Cinq Imoca ont pris dimanche le départ de la 14e édition de The Ocean Race (ex Whitbread et Volvo Ocean Race), avec une première étape (sur sept) entre Alicante et le Cap Vert. Dans le même temps, six VO65 se sont élancés sur The Ocean Race VO65 Sprint Cup, format réduit de trois étapes. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec Johan Salén, copropriétaire de la course autour du monde.
► Tu as racheté The Ocean Race avec Richard Brisius à Volvo (resté le partenaire principal) en juin 2018, quel est ton sentiment quand tu te retournes sur les quatre ans et demi passés depuis ?
Le sentiment, c’est que ça a été très très long (sourire), avec la transition – il a fallu changer de nom, en partie de structure et d’équipe -, puis l’incertitude entre le Covid, la guerre en Ukraine… Mais maintenant qu’on est là, on peut dire que c’est un très bon début, on a un super village, avec beaucoup de monde, pas loin de 200 journalistes, les structures d’hospitalités sont pleines, tout ça permet d’oublier très vite les quatre années passées, on regarde vers l’avant. Mais c’est vrai que ça n’a pas été facile, je sais que des rumeurs ont couru il y a un ou deux ans comme quoi la course n’aurait pas lieu, mais nous, on n’a jamais senti ça. Et de toute façon, même quand tout va très bien, le fait d’avoir des hauts et des bas est normal dans la gestion d’un événement qui est lui-même complexe avec beaucoup d’éléments à prendre en compte, entre les équipes, les partenaires, les villes, les politiques, l’aspect sustainability… toutes les personnes avec lesquelles on travaille n’ont pas forcément les mêmes attentes et les mêmes perspectives. C’est super intéressant, mais ce n’est pas toujours facile de faire marcher tout le monde dans la même direction. C’était pareil avec nos prédécesseurs, si tu parles avec Knut (Frostad, ancien patron de la course) ou d’autres, ils ont fini cramés et ont eu envie de changer de vie après. Mais le fait que ce soit difficile rend d’autant plus satisfaisants les moments où ça marche, on adore la période qu’on vit aujourd’hui.
► Tu dis que certains de tes prédécesseurs ont terminé “cramés”, ce n’est pas ton cas aujourd’hui ? Avez-vous avec Richard un moment songé à jeter l’éponge ?
Non, ça va, la différence par rapport aux éditions précédentes où il y avait un CEO, comme Knut ou Mark Turner, qui s’occupait de tout, c’est que nous travaillons à deux avec Richard, et en plus depuis très longtemps, c’est beaucoup plus facile de fonctionner comme ça. Nous avons même depuis 14 mois une troisième personne, Mirko Groeschner, qui a notamment travaillé sur la Coupe avant, donc on a eu une gestion de l’événement très complémentaire. Par exemple, je ne suis pas très impliqué sur la partie opérationnelle, les relations avec les villes, je suis plus en relation avec les équipes et je travaille sur l’avenir de cette course. Sinon, on n’a jamais douté qu’on allait y arriver, on savait que ce serait compliqué, mais on est habitués aux incertitudes sur ce genre d’événement.
“On pourrait avoir de huit à dix équipes
Imoca existantes dans quatre ans”
► Cinq équipes Imoca sont au départ, la plupart déjà existantes avec pour finalité principale le Vendée Globe 2024, cela veut-il dire que le virage pris avec l’Imoca a fait peur à certaines équipes, notamment celles qui étaient installées depuis quelques éditions sur l’événement ?
Je crois que le problème principal a été le sponsorship, comme d’habitude. Après, sur cette édition, on a deux transitions. La première concerne les équipes Imoca existantes, intéressées à l’idée d’évoluer vers un événement plus international. Et je pense que même si elles ne sont pas encore très nombreuses cette fois-ci, ça va aller plutôt dans le bon sens, plusieurs d’entre elles sont présentes ce week-end à Alicante et sont super intéressées pour la prochaine, d’autant que le surcoût [par rapport à une saison Imoca classique, NDLR] pour participer n’est pas énorme, on l’a chiffré avec la classe entre 1,5 et 4 millions d’euros. Ce qui est un modèle assez exceptionnel, parce que ce n’est pas un énorme budget pour des retombées incroyables. Même pour une équipe qui a un sponsor français, je pense que c’est un très bon investissement. Mon feeling aujourd’hui, c’est qu’on pourrait avoir de huit à dix équipes Imoca existantes dans quatre ans, ce qui serait une bonne base. La seconde transition concerne les équipes plus traditionnelles de The Ocean Race vers la classe Imoca et un business model différent. Plusieurs d’entre elles n’ont pas réussi à boucler leur financement, on espère qu’elles y arriveront pour la prochaine, je pense à des équipes d’Espagne, d’Italie, des Pays-Bas, certaines qui sont aujourd’hui dans la flotte des VO65, d’autres non. Ces deux transitions vont dans le bon sens, mais ça prend du temps.
► Jusqu’à récemment, on parlait encore de l’équipe espagnole Mapfre, peux-tu nous en dire plus ?
Il y avait deux équipes qui étaient super proches de signer, malheureusement ça n’a pas été le cas, je ne comprends d’ailleurs pas exactement ce qui s’est passé, on a prévu de discuter ici avec l’équipe de Pedro Campos (Mapfre). L’autre était un joint-venture entre une équipe française, celle de Louis Burton et Servane Escoffier, et des Hollandais [issus de l’ex équipe Brunel ; jointe par Tip & Shaft, Servane Escoffier a confirmé, précisant que les Néerlandais ont été “défaillants”, d’où l’abandon du projet, NDLR].
► Vous avez annoncé très tard que la course se disputerait également en VO65 sur un format réduit de trois étapes, la VO65 Sprint Cup, peux-tu nous expliquer comment ce projet s’est concrétisé ?
Nous avions un groupe de six équipes qui voulaient participer à cette édition mais n’avaient pas toutes bouclé leur financement, et nous disaient qu’elles étaient prêtes à continuer dans quatre ans. Si nous n’avions rien fait, elles risquaient de perdre leur motivation pour continuer ensuite en Imoca, donc cette formule nous permet de continuer à travailler avec elles pour le futur. L’autre chose, c’est que pour les villes qui accueillent The Ocean Race VO65 Sprint Cup et pour l’événement, c’est mieux d’avoir plus de bateaux. En tout cas, ce dossier a été un bon exemple des difficultés qu’on a rencontrées sur cette édition, il y avait tellement de points de vue différents, mais à la fin, ça s’est bien passé. Et le choix des étapes a été dicté par les règles de World Sailing, certains bateaux ne pouvaient pas participer en RSO 0, ce qui excluait une partie du parcours, les étapes 1, 6, 7 peuvent être courues en RSO 1.
“A peu près 80-90 millions d’euros de budget”
► Cinq bateaux prototypes au départ menés à 100% de leur potentiel autour du monde, as-tu l’impression que vous jouez gros, à savoir que si un ou deux abandonnent, ça réduira son intérêt ?
C’est sûr que c’est un peu risqué, mais ça a déjà été le cas avant, je crois que sur une des éditions précédentes, il n’y avait eu qu’un bateau à l’arrivée d’une étape à Itajai. C’est clairement quelque chose qu’on ne veut pas, mais on sait que le risque existe, on croise les doigts pour qu’il n’y ait pas trop de casse.
► Quel est le budget de l’épreuve et comment se répartit-il ?
Il se répartit entre les villes – avec un investissement important de leur part pour s’occuper des escales, comme ici à Alicante -, un sponsor principal, Volvo, et des partenaires privés, avec différents niveaux d’engagement. C’est un peu délicat de donner le détail et le chiffre précis, mais je dirais que par rapport au budget de la dernière édition, comme on a quelques partenariats en plus, celui de cette année est un peu supérieur, mais pas loin.
► C’est-à-dire ?
Si tu inclus tout, c’est à peu près 80-90 millions d’euros.
► Comment se présentent l’édition suivante et celle de The Ocean Race Europe, que vous avez lancée en 2021 ?
Ce qui est assez clair, c’est que le prochain tour du monde partira dans quatre ans, on ne connaît pas encore les villes, en dehors d’Alicante parce que c’est déjà signé. On sait aussi que la durée sera similaire à celle de cette année et qu’on va continuer avec l’Imoca. On va aussi poursuivre The Ocean Race Europe, qu’on veut faire évoluer. L’idée est de faire la prochaine édition en 2025, à la fin de l’été, avec un départ du nord de l’Europe, une durée d’à peu près six semaines dans six ou sept villes et une arrivée en Méditerranée. Ça sera en Imoca, on ne sait pas encore s’il y aura une autre classe.
► Justement, est-ce la dernière pour les VO65 cette année ?
Le bateau a dix ans aujourd’hui, il en aura quatorze dans quatre ans, donc je pense que pour le tour du monde, c’est effectivement la dernière fois, même si on avait déjà dit ça avant. Pour The Ocean Race Europe en 2025, c’est plus envisageable.
► Avez-vous d’autres projets de courses intermédiaires ?
On est en discussion pour faire quelque chose en Asie, on réfléchit aussi plus sur le long terme à une transatlantique en équipage, mais pour l’instant, il n’y a rien de concret.
Photo : Ricardo Pinto