L’équipe de France de SailGP s’est envolée en milieu de semaine pour San Francisco où elle disputera la finale de la saison 2 les 26 et 27 mars. L’occasion pour Tip & Shaft de s’entretenir avec son skipper, Quentin Delapierre (successeur de Billy Besson, remercié, l’automne dernier), qui est par ailleurs reparti sur une préparation olympique en Nacra 17 avec Manon Audinet.
► Dans le documentaire mis en ligne la semaine dernière sur les réseaux sociaux de l’équipe française de SailGP, on assiste à ton intronisation par Bruno Dubois comme nouveau skipper de l’équipe, dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment ? Y avait-il de l’appréhension ?
Mon état d’esprit, c’était de faire du Quentin Delapierre, c’est-à-dire de créer un vrai état d’esprit dans l’équipe, de faire du collaboratif, c’est cette symbiose dans un équipage que j’aime dans ce sport. Après, forcément, il y avait un peu d’appréhension, pas nécessairement liée à l’enjeu ou au fait de remplacer Billy (Besson, remercié l’automne dernier, reparti depuis sur une préparation olympique en Nacra 17 avec Manon Audinet), mais plus à la prise en main du bateau. Il y a beaucoup de systèmes à intégrer, de séquences à respecter, donc c’était plus de la concentration.
► Qu’est-ce qui t’a marqué sur ton premier Grand Prix à Cadix ?
Que SailGP, c’est engagé ! Quand on sort le deuxième jour dans beaucoup de vent au milieu des cailloux, je comprends tout de suite qu’il va falloir prendre des risques et être un peu sur le fil du rasoir de temps en temps. A titre personnel, je ne suis évidemment pas satisfait du résultat (8e et dernière place), mais je suis assez content de la manière dont j’ai pris en main le bateau, le seul fait de le ramener en un seul morceau le dimanche était déjà une satisfaction !
► Quand on débarque sur ce circuit au milieu de stars comme James Spithill, Peter Burling, Nathan Outteridge, Tom Slingsby, Ben Ainslie et autres, on a l’impression d’intégrer la cour des grands ?
J’ai surtout eu la sensation qu’on me donnait une opportunité incroyable de me confronter à certaines de mes idoles. Le fait d’aller sur l’eau contre eux et de me rendre compte que je n’étais pas « hypnotisé » par les noms autour de moi, ça m’a mis en confiance. Maintenant, j’intégrerai leur monde quand je les battrai !
► Quand tu parles d’idoles, à qui penses-tu en particulier ?
A Ben Ainslie, qui a été longtemps un exemple pour moi. Ça me rappelle les histoires que mon père me racontait quand j’étais petit, j’ai regardé toutes ses medal races des JO, contre Robert Scheidt et autres. Quelqu’un qui m’inspire aussi pas mal, parce que j’aime bien la manière dont il assume son caractère, c’est Tom Slingsby. Ce n’est pas l’olympien type, à l’humeur égale, il est au contraire assez nerveux, pas toujours très agréable, et, en fait, il arrive à tirer la quintessence de ce caractère. Pour moi, c’est une chance extraordinaire d’avoir l’opportunité de me battre contre ces mecs dont j’ai regardé les courses dans mon canapé.
“Le F50, c’est le bateau ultime”
► Courir en SailGP est un gros accélérateur de carrière ?
Pas encore, parce que je n’ai pas performé, mais oui, ça peut l’être. Mon objectif est de permettre à l’équipe de montrer un autre visage, de remonter au classement, je sens que ça vient. Ça va te paraître anecdotique, mais pour moi, ça ne l’est pas du tout : à Sydney on a gagné une manche d’entraînement et on finit troisièmes de la journée, j’ai pris ça comme une première étape et je l’ai dit à l’équipe. On n’a ensuite pas performé sur le week-end de courses (7e), mais cette journée avait été très positive.
► Les sensations sur un F50, c’est un autre monde ?
J’ai le sentiment que c’est le bateau ultime, sur lequel tu n’es jamais embêté par le RM (moment de redressement). Pour te donner un exemple, le deuxième jour à Sydney, quand on passe d’une molle à de la pression, la plateforme ne bouge pas, il y a tellement de points de contrôle sur le bateau que si tu te débrouilles bien, il reste toujours avec la bonne assiette longitudinale et latérale et ne fait qu’accélérer, sans gîter, et ça, c’est stupéfiant. Maintenant, ça nécessite de savoir souffler au bon moment et de n’être concentré que sur une seule chose. Par exemple sur un « bear away » [abattée, qui fait accélérer le bateau très fort, NDLR], il faut avoir soufflé avant, pas pendant, parce que si le safran au vent sort de l’eau, on dessale ! Sur les manœuvres, il y a une notion de danger assez délirante, ton but n’est pas de faire aller vite le bateau, mais juste de le maintenir à l’endroit. Quand tu as l’habitude de naviguer sur des bateaux que tu maîtrises à 100%, c’est assez étonnant ; là, on est parfois sur le fil et on sent que ça peut mal se terminer, mais qu’est-ce que c’est stimulant !
► Qu’attends-tu des finales à San Francisco ?
L’un des objectifs va être d’améliorer les départs, on va se donner comme but de trancher la ligne le plus proche possible de la vitesse cible sans trop se soucier des autres bateaux. Si ça marche, j’espère que tu nous verras exceller pendant le week-end !
“C’est« SailGP by pressure » !”
► La saison 3 va très vite enchaîner, y aura-t-il des changements dans l’équipe ?
Kévin Peponnet va nous rejoindre, il est d’ailleurs avec nous à San Francisco pour se former au réglage de l’aile. Il a été champion du monde et d’Europe de 470, j’ai gagné deux fois la Tour de France à la voile avec lui, c’est quelqu’un avec qui je m’entends très bien, nous partagions la même chambre aux Jeux, donc ça m’a paru un choix évident de faire appel à lui. Il n’a certes pas d’expérience sur le réglage d’aile, mais vu son profil d’ingénieur et sa technicité, je ne suis pas du tout inquiet.
► Cette saison 3 sera finalement pour toi la vraie épreuve du feu, pendant laquelle tu devras faire tes preuves ?
Oui, c’est exactement ça. Dans ma tête, c’est très clair, je suis sur SailGP pour performer, sinon, je n’ai pas ma place. Donc j’ai envie d’assumer le fait d’arriver sur les régates pour gagner des manches et de se retrouver sur le podium à la fin de la saison, puis, deux saisons plus tard, de gagner SailGP. On y arrivera ou pas, mais l’ambition est là, le rêve est là. Mon travail, c’est de faire adhérer l’équipe à ce rêve.
► L’objectif de podium était identique sur cette saison 2, Billy Besson a fini par payer des résultats jugés décevants, sens-tu que cette pression va te toucher à ton tour ?
Oui, il y a une pression, mais c’est presque écrit dans SailGP, c’est « SailGP by pressure » ! Je le sais depuis que je suis arrivé, donc ma seule envie, c’est d’être concentré à 120% sur la performance. Pour cela, je travaille sur tout un tas de clés en me fixant des objectifs de moyens. Je ne vais pas me lever le matin en disant que je vais gagner la manche, ça ne marche pas comme ça, le but est de comprendre le jeu et de se focaliser sur les moyens de jouer à ce jeu.
“La Coupe de l’America,
mon autre rêve”
► Parlons maintenant de ton projet olympique avec Manon Audinet, où en êtes-vous ?
On a repris l’entraînement en janvier à La Grande Motte avec le nouvel entraîneur de l’équipe de France, Benjamin Bonnaud, Tim Mourniac et Lou Berthomieu. Malheureusement, Manon s’est fait un petit bobo au dos, on s’est donc arrêtés pour la préserver, du coup, on n’a pas été s’entraîner à Palma, mais on y sera début avril pour la première épreuve de la saison, dont le sommet sera le championnat du monde fin août au Canada. C’est le gros objectif fixé par Philippe Mourniac, le directeur de l’équipe de France, on a donc surtout cette régate en ligne de mire.
► Il y a une forte concurrence interne en équipe de France, comment la vis-tu ?
Il y a effectivement beaucoup de gens d’expérience et des jeunes qui ont du talent et naviguent très bien. Billy (Besson) revient, c’est évidemment un client sur la scène internationale. Maintenant, pour être très honnête, si je continue en Nacra 17, c’est vraiment pour gagner des courses et décrocher une médaille olympique à Marseille. Dans cette optique, ça ne m’intéresse pas vraiment de me focaliser juste sur la concurrence française, il faut être conscient qu’il y a des groupes étrangers très performants, notamment celui avec les Anglais, Italiens et Argentins, qui fonctionnent de manière complètement opaque, avec des résultats au bout, puisque ce groupe a pris deux médailles sur trois à Tokyo [or pour les Anglais, argent pour les Italiens, NDLR]. L’objectif est d’arriver à former un groupe concurrent capable de travailler aussi bien qu’eux, c’est ça qui me stimule, plus que la concurrence française, qui est saine.
► La Coupe de l’America aura lieu en 2024, si un projet français se monte, ça t’intéresse ?
Si j’ai décidé un jour de faire du Nacra, c’était avec en ligne de mire la Coupe de l’America et SailGP. Aujourd’hui, je suis sur SailGP, si je peux réaliser mon autre rêve d’aller sur la Coupe et, pourquoi pas de la gagner un jour, je saisirai l’occasion !
► La Coupe, c’est ton rêve ultime ?
J’en ai deux : la Coupe et la médaille d’or olympique, c’est ambitieux, mais il le faut, sinon, tu ne travailles pas assez !
Photo : Ricardo Pinto for SailGP