie de continuer dans cette voie, et j’ai aussi pris goût au large lors de camps de formation en mer organisés à l’époque en Bretagne et à Hyères par un skipper suisse professionnel, Jean-Paul Baechler. Ça a été un gros déclencheur, à 16 ans, qu’on me fasse confiance pour gérer un bateau en mer.
Tu parles de tes frères et sœurs, où en sont-ils de leurs projets respectifs ? Et comment expliques-tu que vous ayez tous emprunté le chemin de la voile professionnelle de compétition ?
Elodie, la plus grande, a un peu levé le pied parce qu’elle a eu une petite fille l’année dernière, mais elle a envie de continuer ; Bryan, qui est après moi, a rejoint Alinghi l’année dernière à 100%, en GC32 et TF35 ; ma petite sœur Laurane a été engagée par Oman Sail sur le projet Diam féminin et Nelson gère le CER. Les gens imaginent que mon père était un grand régatier, mais non, il vient de la campagne, il a commencé à naviguer sur le tard et on a surtout fait de la croisière avec lui sur le Lac. On y a pris goût et on s’est tous inscrits au CER.
Tu t’es ensuite lancée au large en Mini en 2012, comment en es-tu arrivée là ?
Cela faisait deux ans que je naviguais en D35 avec Dona (Bertarelli), et comme je savais que le projet Ladycat allait s’arrêter, puisque Spindrift reprenait la main avec un équipage masculin, je me suis dit que c’était le bon moment pour essayer de me lancer en Mini. La Mini-Transat est assez connue chez nous, parce qu’il y toujours eu deux-trois Suisses sur chaque édition, j’avais aussi un ami proche qui l’avait faite en 2011, j’avais suivi son projet, et je naviguais également de temps en temps avec Etienne David qui avait fait cette édition avec TeamWork. Donc je voulais me lancer pour ne pas regretter de ne pas avoir tenté l’aventure. Et au final, ça s’est bien goupillé, parce que juste au moment où j’ai commencé à chercher des partenaires, TeamWork cherchait un nouveau skipper, je les ai rencontrés et en une semaine, le projet était lancé. Le Mini, c’est parfait pour se lancer, sans trop de pression, sans devoir chercher trop de budget, c’est le support idéal pour acquérir les bases de la navigation en solitaire et pour voir si tu es compétent ou non.
Visiblement, tu l’étais, puisque tu termines deuxième en série de ta seule Mini-Transat, en 2013, comment expliques-tu cette réussite ?
Je pense que j’ai eu les bons moyens avec TeamWork de faire le projet à 100%, sur un bateau de série neuf, avec Etienne David qui m’a accompagnée, cette transmission m’a bien aidée. J’ai pu me préparer sérieusement pendant deux ans, ça joue beaucoup. Après, sur cette édition, on a eu des conditions assez particulières, je crois qu’on est moins de la moitié de la flotte à terminer [33 sur 53, en fait, NDLR]. En tout cas, c’était une super manière de commencer, et, à l’arrivée, je savais que j’avais trouvé ce que j’étais venue chercher mais aussi que j’avais envie de faire autre chose.
Cela a tout de suite été le projet Team SCA sur la Volvo Ocean Race ?
Oui. J’avais envoyé mon dossier en me disant que je ne pouvais pas ne pas saisir cette opportunité, mais honnêtement, je ne pensais pas être appelée. Au final, les sélections se sont bien passées, j’avais aussi l’avantage d’avoir moins de 30 ans, ce qui était un critère, et mon résultat sur la Mini-Transat a dû faciliter les choses.
Que gardes-tu de cette expérience ?
Sur le moment, ça n’a pas toujours été facile, la Volvo est une course dure, longue, c’était un gros apprentissage pour toutes les filles. Personnellement, je pense que le projet, géré par des hommes pour des femmes, aurait pu être mieux mené. On avait un super équipage de filles très compétentes sur chaque poste et ça n’a pas été utilisé aux mieux, c’est un petit regret. Après, ça reste quand même un bon souvenir et une expérience de vie exceptionnelle qui, au final, a été super importante pour toutes les filles, parce qu’elles sont devenues légitimes pour de nouveau naviguer sur ces bateaux et se faire engager sur l’édition suivante quand la nouvelle règle imposant des femmes à bord a été adoptée. Ce qui a été mon cas, puisque j’ai fait partie de la campagne suivante sur Dongfeng en remplaçant Marie (Riou) sur deux étapes. Je n’avais pas fait la totalité, parce que j’avais démarré mon projet Figaro.
Le Figaro, c’était la suite logique de ton parcours ?
Oui, j’avais déjà envie d’en faire avant d’être sélectionnée par SCA, c’était le support le plus approprié pour continuer à progresser en solitaire, et comme TeamWork était d’accord pour m’accompagner, j’ai pu démarrer en 2016.
Dès l’année suivante, tu termines 7e de la Solitaire, une sorte d’apogée pour toi ?
Oui, c’était super. Même si en 2018, je fais 11e, ce qui est aussi une bonne place, en 2017, j’ai ressenti comme des moments de grâce, j’avais l’impression que tout ce que je faisais passait bien, j’avais une bonne vitesse, j’allais aux bons endroits, je ne faisais pas de grosses erreurs, je ne pensais pas pouvoir faire ce résultat.
Tu as découvert l’an dernier le nouveau Figaro 3, a-t-il changé beaucoup de choses ?
Ce que ça change surtout, c’est que comme le bateau accélère et décélère plus, il faut plus mettre l’accent sur la stratégie que sur la vitesse, il a fallu changer un peu de mode par rapport au Figaro 2. Les gens qui débarquaient sur le circuit ont sans doute mieux réussi à se mettre dans ce mode par rapport aux habitués qui, comme moi, sont restés trop focalisés sur ce critère de vitesse, sans trop sortir la tête du bateau, mais je pense que cette année, ça sera un peu différent, tout le monde aura davantage ça en tête.
Tu laisses cette année la barre de TeamWork à Nils Palmieri, pourquoi ?
C’est notamment parce que j’avais envie de faire autre chose et que j’avais des contacts pour un gros projet, qui n’est finalement pas certain de se faire, donc j’avais organisé la transmission avec Nils. C’est aussi parce que j’avais l’impression d’avoir laissé pas mal d‘énergie l’année dernière, j’avais envie de lever un peu le pied et de ne pas faire toute la saison de Figaro. Sans doute pour revenir plus tard avec la bonne envie, car je reste très attachée au circuit et à la Solitaire ; même si tu navigues sur d’autres supports, tu ne retrouves pas l’intensité et l’exigence qu’il y a sur cette course, je pense que c’est important d’y revenir régulièrement, comme le font d’autres skippers.
Ce gros projet, c’est The Ocean Race ?
Je ne peux pas en dire plus aujourd’hui, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai vraiment envie de refaire The Ocean Race ; maintenant, j’y ai déjà participé deux fois, je ne veux pas la refaire pour la refaire, il faudrait que ce soit un beau projet, Imoca ou Volvo 65. Je me dis aussi que c’est peut-être le moment de me repencher sur le dossier Vendée Globe, auquel je pense depuis un moment.
Photo : Yvan Zedda/La Solitaire du Figaro
Nos articles sont publiés en avant-première chaque vendredi dans notre newsletter, quelques jours avant leur parution sur le site. Abonnez-vous ici, si ce n’est pas déjà fait 🙂
[dt_default_button link=”https://www.tipandshaft.com/newsletter/” button_alignment=”default” animation=”fadeIn” size=”medium” default_btn_bg_color=”#ffb200″ bg_hover_color=”#0A0A0A” text_color=”#0A0A0A” text_hover_color=”#ffb200″ icon=”fa fa-chevron-circle-right” icon_align=”center”]S’ABONNER GRATUITEMENT[/dt_default_button]